Maroc. Nouvelle bataille de positionnement entre les entreprises françaises et espagnoles
Au Maroc, plusieurs secteurs constituent des objets de convoitises pour les entreprises françaises et espagnoles qui se disputent les marchés publics. Mais en face, outre la politique de diversification initiée ces dernières années par le Royaume, elles font face à une concurrence de plus en plus rude de la part des champions marocains et d’autres sociétés étrangères.
Jusque-là, premier partenaire commercial du Maroc, l’Espagne a-t-elle rattrapé son retard sur la France sur le marché marocain dans le domaine des grands projets ? Une question qui taraude les esprits avec l’offensive enclenchée par les entreprises espagnoles dans la foulée du réchauffement des relations entre les deux royaumes avec à la clé la signature en février dernier, entre le Maroc et l’Espagne dans le cadre de la 12 ème réunion de haut-niveau d’une vingtaine d’accords portant sur plusieurs domaines dont le tourisme, les infrastructures, les ressources en eau, l’environnement, l’agriculture, la formation professionnelle, la sécurité sociale, le transport, la sécurité sanitaire et la recherche et développement. Ces accords sont aujourd’hui considérés comme une feuille de route pour laquelle le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albarez, est venu à Rabat le 13 décembre 2023 pour la dynamiser davantage.
L’Espagne met les bouchées doubles
On sait d’ores et déjà que «les deux pays se concertent sur plusieurs projets, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l’aménagement et des transports urbains, des énergies renouvelables, le martime …..», Abdeslam Touhami, Economiste, notant que les canaux de communication directs entre les deux royaumes sont opérationnels à tous les niveaux et de manière permanente, ce qui permet de traiter tous les dossiers selon une approche proactive. «La perspective de l’organisation conjointe de la Coupe du monde en 2030 y contribue aussi», ajoute-t-il. Côté français, après une longue période de froid entre Rabat et Paris, les relations sortent de l’ère glaciaire. Les rencontres entre responsables des deux pays se sont multipliées, témoignant, là aussi, d’une volonté de reprise.
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Pendant ce temps, l’Espagne continue de mettre les bouchées doubles. Il faut dire qu’elle a fait du chemin en développant sensiblement ses échanges économiques avec le Maroc. «Avant même le nouveau partenariat économique bilatéral, qui devrait permettre aux deux pays de maintenir dans le temps une dynamique durable des échanges commerciaux et de mettre en œuvre des projets de développement communs à forte valeur ajoutée, l’Espagne, depuis la fin des années 80, a fait preuve d’une véritable montée en puissance dans le cadre de son partenariat économique avec le Maroc, au point d’arriver aujourd’hui à un niveau lui permettant déjà de rivaliser avec la France», souligne Hakim El Wardi, Economiste. Grâce à sa proximité, l’Espagne dispose d’une réelle avance sur la France, vu que les coûts de transport sont un facteur de compétitivité essentiel dans le commerce. Ensuite, l’organisation territoriale basée sur l’autonomie des régions renforce les opportunités de conclure des partenariats économiques avec le Maroc, l’expérience ayant démontré que cela se fait plus rapidement à petite échelle, comme c’est le cas pour les régions de la catalogne ou de l’Andalousie, que dans un cadre plus global. En d’autres termes, l’Espagne ne semble pas être un concurrent facile à battre au vu de ses atouts et de l’ambition dont elle a fait preuve ces dernières années.
L’avantage historique de la France
Pour l’économie espagnole, le Maroc est une terre d’opportunités, où ses exportations bondissent de près de 20 % par an, dépassant celles de la France depuis une dizaine d’années. Résultat : le Maroc est confronté à un lourd déficit commercial global… avec notamment l’Espagne. Le déficit commercial se creuse de 7,8 milliards de DH passant de 12,1 milliards de DH en 2021 à 19,9 milliards de DH en 2022, selon l’Office des changes. Il faut dire que l’Espagne est parvenue depuis 2012, à chiper la place de premier fournisseur du Maroc à la France tout en étant son 2ème client. En revanche, le Maroc enregistre un excédent commercial vis-à-vis de la France depuis 2017. En 2022, l’excédent se chiffre à 2,5 milliards de DH contre 11,7 milliards de DH une année auparavant, soit une baisse de 9,2 milliards de DH.
