Politiques alimentaires : quand une plateforme alerte sur les défis !
« Tant que le goûter de nos enfants ou de nos petites soeurs sera un Bimo* et non une gousse de caroube, le Maroc ne parviendra jamais à se nourrir lui-même ». Cette phrase choc de l’analyse de la plateforme marocaine Nechfate laisse entrevoir les grands défis qui pèsent sur le Maroc en termes de politiques alimentaires.
Dans sa dynamique de développement planifié, le Maroc s’est fixé, ces dernières années, des objectifs clés. Souveraineté économique, souveraineté alimentaire, souveraineté sanitaire… Ces différents niveaux de souveraineté mis en avant dans le rapport sur le nouveau modèle de développement esquissent l’image de ce nouveau Maroc en perspective. Cependant pour assurer cette transformation socio-économique, le capital humain est un élément indispensable. Car toutes les grandes politiques économiques opérées dans le monde se sont construites à partir des performances humaines. C’est ce que certains économistes qualifient « d’humanité efficace ».
C’est ce prélude contextuel qui fait de la santé, l’un des secteurs fondamentaux de développement et de croissance de toute économie. Selon une étude de l’OMS, un individu bien portant est économiquement plus productif et contribue ainsi à la croissance économique parce que le niveau de santé influence la productivité de chaque travailleur en affectant ainsi le progrès économique. Santé et alimentation étant liées, aujourd’hui à la lumière des ambitions du Maroc dans le sentier du développement, un mal pernicieux ronge silencieusement ces forces vives. Et remet en question, de facto, les enjeux de souveraineté alimentaire.
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Dans une récente analyse, la plateforme marocaine Nechfate, qui s’est spécialisée dans le lançage d’alerte, dans sa nouvelle analyse, explique que « pour se nourrir, le Maroc dépend largement et de plus en plus des importations, en particulier pour les « produits de base » : le Maroc ne produisant en 2022 qu’environ 28% de sa consommation de céréales, 27% de sa consommation d’huiles et 20% de sa consommation de sucre, alors que ces trois catégories cumulées constituent entre 77 et 82% des calories consommées au Maroc ». Et de poursuivre que «cette dépendance alimentaire s’amplifie et s’explique par deux facteurs essentiels. Le premier est démographique : la population marocaine est multipliée par 3 depuis 1961 et elle continue d’augmenter de façon substantielle. Le second facteur correspond aux changements des modes alimentaires et à une orientation vers la consommation de plus de produits transformés, proportionnellement plus riches en farines, sucre et huiles, généralement importés. Les besoins alimentaires ont ainsi augmenté à un rythme plus élevé que celui de la croissance démographique et de la production agricole nationale. ».
36 kilos par personne et par an…
« Ces changements profonds dans le régime alimentaire marocain ont conduit à une détérioration préoccupante de l’état de santé de la population. En 2018, 61% de la population marocaine était en surpoids et 21% obèse alors que l’obésité était presque inexistante dans les années 1970 ». Aujourd’hui au Maroc, on peut également apprécier les chiffres. « Durant les cinq dernières années, la consommation annuelle de sucre est de 1,2 million de tonnes, dont 25% sont destinés aux industries agroalimentaires », avait révélé en 2022 le ministre chargé du Budget, Fouzi Lekjaa. Ce dernier avait appelé à une convergence vers un consensus autour de solutions à même de garantir l’équilibre entre la préservation de la santé des citoyens et de la compétitivité des entreprises industrielles marocaines.
Les défis de la souveraineté alimentaire
Popularisée dès 1996 par la Via Campesina, mouvement international de défense des droits des petits agriculteurs, la souveraineté alimentaire se définit comme « le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité à produire son alimentation, facteur essentiel de la sécurité alimentaire au niveau national et communautaire, tout en respectant la diversité culturelle et agricole ». La souveraineté alimentaire est désormais reprise y compris dans les discours officiels : le Salon international de l’Agriculture au Maroc en 2023 avait même pour thème « Génération Green : Pour une souveraineté alimentaire durable ».
Mais cette souveraineté alimentaire a très peu de chances de se concrétiser au Maroc. Le remplacement des cultures d’exportation voraces en eau par d’autres cultures n’est politiquement pas envisagé. Et même s’il l’était et qu’un recentrement des productions agricoles sur les besoins du marché national était opéré, cela affecterait d’une part la rentabilité de l’agriculture marocaine et d’autre part, ne permettrait pas de répondre aux besoins alimentaires massifs, nouveaux et évolutifs de la population marocaine.
