Interview

Yasmina Asrarguis: « La montée du Sud Global transforme les rapports de force entre l’Occident et l’Orient »

Yasmina Asrarguis, chercheuse spécialisée dans les Accords d’Abraham et les normalisations israélo-arabes à l’université Sorbonne-Nouvelle, membre de l’observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, décrypte les dynamiques de la diplomatie des hydrocarbures qui bouleversent la région.

En tant que l’un des leaders du Sud Global, ces dernières années, Riyad affiche un véritable soft power. En se détachant du bloc occidental auquel il était étroitement lié depuis 1945, Riyad entend, avec son entrée dans les BRICS, désormais jouer un rôle croissant dans ce pôle émergent. Un rôle de premier plan qui correspond à son envergure financière et à sa capacité à peser sur l’économie mondiale en mettant sa production pétrolière au service exclusive de ses intérêts. En renforçant sa position sur l’échiquier diplomatique mondial, Riyad gagne ses galons de puissance régionale, principale interlocutrice des puissances comme la Russie, la Chine ou l’Inde mais aussi des pays occidentaux. Pour les experts du Moyen-Orient, les États-Unis enregistrent une perte d’influence auprès d’un acteur principal de leur stratégie régionale.

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Aujourd’hui, avec le prince MBS, c’est un tout nouveau contexte qui soulève des interrogations sur les accords de Quincy qui ont toujours constitué un ciment des relations entre les deux pays. Aujourd’hui, nous sommes dans un échiquier mondial recomposé, où les acteurs du Sud global revendiquent leur droit de cité. Pour Challenge, l’experte livre un décryptage de ce nouveau tableau du Moyen-Orient qui contredit les prévisions de Zbigniew Brzeziński, auteur du célèbre livre « Le Grand Échiquier » qui présente la doctrine hégémonique des USA.

Challenge. Peut-on dire aujourd’hui qu’avec MBS, il faut un new deal adapté aux nouvelles réalités ?

Yasmina Asrarguis. L’Arabie saoudite utilise l’accord sur le pétrodollar dans le but d’exercer une pression sur Washington dans le cadre de ses négociations concernant les installations nucléaires et de défense. Riyad désire sécuriser des avantages stratégiques et sécuritaires, diversifier son économie et atteindre les objectifs de la Vision 2030 annoncée par Mohammed Ben Salman. La continuité du pétrodollar est naturellement un outil stratégique afin de réaliser l’ensemble de ces ambitions, d’autant que la montée du Sud Global transforme les rapports de force entre l’Occident et l’Orient, ainsi qu’entre les pays du Nord et les BRICS. En mettant sur la table la possible fin du système « pétrodollar », l’Arabie saoudite vise ainsi à négocier des conditions favorables avec les États-Unis au milieu de dynamiques géopolitiques changeantes, de réformes économiques internes mais également de reprise des négociations concernant la normalisation avec Israël. En tant que principal exportateur de pétrole et membre clé de l’OPEP, l’Arabie saoudite exerce une influence considérable sur les prix mondiaux du pétrole. Dans ce contexte, le prince héritier utilise l’ensemble de ses atouts, notamment son rôle sur le marché pétrolier, afin de maintenir son bras de fer avec une administration Biden fragilisée dans son action au Moyen-Orient, et désireuse de redresser la barre avant les élections de novembre 2024.

Comment analysez-vous le positionnement des USA dans la région dans ce nouveau contexte ?

Si l’Arabie saoudite abandonne le pétrodollar, le positionnement des États-Unis au Moyen-Orient devra se réinventer fondamentalement. Mais dans un premier temps, la remise en cause du pétrodollar pourrait affaiblir la demande mondiale de dollars américains, conduisant à une dépréciation de la monnaie et à une augmentation des coûts d’emprunt pour les États-Unis. Cette évolution pourrait nécessiter une réévaluation des stratégies économiques, géopolitiques et militaires américaines dans la région. Les États-Unis devront dans ce contexte naviguer habilement entre la défense de leurs intérêts économiques, le maintien de leur influence stratégique, et la gestion de la concurrence avec d’autres puissances mondiales comme la Chine et la Russie, dont la présence dans le Golfe est grandissante.

Aujourd’hui, quelle diplomatie des hydrocarbures les États-Unis doivent-ils adopter ? Y a-t-il un repositionnement en Amérique du Sud ?

La diplomatie des hydrocarbures des États-Unis aujourd’hui est influencée par plusieurs facteurs géopolitiques, économiques et environnementaux. Les États-Unis ont fait des progrès significatifs vers l’indépendance énergétique grâce à la production de pétrole et de gaz de schiste. Cependant, ils continuent à importer des hydrocarbures pour diverses raisons, notamment la qualité du pétrole nécessaire pour certaines raffineries. Pour cette raison, la diplomatie des hydrocarbures américaine tente d’équilibrer la sécurité énergétique nationale, les impératifs économiques et la nécessité de répondre aux défis climatiques. En Amérique du Sud, cela pourrait signifier un engagement plus fort avec des pays comme le Brésil et l’Argentine, ainsi qu’une promotion active des investissements dans les technologies d’énergie propre. En effet, l’Argentine possède d’importantes réserves de gaz de schiste à Vaca Muerta, et les entreprises américaines y portent un intérêt particulier. Dans le même temps, les relations entre les États-Unis et le Brésil pourraient être renforcées, car le Président Lula cherche à attirer des investissements étrangers. En revanche, pour ce qui est du Venezuela, les États-Unis maintiennent leurs sanctions sévères contre le régime de Maduro, et cherchent à soutenir une transition démocratique. À noter que le Venezuela possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde. Tant que l’administration Biden sera au pouvoir, le cap restera fixé sur la lutte contre le dérèglement climatique, cela passe par la promotion d’énergies renouvelables en vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

 
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