La même concurrence entre les deux voisins, on la retrouve également au niveau des investissements, même si la France jouit à ce niveau d’un avantage historique. L’Hexagone reste de loin le premier partenaire économique du Royaume en termes d’investissements directs étrangers (IDE) avec près de 31% du stock d’IDE au Maroc. En 2020, les IDE français (20 milliards de dollars) ont pesé presque quatre fois ceux de l’Espagne (5,6 milliards de dollars), 3ème investisseur au Maroc, derrière les Emirats Arabes Unis (14 milliards de dollars). Sur ce marché marocain, la France et l’Espagne se disputent plusieurs secteurs. Les deux pays se retrouvent comme de sérieux concurrents dans les projets structurants du Maroc. Les entreprises françaises et espagnoles se disputent les marchés publics, les projets d’énergie renouvelable, les projets ferroviaires, la construction et l’exploitation des usines de dessalement de l’eau de mer, les services de gestion déléguée du transport urbain, …
La rude concurrence des champions marocains
Si pour l’instant, chacune des deux parties essaie de tirer son épingle du jeu, il n’est pas rare de voir certaines entreprises des deux pays former un consortium pour décrocher un marché public. Car, souvent aussi, leurs entreprises sont fortement concurrencées, pas seulement par d’autres entreprises étrangères mais surtout des champions marocains. Par exemple, c’est le cas aujourd’hui pour les marchés de construction des autoroutes, jadis remportés quasiment par les entreprises étrangères. Récemment, en effet, la Société Nationale des Autoroutes du Maroc (ADM) a démarré des travaux de construction de la nouvelle autoroute Tit Mellil-Berrechid. L’infrastructure qui nécessitera un investissement global de 2,5 milliards de DH, sera la première autoroute nationale avec une conception initiale en 2X3 voies avec une réalisation entière par des compétences marocaines. Une première dans l’histoire du réseau autoroutier national. ADM a entièrement confié le chantier, scindé en quatre lots, à des compétences 100 % marocaines.
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Autre exemple patent : le projet de l’autoroute de l’eau 100% marocain. En effet, suite à une procédure d’Appel d’Offres Conception-Réalisation avec préfinancement, la réalisation de ce projet de l’interconnexion entre le bassin de Sebou et le bassin du Bouregreg a été confiée à un groupement d’entreprises marocaines composé de SOMAGEC (Mandataire), SGTM, STAM et SNCE. L’infrastructure a pour objectif la valorisation des volumes d’eau du bassin de Sebou perdus en mer en les transférant vers les bassins hydrauliques de Bouregreg, de l’Oum Er Rbia et du Tensift, afin de permettre la sécurisation de la demande en eau potable des villes de Rabat et de Casablanca ainsi que les besoins de l’agriculture des régions concernées. Ledit projet, au coût total estimé à environ 6 milliards de DH qui a bénéficié de l’expertise de ces entreprises marocaines de renommée mondiale, aurait normalement pris une durée de 3 ans, mais il a été accompli dans un délai 6 mois. Un délai record.
Ce n’est pas un hasard si de plus en plus d’entreprises françaises et espagnoles s’allient aussi avec des champions marocains sur certains grands projets comme sur la future usine de dessalement de Casablanca, où le consortium mené par l ’Espagnol Acciona et comprenant les marocains Green of Africa et Afriquia Gaz, a remporté le contrat de construction et d’exploitation de cette future station. Idem pour le groupement formé par le français Engie et le marocain Nareva, qui a été déclaré adjudicataire du projet de dessalement de Dakhla. De telles expériences de collaboration sont devenues fréquentes. En témoigne, la collaboration du marocain Gaia Energy, spécialisé dans la production l’hydrogène vert et la décarbonation, avec des entreprises espagnoles. «Nous avons créé un environnement de collaboration qui montre que les entreprises marocaines peuvent être à la hauteur des attentes des entreprises espagnoles», souligne son fondateur et président, Moundir Zniber, qui s’est allié à Iberdrola pour proposer des solutions de décarbonation aux entreprises marocaines. « Le Maroc pourrait être « le prochain Arabie saoudite de l’énergie verte. Il pourrait produire un grand volume d’énergie décarbonée dont l’Europe a besoin. Et cela pourrait être réalisé avec des entreprises espagnoles telles que Abengoa ou Iberdrola. C’est pourquoi, nous avons aussi d’autres collaborations en cours dans le domaine de l’hydrogène avec des entreprises telles que Enagás et Arcelor, qui sont très satisfaisantes», dit-il.
