Diplomatie

Maroc-France. Quand il n’y a plus d’amour…

L’écrivain et essayiste marocain Driss Ghali revient sur les relations tendues entre la France et le Royaume. Dans cet article paru le 22 septembre dans le Journal du dimanche (JDD) que nous republions in extenso, l’homme de lettres se demande si Emmanuel Macron et le Roi Mohammed VI réussiront-ils à renouer le lien ?

Il a fallu un tremblement de terre meurtrier près de Marrakech pour que l’opinion publique française se rende compte que le Maroc est en colère contre la France. Le refus poli de l’aide humanitaire a surpris les Français qui ne se doutaient pas que les relations entre Paris et Rabat étaient au point mort. Pourtant, la crise, sa gravité et ses causes, est sur toutes les lèvres au Maroc depuis deux ans. Si l’opinion publique française n’en était pas consciente, c’est parce que le Maroc est à ses yeux un pays comme les autres, un pays que nous aimons certes mais pour lequel nous nous intéressons peu. A l’inverse, les Marocains cultivent une curiosité sans limite pour la France, son histoire et sa vie politique. Ils ont plus de chance de savoir qui était Louis XIV que les Français n’ont de chance de savoir qui était le grand roi Moulay Ismail, contemporain du Roi Soleil.

C’est ce privilège français au Maroc qui est aujourd’hui en jeu. C’est cette exception française qui est sur le point de voler en éclats. La France perd son hégémonie dans un pays où elle était « chez elle », un pays où elle exerçait une influence extraordinaire dans toutes les couches de la société, sans avoir à déployer le moindre soldat ni à distribuer des sacs de riz.

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La langue française a été séquestrée par les élites pour en faire une arme de discrimination massive

Depuis 1956, c’est-à-dire l’accession du Maroc à son indépendance, Marocains et Français marchent main dans la main. Au moment où le drapeau français était descendu sur les frontons des casernes et des commissariats, il s’est hissé dans le cœur et l’esprit des Marocains. L’engouement pour tout ce qui est français s’est manifesté par le maintien de la langue française comme semi-langue officielle, utilisée dans les administrations et les entreprises privées. L’État marocain est allé jusqu’à imposer le français sur le Rif où était utilisée la langue de Cervantes, vestige de cinquante ans de colonisation espagnole.

Les meilleurs esprits se réunissaient dans les grandes écoles françaises, les thèses de doctorat étaient soutenues à Paris et les diplômes n’avaient de prestige que s’ils portaient la mention « République française ». A la télévision et à la radio, le bilinguisme était de mise, le français et l’arabe étaient alternés avec un naturel et une spontanéité qui démontraient que l’attachement des Marocains à la civilisation française était vital. Ils y ont longtemps trouvé des « compléments nutritionnels » qu’ils ne trouvaient pas facilement dans la civilisation marocaine, malgré ses nombreuses qualités. D’où le culte de l’ingénieur, venu du X, de Centrale et des Ponts et Chaussées, et qui était censé apporter au Maroc la logique cartésienne, fiable et efficace, qui faisait de la France une grande nation.

D’ailleurs, la langue française a été séquestrée par les élites pour en faire une arme de discrimination massive. Pour avoir une chance de gravir l’ascenseur social, il fallait parler un français parfait et sans accent. Un luxe accordé aux enfants de la bourgeoisie, inscrits dès la maternelle dans les écoles françaises, avec des mensualités prohibitives. Depuis soixante ans, des millions de rêves de promotion sociale ont été brisés, un crime commis par des Marocains contre d’autres Marocains mais dont la France est considérée comme le principal coupable.

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Les Marocains, même les plus occidentalisés, sont stupéfaits par le virage LGBTQIA+ de la société française

Pourtant, les Marocains, pauvres et riches, ont joué le jeu, tant que le score était là pour le pays. Ils ont vécu une histoire d’amour avec la France, à l’opposé de la relation pathologique entre Français et Algériens. Or, depuis quelques temps, le compte n’existe plus. La France est revenue à la décadence et les Marocains l’ont compris, peut-être avant les Français eux-mêmes.

Les touristes marocains ont vu des rats à Paris au moment même où ils sentaient les odeurs abjectes du RER et du métro. N’importe quel Marocain assis à une table de café, même au fin fond de l’Atlas, a pu voir les images d’émeutes urbaines sur Al Jazeera et France 24. Les milieux économiques ont pris conscience de la désindustrialisation de la nation qui a inventé l’automobile et l’aviation. Pire, les Marocains, même les plus occidentalisés, sont stupéfaits par la dérive LGBTQIA+ de la société française. Ils étaient prêts à accepter les droits de l’homme, mais ils disent non à la théorie du genre. L’ami de longue date est sûrement devenu fou.

Par Driss Ghali

 
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