Taxe carbone. Les exportateurs bientôt au vert…
Lancée en période test en octobre dernier, la «taxe carbone» ou encore le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) s’apprête à entrer définitivement en vigueur dès 2026. Challenge suit de près ce dossier aux enjeux énormes pour l’économie marocaine. Décryptage !
Dans l’un de nos papiers publiés en avril dernier, nous avions mis la lumière sur ce dossier au travers de son impact sur l’économie, question d’ailleurs mise en avant par le ministère de l’Industrie. Sauf que pour certains, cette idée est un concept vague. Même si les avis semblent partagés sur les externalités de la taxe carbone, le constat est que cette mesure semble avancer à grands pas aux frontières du Maroc. En effet, la «taxe carbone» désigne en réalité le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cette mesure a été entérinée par le Conseil de l’Union européenne, le 10 mai dernier et sa phase d’essai est lancée le 1er octobre.
A compter de 2026 en Europe, ce mécanisme obligera les entreprises européennes qui importent des produits polluants – essentiellement des matières premières – fabriqués hors du continent, à payer une compensation pour les émissions issues de la production de ces produits. Concrètement, si une entreprise française importe une tomate venue du Maroc, elle devra payer un certain prix en compensation équivalent au niveau du carbone émis lors de la production de cette matière première. Au total, plus de 14 milliards d’euros annuels de revenus sont espérés par l’UE.
Lire aussi | Rabat et Abou Dhabi ont franchi un nouveau palier plus important dans leur partenariat bilatéral
Au Maroc même si l’heure est à l’éloge de la transition verte, cependant certains défis se posent. L’on se rappelle de la déclaration du Ministre de l’Industrie qui avait déclaré lors d’une table ronde sur la décarbonation organisée par le confrère Finances News : «cette taxe carbone aux frontières de l’UE est une énorme opportunité pour le Maroc». Pour certains, l’idée des impacts économiques est un peu complexe puisque déjà le projet en lui-même constitue un frein pour les opérateurs. C’est le cas pour l’Expert en énergie Amine Bennouna, qui nous explique que ce projet est plus un frein qu’un avantage à la lumière des enjeux de timing.
Un frein pour les exportateurs ?
«La décarbonation est avant tout un frein pour les exportateurs. Car vu le timing annoncé, je pense que les acteurs ne seront pas prêts», prévient Amine Bennouna. Et de poursuivre : «En plus des questions de timing, le problème de coût financier va se poser. Les grands groupes comme Renault qui ont les moyens de produire ou d’acheter l’énergie verte n’auront aucun problème, par contre les PME ne pourront pas suivre. Elles seront contraintes pour réduire leur empreinte carbone de diminuer leur dépense énergétique, ce qui aura un coût sur leur productivité». De son coté, Loic Jager CEO de Engie Maroc et Responsable de la commission carbone au sein de l’Asmex nuance en déclarant que : «La décarbonation des industries exportatrices est un enjeu majeur, non seulement pour notre pays, le Maroc, mais pour la planète entière. C’est d’autant plus d’actualité que la synthèse du sixième rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a été publiée hier, synthèse qui rappelle l’extrême urgence à réduire nos émissions si nous voulons éviter de dépasser un réchauffement de 1,5 degré et les risques climatiques qui y sont associés.
Nous sommes ainsi tous conscients des effets dévastateurs du changement climatique et de la nécessité d’agir pour limiter son impact sur notre environnement et notre économie. Les énergies renouvelables sont une solution clé pour y parvenir. Cependant, il est important de souligner que la décarbonation ne peut pas être envisagée de manière isolée. Elle doit être considérée comme un aspect systémique et global de la transformation de nos économies. Les chaînes de valeur, par exemple, jouent un rôle crucial dans la décarbonation des industries exportatrices. Il est alors nécessaire de promouvoir une approche collective, collaborative, concertée, entre les acteurs des diverses chaînes de valeur industrielles pour maximiser l’efficacité des efforts de décarbonation.»
Lire aussi | Le Royal Mansour Casablanca rouvrira officiellement ses portes en janvier
Et d’ajouter : «Ainsi, la mise à niveau des secteurs, chère à notre Président et son Directeur, est un élément clé pour la décarbonation des industries exportatrices. Ces industries doivent être équipées des technologies les plus modernes et les plus propres pour réduire leur empreinte carbone. La mise à niveau des infrastructures est également essentielle pour permettre une transition efficace vers les énergies renouvelables. Dans le contexte actuel de la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, la taxe carbone vise, vous le savez, à réduire les émissions de gaz à effet de serre en appliquant une taxe sur les produits importés en Europe en fonction de leur empreinte carbone. Ce nouveau mécanisme, qui sera de plus en plus contraignant d’ici 2026 (donc demain ! pas après-demain !), entraînera des conséquences importantes pour les entreprises exportatrices marocaines, mais cela peut également être une opportunité réelle pour elles d’adopter des pratiques plus durables et de renforcer leur compétitivité sur l’ensemble des marchés internationaux. En tant qu’industries exportatrices, nous devons être en mesure de répondre à cette demande croissante de produits et de services décarbonés.
3 000 milliards de dollars…
Alors que les experts s’interrogent sur le coût de la transition carbone, récemment un rapport de la Commission pour la transition énergétique (CTE) a apporté la réponse. Selon elle, le coût de la transition énergétique mondiale sera d’environ 3 000 milliards de dollars par an d’ici à 2050. Le rythme des dépenses annuelles ne sera pas linéaire : il devra passer de 3 000 milliards avant 2030 à 4500 milliards en 2040, date à laquelle il baissera jusqu’en 2055. Sans surprise, c’est le secteur énergétique qui absorbera la plus grosse part : 70 %, dont 38 % pour la production d’énergie elle-même, 26 % pour les réseaux et 6 % pour le stockage (par batteries ou production d’hydrogène) de l’électricité produite de manière intermittente par les panneaux solaires ou les éoliennes. Le reste est partagé entre les bâtiments, les transports, la captation de CO2, l’hydrogène et l’industrie. La répartition de ces investissements n’est pas homogène géographiquement: 1.400 milliards devraient être consacrés aux pays riches, 800 milliards à la Chine et 900 aux pays moins développés.