Aujourd’hui, outre sa politique de diversification des partenaires du Maroc, ces entreprises sont également à l’offensive particulièrement sur le marché français. L’ambassade de France à Rabat, a confirmé la première place du Royaume en tant qu’investisseur africain dans l’hexagone en 2022. Le royaume occupe la première place en termes de création d’emplois (682) et la deuxième place en termes de nombre de projets implantés en France en 2022 (12). En effet, les nouvelles implantations marocaines en France ont connu une augmentation de plus de 160% du nombre d’emplois créés ou sauvegardés par rapport à l’année précédente. En France, les principaux investisseurs marocains sont les groupes «Safari» (mobilier), «Intelcia» (services), «Groupelec» (conception des tableaux électriques), «TGCC» (immobilier) ainsi que des grandes banques comme «Attijariwafa bank», «BMCE Bank» et «Chaabi Bank».
Ferroviaire. Les français en pole position
Alors que l’ONCF a récemment officialisé son appel à concurrence pour l’acquisition de 168 trains (150 trains pour les services intervilles, Trains Navettes Rapides et Métropolitains, ainsi que 18 Trains à Grande Vitesse pour les extensions des lignes Grande Vitesse), ce marché verra s’affronter au Maroc tous les grands constructeurs internationaux de matériel roulant, notamment européens et chinois. En jeu, un investissement de 16 milliards de DH. Le français Alstom, l’allemand Siemens Mobility, les espagnols CAF et Talgo, l’italien Ansaldo Breda (devenu Hitachi Rail Italy), le chinois CRRC ou encore le coréen Hyundai, comptaient déjà parmi la dizaine d’industriels présélectionnés lors d’un Appel à Manifestation d’Intérêt international (AMI) autour de cette acquisition, lancé en novembre 2022 par l’ONCF au Maroc. Désormais, le constructeur ferroviaire français se positionne comme candidat ferme. Il présenterait des offres pour les principaux lots mis en concurrence par l’ONCF, qui a confirmé ce projet dans un communiqué publié le 13 novembre dernier. Il faut dire que le groupe est de longue date fournisseur de l’ONCF, mais aussi des sociétés de transport public de Rabat et Casablanca avec ses tramways. Le groupe français a notamment fourni le matériel roulant (12 Alstom Euroduplex) du TGV Tanger-Casablanca, baptisé Al Boraq, le premier du continent, inauguré le 15 novembre 2018 par le Roi Mohammed VI et le Président français, Emmanuel Macron.
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Aujourd’hui, dans le cadre du nouvel appel à concurrence lancé par l’Office dirigé par Mohamed Rabie Khlie et au vu de la taille de ses marchés, l’ONCF, qui a transporté 45 millions de passagers en 2022, exigera, selon les termes de l’appel d’offres, que ses fournisseurs s’engagent sur des investissements industriels dans le matériel roulant. L’objet du méga-appel d’offres groupé est de créer un effet de masse et donc de susciter la création d’un écosystème ferroviaire complet dans le royaume, à l’image de ce qu’avait par exemple réussi voilà une décennie l’Afrique du Sud avec les contrats Gautrain (3,5 milliards d’euros), emporté par Bombardier, groupe repris depuis par Alstom, puis Prasa (4,4 milliards d’euros), emporté par Alstom. À ce jour, Alstom, dont la filiale marocaine est dirigée par Mehdi Sahel depuis 2022, est le seul constructeur ferroviaire international à avoir une présence industrielle significative au Maroc. Le groupe avait ouvert une première usine (alors avec Nexans, sorti depuis) de harnais électriques et des transformateurs à Fès, dans lesquels il a constamment réinvesti. Il a annoncé le 13 juillet dernier la création pour 14,6 millions d’euros d’un second site industriel, également à Fès, qui fabriquera des cabines de conduite de trains régionaux et de métros (200 emplois).