L’équation insoluble des « produits de base »
Alors que la production agricole nationale couvrait la majorité des besoins alimentaires en « produits de base » jusqu’aux années 1970, cette couverture, s’apparentant à une forme de « souveraineté alimentaire », s’est continuellement érodée depuis. Cette érosion est la conjonction de plusieurs facteurs : lente augmentation de la production, augmentation des besoins, facilité à combler ces besoins sur les marchés internationaux… Les céréales, qui représentent 53% des apports caloriques de la population marocaine, sont un exemple typique de l’érosion de cette capacité de l’agriculture marocaine à couvrir les besoins de sa population.
La croissance continue de la demande
L’augmentation des besoins en « produits de base » doit être comprise comme le résultat de plusieurs facteurs. Il est évidemment le résultat de la croissance démographique, la population marocaine ayant triplé entre 1961 et 2022. Mais il est aussi la conséquence de changements profonds dans les modes alimentaires. Ainsi, la disponibilité par habitant de céréales est passée d’une moyenne de 270 kg par an dans la décennie 1970 à 320 kg/an dans la décennie 2010.
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Il faut cependant nuancer cette augmentation puisqu’elle ne s’est pas nécessairement traduite par une augmentation réelle de la consommation de céréales par habitant puisqu’une large partie de cette variation doit être imputée à l’augmentation de la quantité de céréales destinées à l’élevage et à l’augmentation des phénomènes de gaspillage en zones urbaines. Néanmoins, la consommation de céréales a changé, avec une transition d’une majorité de blé dur et d’orge à une majorité de blé tendre consommé sous forme de farines très raffinées et à l’index glycémique beaucoup plus élevé. Les types de céréales et leurs formes de consommation sont donc moins saines et plus favorables au développement de pathologies comme le diabète.
D’autres « produits de base » ont connu des augmentations de consommation par habitant inquiétantes et dangereuses pour la santé publique. C’est le cas du sucre, dont la consommation est passée de 35 kilos par an par habitant à 48 kilos entre 2001 et 2022. Un marocain consomme en moyenne 500 calories de sucre raffiné par jour soit 4 fois plus que les recommandations de l’OMS. L’augmentation de la consommation par habitant de ces « produits de base » dans la ration journalière de la population marocaine est problématique car elle participe à un régime alimentaire hyper-calorique : 3400 calories pour des recommandations plutôt situées autour de 2000 à 2500 calories. En 1971, le Marocain moyen consommait 2460 calories (2). Ce régime hypercalorique amplifie les phénomènes de surpoids et d’obésité qui concernent désormais respectivement 61% et 21% de la population marocaine.
Par ailleurs, cette surconsommation calorique est atteinte par des « calories vides » ou de mauvaise qualité (farines raffinées, sucres…) qui ne répondent pas aux besoins de la population en protéines ou en nutriments plus spécifiques. Ainsi, les anémies, carences en fer, vitamines B9 et autres carences restent courantes au Maroc. La surnutrition reste ainsi accompagnée de malnutrition.
Une agriculture marocaine incapable de répondre à la demande
Face à l’augmentation massive de la consommation de ces « produits de base », l’agriculture marocaine n’a pas été en mesure de répondre à la demande, dont la croissance a essentiellement été couverte par les importations. Le manque de volonté politique et la posture agro-exportatrice des différentes politiques agricoles en est largement responsable. Mais l’agriculture marocaine est-elle théoriquement capable de couvrir ces besoins ?
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En prenant l’exemple des céréales, la réponse est négative. Les superficies cultivées en céréales sont comprises entre 4 et 4,5 millions d’hectares par an sur 8,5 millions d’hectares de surface agricole utile. Même s’il est réaliste d’envisager une légère augmentation des surfaces cultivées et une légère augmentation des rendements, cela ne permettrait pas de couvrir l’intégralité des besoins en céréales (autour de 18 millions de tonnes) alors que la production actuelle, très dépendante de la pluviométrie, varie entre 3 et 11 millions de tonnes. Par conséquent, l’agriculture marocaine est confrontée à une limite physique pour sa production de « produits de base, dans les paramètres actuels et de répartition des ressources en eau, en foncier, de structure et d’impact du conseil agricole…