Culture

Le cinéma marocain : Ça tourne… pas rond !

Le cinéma marocain n’arrive pas encore à réaliser son plein potentiel. Problèmes de financement, absence de distributeurs, absence de feuille de route… Les contraintes au décollage de cette industrie sont légion.

Des salles de cinéma de plus en plus rares, une clientèle aux abonnés absents, des films marocains de plus en plus rares, un fonds d’aide qui ne satisfait pas, des réalisateurs frustrés face à des financeurs confrontés à la malhonnêteté intellectuelle de certains entrepreneurs du secteur… Voilà l’état du paysage du cinéma marocain à travers le regard de ses acteurs que nous avons pu contacter lors de notre enquête. Selon les chiffres de l’OMPI, le secteur du cinéma à l’échelle mondiale a enregistré un chiffre d’affaires de 33,2 milliards de dollars, soit une croissance de 21,8%. Toujours selon l’OMPI, la croissance de la production cinématographique en 2023 a été principalement tirée par l’Inde (+679 films), le Japon (+144), la Turquie (+111) et l’Espagne (+49). Aujourd’hui, sur le plan économique international, le secteur du cinéma est une industrie non négligeable. De nouveaux pôles du cinéma comme la Turquie ou encore le Japon l’ont bien compris, sans oublier les externalités en termes de soft power et de positionnement de leur narratif sur le grand marché mondial.

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Même si sur le continent, le Maroc demeure en tête de file, faisant un bond de 19 places pour atteindre le 45e rang du classement mondial, passant de 8 films en 2021 à 25 en 2022, le pays peut nettement se positionner dans le cénacle des grands acteurs. Surtout à l’heure où, depuis quelques décennies, sous la conduite éclairée du Souverain, le pays se positionne comme une nation avec laquelle il faut compter dans bon nombre d’industries stratégiques. À quand donc le plan d’accélération du cinéma marocain à la lumière du poids stratégique de cette industrie dans ce monde de compétitivité tout azimut ?

Les péchés capitaux du secteur

Pour comprendre les défis du secteur, Challenge est allé sur le terrain et a observé les lacunes du secteur à travers les lunettes des experts du secteur. D’entrée, nous avons appris que 95% des financements des films marocains proviennent de l’État.

« Avant 1980, on produisait un à deux films par an. Après 1980, on a commencé à produire des courts et des longs métrages grâce à la subvention de l’État. Avant, cette subvention était prélevée sur les tickets de cinéma car il y avait environ 50 000 spectateurs par an dans les salles de cinéma. C’est à partir de ces recettes-là que l’on prélevait un impôt destiné à la caisse du fonds de soutien. Mais comme les salles rétrécissaient au fil des années, il n’y avait pratiquement plus de spectateurs, ce qui a poussé l’État à trouver un moyen d’alimenter ce fonds en instituant l’avance sur recettes de l’ordre de 60 millions de dirhams par an, plus 15 millions accordés au documentaire culturel, » explique le réalisateur Fouad Souiba.

Et de préciser : « Si un seul film, par exemple sur l’histoire, obtient 6 millions, il prendra toute la cagnotte de l’année et les autres cinéastes et techniciens seront au chômage toute l’année. Il y a donc une véritable nécessité à trouver un marché pour le film marocain, car on ne peut pas faire un film sans qu’il y ait un marché conséquent, » alerte Fouad. Le modèle économique du cinéma est ainsi biaisé puisqu’il n’y a pas de marché pour l’accueillir. Par ailleurs, après la question du financement, le secteur fait également face à des défis logistiques, notamment la question des salles qui handicape énormément l’évolution du secteur.

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« L’autre défi, qui est le plus important pour moi, c’est de pouvoir un jour rénover les salles fermées, les salles historiques de quartier, qui sont dans l’ordre d’une centaine ou cent cinquante, et qui sont fermées. Il faut les réhabiliter pour le grand bonheur des habitants de ces quartiers populaires, des quartiers anciens, des médinas, où beaucoup de salles sont fermées et qui tombent en ruines. »

Toujours dans le même sens, le réalisateur nous explique aussi qu’un autre défi est de promouvoir la culture cinématographique auprès des Marocains, qui ont perdu l’habitude de voir les films en salle, surtout à l’heure des plateformes comme Netflix. Abordant l’épineuse question du manque de distributeurs, qui s’avère être le talon d’Achille du secteur, Siham El Faidy, CEO de Concept Prod, déclare : « Aujourd’hui, au Maroc, le problème de la distribution est une véritable équation insoluble. » Et de préciser : « C’est ce maillon qui permet d’exporter les films à l’international. » Selon l’experte, le cinéma marocain a besoin d’une véritable feuille de route de développement à l’aune des défis actuels et des opportunités que ce secteur pourrait apporter au positionnement du Maroc sur la carte mondiale.

Un défi du nouveau modèle de développement

La culture et la créativité comme levier de développement du Maroc sont placées à un haut niveau des objectifs de développement du pays. Le rapport du nouveau Modèle de Développement consacre un axe stratégique à part entière avec quatre orientations majeures : l’accroissement de la demande, l’activation, l’animation et la professionnalisation des lieux culturels, la préservation et la réinvention du patrimoine, et enfin l’investissement dans les arts visuels, le cinéma et les arts numériques pour le développement de contenus de qualité et d’un soft power renouvelé par l’imaginaire et la création. Ce document appelle à doter les jeunes des compétences pour demain, à leur offrir des opportunités qui améliorent leurs perspectives d’avenir, et à leur garantir des espaces d’expression, de participation citoyenne et de prise d’initiative. Cependant, des insuffisances demeurent.

Selon un rapport de la Fédération des industries créatives et culturelles de la CGEM, « la filière audiovisuelle dispose d’une subvention publique qui se situe à trois niveaux : le budget annuel alloué aux télévisions publiques est estimé à 900 millions de dirhams par an pour la Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision (SNRT). Les aides à la production et à la post-production distribuées par le Centre Cinématographique Marocain aux films marocains (longs métrages et docu-fictions au titre de l’année 2020) s’élèvent à 36 767 500 Dhs (hors taxes). Les budgets investis par la production étrangère au Maroc étaient de 796 487 164,69 Dhs (hors taxes) en 2019 et sont passés à 211 029 740,86 Dhs (hors taxes) en 2020. » « Il est évident, à la lecture de ces chiffres, que le contexte de crise, la fermeture des lieux de représentation et d’exposition, ajoutés à la réduction structurelle des circuits de diffusion des biens culturels, augmentent la dépendance des acteurs en place aux logiques de subvention étatique. »

Le cinéma marocain en chiffres en 2022

Selon le dernier bilan du CCM, les recettes guichet s’élèvent à 77,3 millions de dirhams (DH) [plus de 7,1 M€], soit une baisse de 16 % par rapport à 2019. Ainsi, le prix moyen du ticket s’élève en 2022 à 52 DH (4,8 €), soit 1,3 % du salaire moyen marocain (autour de 4 080 DH), en hausse par rapport aux années précédentes. Les six cinémas marocains de Megarama, répartis dans cinq villes et hébergeant 48 écrans (soit 69 % des écrans en activité dans le pays), ont affiché 84 % de parts de marché, soit 65 millions de DH de recettes, sachant que plus du tiers des entrées du pays (37 %) ont été réalisées au Megarama de Casablanca. Les deux établissements de CinéAtlas, dont l’un a ouvert en octobre 2022 (7 écrans au total), ont représenté environ 5 % des recettes guichet.

 
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