Il faut dire, que l’ONCF sait très bien que son marché lucratif est lorgné par un nombre important d’acteurs sur la planète qui se livrent une concurrence féroce. Parmi eux, l’espagnol Talgo qui a clairement fait savoir son intérêt de participer à cet appel d’offres. «Talgo cherche à mettre en évidence le potentiel important de deux de ses principaux produits: le train à grande vitesse (TGV) AVRIL et le train léger de banlieue et régional EMU, qui peut atteindre 160 kilomètres à l’heure, mais qui n’a pas encore été commercialisé», explique La Información, non sans préciser que ce train a récemment obtenu l’autorisation définitive de circulation en Espagne et attise déjà les convoitises d’opérateurs internationaux qui envisageraient d’effectuer des commandes. Pour autant, force est de reconnaitre que le français Alstom part avec une grande longueur d’avance sur tous ses concurrents. A noter, que le planning de livraison s’étalera sur 4 ans entre 2027 et 2030.
Industrie automobile. Un secteur dominé par les constructeurs français
L’industrie automobile marocaine a connu, ces dernières décennies un développement remarqué, avec des performances significatives à l’export et en termes de création d’emplois, comme en témoigne une croissance moyenne à deux chiffres pour ces deux indicateurs, au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de plus de 85 milliards de DH, cette filière est la première exportatrice du Royaume, avec un taux d’intégration locale de 64%. C’est, aussi, désormais le premier hub de construction automobile du continent. Il faut dire que c’est depuis la mise en service de l’usine du constructeur français Renault à Tanger, en 2012, que le secteur a connu cette nouvelle dynamique, comme en témoigne le relèvement substantiel de la capacité de production du secteur, qui a atteint environ 700.000 unités. Le Royaume a atteint une telle performance grâce aussi à un autre constructeur français de véhicules et de moteurs, Stellantis.
En effet, il y a 4 ans, en 2019, Peugeot, qui fait désormais partie de Stellantis, a suivi l’exemple de Renault. Elle a ouvert une usine d’un coût de près de 600 millions de dollars à Kénitra, avec une capacité de 200.000 véhicules. En novembre dernier, Stellantis, qui fabrique la Peugeot 208 dans cette usine, a annoncé qu’elle investirait 300 millions d’euros supplémentaires pour doubler la production et la porter à 400.000 véhicules. Mais, cette filière ce n’est pas seulement l’assemblage et/ou la construction automobile, ce sont, aussi, des écosystèmes développés à partir des deux constructeurs français Renault et Stellantis. En d’autres termes, l’arrivée de ces deux constructeurs français a entraîné une vague d’investissements d’équipementiers automobiles dans le royaume. Qu’ils viennent d’Europe, des États-Unis, du Japon ou de Chine, les investissements n’ont jamais fléchi depuis le début de l’ouverture de l’usine géante de Renault à Tanger et celle de Stellantis qui a donné toutefois un nouvel élan au secteur, que ce soit en rang 1, 2 ou 3.
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Si les constructeurs tricolores ont attiré la plupart des équipementiers automobiles à s’implanter autour d’eux, le potentiel de l’industrie automobile marocaine, qui se classe parmi les 24 producteurs mondiaux de véhicules, a fait écho auprès des entreprises espagnoles du secteur, qui se sont également implantées pour surtout deux de leurs principaux clients, les groupes Renault, qui s’approvisionnait au Maroc pour plus de 60% des pièces de ses véhicules, et Stellantis. Le nombre d’équipementiers du voisin ibérique au Maroc va crescendo. Par exemple, les multinationales Ficosa et Gestamp ont ouvert deux usines de production dans le royaume, tandis que deux autres entreprises déjà présentes, Teknia et Antolín, en ont ouvert de nouvelles. D’après la version la plus récente du répertoire compilé par l’Institut espagnol du commerce extérieur (ICEX España), 20 entreprises de la filière automobile sont actuellement implantées au Maroc.
