Tribune. «Maroc : au-delà du bruit et de la fureur » [Par Abdelmalek Alaoui]
La succession d’évènements convergeant tous vers un but, celui de porter préjudice aux intérêts et à l’image du Maroc, ne laisse aucun doute qu’il s’agit d’une campagne orchestrée par ceux qui voient dans le développement du Royaume en une puissance régionale, une menace à leurs propres intérêts. La France a semble-t-il une bien grosse main dans cette offensive sans précédent.
Dans cet article paru ce jeudi dans Le Journal du Dimanche, Abdelmalek Alaoui*, grand connaisseur à la fois des arcanes du Palais royal et de la politique européenne du gouvernement marocain, décrypte ce contexte embrouillé, principalement entre la France et le Maroc.
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« Et soudainement, sans prévenir, le Maroc s’est invité malgré lui au centre de l’actualité française dans un emballement médiatique sans précédent. Peut-être faut-il y voir un paradoxe fondamental : bien que son statut de nouvelle puissance régionale – indiscutable – lui soit souvent dénié, voilà que l’on voudrait prêter au royaume chérifien des pouvoirs au croisement du surnaturel et du prodigieux. En bref, comme une réminiscence d’une période trouble, les Marocains seraient “partout”, maillons essentiels de tous les pouvoirs occultes de ce monde, manipulateurs de l’ombre. Il y a là une forme de complotisme autorisé assez stupéfiant, comme si la rumeur infâmante suffisait à constituer une preuve de culpabilité. Pour l’écrasante majorité de Marocains, cette attitude mâtinée de paternalisme suranné est tout simplement inacceptable.
Bien entendu, les raccourcis condescendants et orientalistes ne sont jamais loin. Et rien n’est épargné au Maroc. Organise-t-il un évènement sportif d’envergure ou un festival que celui-ci devient une “opération d’influence”. Tente-t-il de défendre ses intérêts auprès d’hommes politiques que cette démarche serait nécessairement guidée par les impératifs d’un “agenda obscur”. Fait-il la pédagogie de son projet pour le Sahara qu’il en devient un “ennemi de la liberté”. Exprime-t-il avec force sa volonté que ses partenaires se déterminent clairement en faveur du seul règlement possible de ce différend régional, l’autonomie, qu’il userait de “chantage”. Choisit-il de nouveaux partenaires mondiaux qu’il serait en train de “diversifier ses alliances”. Sur tous les plans, un procès d’intention est trop souvent fait au royaume.
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De fait, le Maroc est un pays souverain qui a une série d’intérêts politiques, économiques, culturels et stratégiques à défendre. Il le fait avec énergie et sincérité, mais peut-on décemment penser que ses méthodes s’appuieraient sur la manipulation ? Si tel était le cas, les résultats seraient pour le moins mitigés, tant les campagnes de presse le visant se multiplient, singulièrement ces derniers mois, où, par un curieux alignement des astres, le royaume a été l’objet de toutes les attentions négatives, suscitant résolutions symboliques européennes, exclusion forcée d’une compétition sportive par l’interdiction de survol du territoire algérien, ou encore couvertures de magazines français dénonçant son “influence” supposée.
Du côté de la société civile marocaine, cet acharnement prêterait presque à sourire s’il n’était d’une tristesse abyssale. Les libertés prises avec les faits et l’expression de la vérité se sont empilés dans un magma incompréhensible. D’autant plus que la plupart des auteurs de ces commentaires ne se sont pas rendus au Maroc depuis près d’une décennie, et livrent donc une analyse où manque l’essentiel : la vision de près. De manière symptomatique, lors de la dernière élection législative au Maroc en 2022, qui a vu pour la première fois un pays de la région chasser les islamistes par les urnes au lieu des armes, aucun des grands quotidiens ou hebdomadaires de l’Hexagone n’a jugé bon d’envoyer un correspondant sur place. Comme s’il était suffisant de parler du Maroc depuis les quais de Seine, alors même qu’il serait juste de s’y rendre pour refléter une réalité autrement plus complexe et nuancée que celle qui est donnée à voir ces derniers temps.
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Les faits sont en effet têtus : le Maroc est un pays où plusieurs milliers d’entreprises françaises sont présentes, sans que ne leur soit imposé ni partenaire local ni rétention de leurs dividendes. Une nation où un automobiliste sur trois utilise un véhicule français, où la première ligne de train à grande vitesse d’Afrique est de fabrication française, où les promoteurs de l’Hexagone exercent, où les enseignes de distribution françaises ont pignon sur rue, où de nombreux Français de tous les milieux s’installent durablement depuis des décennies le plus normalement du monde.
Les Marocains, dans leur écrasante majorité, ne comprennent donc pas l’attitude française globale à notre égard alors que notre histoire, comme notre relation contemporaine, nos échanges économiques bilatéraux et nos intérêts communs de défense, notamment au Sahel, sont de nature à établir un partenariat euro-méditerranéen prospère au cours du siècle à venir. Le Maroc est un pays singulier, qui jouit de la stabilité institutionnelle et macro-économique, qui a démontré l’efficience et l’efficacité de son chemin de développement et avec lequel il est possible de bâtir une alliance de nouvelle génération. Dans ce cadre, les relations franco-marocaines ont besoin de franchise mais aussi d’équilibre. Car, pour la France, le plus grand danger n’est pas que les Marocains accroissent leur antagonisme à l’endroit de Paris mais plutôt que nous devenions durablement indifférents. »
* Président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique, auteur du livre « Le Temps du Maroc, résilience et émergence du royaume chérifien » (La Croisée des chemins, 2021).