Les atouts marocains suscitent l’attrait des investisseurs espagnols sur le volet automobile : la proximité géographique avec l’Espagne, une main d’œuvre très compétitive et un personnel qualifié et les accords commerciaux que le royaume a signés avec l’Union européenne et les Etats-Unis. Pour rappel, le Maroc compte aujourd’hui plus de 250 équipementiers automobiles, dont beaucoup sont des filiales d’entreprises étrangères, qui emploient quelque 220.000 personnes.
transition énergétique. Un marché prometteur très convoité
Le gouvernement marocain porte de fortes ambitions en termes de transition énergétique. Une démarche qui s’inscrit aussi dans des grands plans stratégiques comme le Plan d’accélération industrielle 2021-2025 pour développer la transformation des entreprises. Cette perspective offre des opportunités de collaboration entre les acteurs marocains et étrangers, notamment dans les secteurs de la décarbonation industrielle, l’éco-construction et la transition énergétique. Il faut dire que la transition énergétique et la décarbonation constituent de nouvelles opportunités de coopération pour continuer à générer des bénéfices mutuels autour des investissements dans les énergies renouvelables ou le développement de l’hydrogène vert.
Premier opérateur mondial de l’énergie éolienne, l’espagnol Iberdrola, leader mondial de l’énergie propre, des réseaux et du stockage, a récemment confirmé ses visées sur le Maroc. Il a en effet noué un partenariat avec la Société financière internationale (SFI), qui fait partie du groupe de la Banque mondiale, pour soutenir l’énergie propre et la décarbonation dans plusieurs pays, dont le Maroc. Les deux parties discutent déjà d’un « prêt vert» pour le développement de projets d’énergie renouvelable dans des pays émergents tels que le Maroc, la Pologne et le Vietnam. Pour rappel, Iberdrola qui s’est installé dans le Royaume en 2021, est déjà en concurrence avec cinq autres consortiums pour la construction de la grande centrale photovoltaïque, Noor Midelt II, au Maroc d’une capacité de 400 MW, avec un investissement estimé à 500 millions d’euros. En attendant, le leader mondial de l’énergie propre, des réseaux et du stockage s’est allié au groupe marocain Gaia Energy pour accompagner les industriels pour amorcer leur transition énergétique.
Globalement, le Royaume séduit de plus en plus d’étrangers souhaitant investir dans les énergies renouvelables, notamment les groupes français et espagnols qui se livrent une bataille de positionnement. Si en 2022, les énergies renouvelables représentaient 16 % de la production totale d’électricité du Maroc, le Royaume prévoit de porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique à 52 % d’ici 2030. Sur ce marché national, outre les entreprises marocaines, français et espagnols font face aux groupes émiratis, saoudiens, japonais, chinois et coréens, qui tiennent à répondre présents dans les appels d’offres. Pour autant, cela ne semble pas tétaniser les entreprises françaises et espagnoles.
En fin octobre 2023, une dizaine d’entreprises espagnoles ont pris part au Maroc, à une double mission de l’organisme public espagnol chargé de la promotion de l’internationalisation des entreprises nationales ICEX dédiée à l’investissement dans les énergies renouvelables. Parmi ces entreprises figuraient TSK, qui a chapeauté la première phase de conception et de construction des complexes solaires de Ouarzazate et de Midelt, et Oca Global, société d’inspection et d’essai réputée dans le domaine des énergies renouvelables. Cette dernière est déjà présente au Maroc à travers sa filiale Oca Global Testing & Inspection Maroc. Toutes ces entreprises espèrent tirer profit du fort potentiel du Royaume dans les énergies renouvelables et obtenir des marchés publics afférents.
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Quelques mois auparavant, c’est la banque publique d’investissement française, ayant pour mission le financement et le développement des entreprises de l’Hexagone, qui a accompagné seize fleurons de la French Fab et du secteur des énergies renouvelables en mission au Maroc grâce à un partenariat avec le Club Ademe international et la Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc (CFCIM. C’était d’ailleurs la première mission du nouveau bureau régional de Bpifrance en Afrique du Nord, basé à Casablanca. Baptisée « Explore & Match Industrie 4.0 et Transition Energétique Maroc », elle ambitionnait de proposer à 16 entreprises spécialisées dans la transition énergétique et des énergies renouvelables de nouer des relations d’affaires au Maroc dont la France est le 2e partenaire commercial après l’Espagne. Plus concrètement, ces acteurs français cherchaient à décrypter les attentes et les stratégies des grands acheteurs et acteurs stratégiques marocains, d’analyser les pratiques de la concurrence locale pour affiner leur plan d’action et de calibrer les moyens commerciaux adaptés aux partenaires marocains.
Usines de dessalement de mer. Un bataillon de groupes espagnols face à 2 groupes français
Sous l’effet de l’augmentation du stress hydrique dans plusieurs régions du monde et de la réduction des coûts, le marché de la construction et de l’exploitation des usines de dessalement d’eau de mer connaît un boom sans précédent. Le Maroc qui vit depuis quelques années une crise d’eau, a un ambitieux programme d’investissement pour investir dans de nouvelles usines. Il devra tripler ses capacités à l’horizon 2030 avec plus d’une vingtaine de stations permettant de produire près de 1,3 milliard de m3 d’eau par an, destinée à différents usages. Actuellement, le Royaume compte 11 stations de dessalement d’eau de mer en service. Sept autres stations sont en cours de réalisation. Neuf autres unités sont programmées à l’horizon 2030. Pour cela, le Maroc a considérablement augmenté les fonds alloués au Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (PNAEPI) 2020-2027, de 115 à 150 milliards de DH. L’objectif étant de rattraper les retards enregistrés dans certains projets et l’avancement d’autres, surtout en matière de stations de dessalement de l’eau de mer. De quoi susciter la convoitise des leaders historiques du marché mondial de la construction et de l’exploitation des usines de dessalement, comme les Français Engie et Veolia/Suez ou encore les Espagnols Abengoa et Acciona. Logique donc que ces deux pays se livrent une bataille sur le marché national.
Acciona qui exploite 85 usines dans le monde avec environ 5 millions de m3 d’eau dessalés chaque jour, vient d’ailleurs de remporter le 17 novembre dernier le marché relatif à la construction et à l’exploitation de la future station de dessalement d’eau de mer de Casablanca. Le consortium qu’il a mené dans ce cadre comprend deux filiales du groupe Akwa, notamment Afriquia Gaz et Green of Africa. Le projet, lancé par l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) dans le cadre d’un partenariat public-privé, doit permettre de renforcer et sécuriser l’alimentation en eau potable d’une partie de la région de Casablanca-Settat, tout en fournissant de l’eau pour l’irrigation. Le projet consiste à concevoir, financer, réaliser et exploiter pendant une durée de 30 ans (répartie entre 3 ans pour la réalisation et 27 ans pour l’exploitation) une station de dessalement d’eau de mer, avec une capacité de 548.000 m3 par jour (200 millions de m3 par an), extensible à 822.000 m3 par jour d’eau traitée (300 millions de m3 par an).
Etaient en lice pour ce marché de dessalement de plus de 8 milliards de DH, outre le consortium mené par Acciona, cinq autres, notamment Nareva et son partenaire français Suez, ainsi que par le géant français Veolia, agissant en consortium avec le groupe émirati Taqa, l’espagnol Abengoa qui vient d’achever la construction de l’usine de dessalement d’Agadir et qui s’est associé à l’énergéticien français Engie qui a décroché le contrat de l’usine de dessalement de Dakhla aux côtés de Nareva.
De son côté, le groupe madrilène Lantania, spécialisé dans l’eau et l’électricité était aussi en lice en formant un consortium avec son compatriote Tedagua, le chinois Sepco III, Fipar Power Holding du Maroc, et Acwa Power, un IPP basé à Riyad en Arabie Saoudite. Le spécialiste israélien du dessalement IDE Technologies s’est allié à la société japonaise Mitsui pour former un consortium avec la SGTM et la Somagec.
Si le français Engie qui a fait un tandem avec Nareva s’apprête à démarrer les travaux de la station de dessalement de Dakhla qui a mobilisé un investissement de près de 2 milliards de DH, les groupes français semblent être devancés par leurs homologues espagnols qui ont réalisé la plupart des premières usines de dessalement lancées dans le Royaume.
Même s’il arrive qu’ils soient en confrontation directe sur certains appels d’offres, il n’empêche que sur certains marchés, espagnols et français forment des groupements communs pour soumissionner.
Mais tout indique aussi qu’Engie et Suez continueront de faire face au bataillon de groupes espagnols qui guettent le moindre projet de dessalement. Et ce n’est pas ça qui manque avec les nombreux appels d’offres que l’ONEE s’apprête à lancer : la station de dessalement dans l’Oriental, l’extension de la station de dessalement d’Agadir, l’extension de la station de dessalement de Sidi Ifni, la station de dessalement à Guelmim…
Aujourd’hui, l’Exécutif espagnol a compris les enjeux. Il sait que le Maroc est pleinement engagé dans la mise en œuvre du programme ambitieux d’installations d’usines de traitement de l’eau et de dessalement pour lutter contre le stress hydrique. En juin dernier, il a ouvert plus d’opportunités aux entreprises espagnoles en octroyant à l’ONEE un prêt remboursable de 5 millions d’euros via le Fonds d’internationalisation des entreprises espagnoles. Cette manne est destinée à financer le projet de construction de deux stations d’épuration d’eau à Zag et Moulay Brahim.
Iberdrola, Acciona, Cobra, … Les Espagnols bien positionnés sur Noor Midelt III
L’ambitieux projet de centrale solaire marocaine a attiré nombre de grands groupes internationaux. Au terme d’un appel d’offres lancé le 9 août 2023, l’agence marocaine chargée de piloter les énergies renouvelables MASEN a retenu huit groupes ou consortiums pour construire la centrale solaire photovoltaïque de Noor Midelt III, d’une puissance d’environ 400 mégawatts. Cette centrale sera dotée d’une capacité de stockage à base de systèmes batteries (BESS) de 400 MWh environ.
Parmi les préqualifiés, les entreprises espagnoles ont la part belle avec Acciona Generacion Renovable SA qui s’est associé au marocain Green of Africa ou encore Cobra Instalaciones y Servicios SA (Espagne) en consortium avec le français Vinci Concessions SAS. Leur compatriote Iberdrola Renovables Internacional S.A.U a fait cavalier seul, à la différence des français de EDF Renouvelables SA et GDF International SA (France) qui se sont respectivement joints à Mitsui & Co (Japon) et Kahrabel FZE (EAU) pour déposer leur candidature.
Les locaux de TAQA Morocco et Nareva Holding ont respectivement choisi ACWA Power Company et Masdar comme partenaires sur l’appel d’offres. Enfin, un tandem formé par les chinois de SPIC Huanghe Hydropower Development et les Emiratis d’AMEA Power est également en lice.
Même si dans deux consortiums en course, on peut constater que français et espagnols ont constitué des groupements, les entreprises espagnoles sont globalement bien positionnées.
Pour rappel, le candidat retenu par Masen au cours des prochains mois sera chargé de la conception, du financement, de la construction, de l’exploitation et de la maintenance de cette troisième centrale du complexe solaire Noor Midelt. Structuré en financement de projet, Noor Midelt III permettra d’attirer davantage le secteur privé pour le déploiement des énergies renouvelables et plus de banques commerciales marocaines et internationales dans son financement. Avec ses trois centrales Noor Midelt, le complexe marocain abritera l’une des plus grandes capacités solaires et de stockages renouvelables au monde, avec une puissance totale d’environ 1 600 MW. Une capacité qui s’aligne avec les ambitions du Maroc, puisque le Royaume a pour objectif d’atteindre 52% de parts d’énergies renouvelables dans le mix électrique national à l’horizon 2030.