Interview

Zakaria Fahim : “Le PLF 2025 doit prioriser la lutte contre le chômage au-delà du simple soutien macroéconomique”

En cours d’élaboration, le PLF 2025 est très attendu au niveau national à la lumière des défis socio-économiques. Au sein de la classe financière, le Managing Partner de BDO Maroc, l’un des mastodontes de l’audit, fait le point sur cette question.

L’année 2025 est une année charnière dans le processus de développement que le Maroc s’est défini d’ici l’année 2030. Et aujourd’hui, dans l’esprit de la note de cadrage du projet de loi de finances, le gouvernement ambitionne de passer à un autre mode de croissance. Dans ce champ d’impulsion de croissance, le gouvernement s’est donné plusieurs objectifs, parmi lesquels figurent le déploiement progressif du projet de transformation numérique de l’administration judiciaire, la poursuite de l’opérationnalisation de la réforme du secteur des établissements et entreprises publics, la poursuite de l’allocation de crédits budgétaires aux régions, estimés à 10 milliards de dirhams (MMDH) par an, ainsi que le soutien aux collectivités locales, en particulier les petites et moyennes, en augmentant leur part dans la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Au volet de la sécurité hydrique, un sujet de haute importance, l’exécutif s’engage à achever le programme de construction des barrages et des usines de dessalement d’eau de mer, selon son programme spécifique, qui vise à mobiliser plus de 1,7 milliard de mètres cubes d’eau par an. Très attendu par l’intelligentsia, Challenge décrypte, dans cette interview accordée à Zakaria Fahim, Managing Partner de BDO Maroc, les enjeux économiques de ce nouveau projet de loi de finances.

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1. Au-delà de la question du chômage, quelles sont, selon vous, les questions centrales qui devraient être prises en compte par le prochain PLF au Maroc ?

En effet, plusieurs chantiers doivent être pris en compte par l’esprit du PLF en cours d’élaboration. On peut citer, entre autres :

  • L’industrialisation et la souveraineté économique : Il est essentiel pour le Maroc de renforcer son industrie locale afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des importations et de favoriser une souveraineté économique. Il s’agit non seulement d’une question de production nationale, mais aussi d’encourager les investissements dans des secteurs stratégiques comme l’agro-industrie, les énergies renouvelables, et la technologie.
  • L’inclusion sociale et territoriale : Le PLF devrait porter une attention particulière à la réduction des inégalités, qu’elles soient sociales ou territoriales. Il est crucial de soutenir les régions défavorisées et de mettre en place des mesures pour intégrer les populations marginalisées dans le tissu économique, notamment à travers l’entrepreneuriat et l’accès à la formation.
  • La digitalisation et l’innovation : Le rôle de la transformation numérique est pour moi un axe majeur. Le prochain PLF devrait encourager davantage l’innovation, la transformation digitale des entreprises, et le développement des infrastructures technologiques pour favoriser une économie plus compétitive à l’échelle internationale.
  • Le financement des PME et des startups : Il est important de mettre l’accent sur la nécessité de soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les startups, considérées comme des moteurs de création d’emplois. Un effort accru doit être consenti pour améliorer l’accès au financement, notamment via des instruments financiers innovants et des partenariats public-privé.

2. Quel rôle doit jouer le privé dans ce grand boulevard de défis ?

Aujourd’hui, il est primordial d’insister sur l’importance du secteur privé dans le développement économique du Maroc. Et dans ce sens, on peut en énumérer quelques rôles clés que le secteur privé doit jouer :

  • Moteur de croissance et d’emploi : Le secteur privé, notamment les PME et les startups, est pour moi un pilier fondamental de la croissance économique. Le secteur privé doit jouer un rôle actif dans la création d’emplois, non seulement en absorbant la main-d’œuvre disponible, mais aussi en investissant dans la formation continue et la montée en compétences des jeunes.
  • Partenaire de l’État pour les réformes structurelles : Le privé ne doit pas se limiter à attendre les actions gouvernementales, mais doit également être proactif en matière d’initiatives économiques. Cela inclut des partenariats avec le secteur public pour mettre en œuvre des réformes économiques, telles que la transformation numérique ou la transition énergétique, et aussi accélérer la montée en charge des PPP (partenariats public-privé), même et surtout pour des projets à taille humaine dans les régions.
  • Accélérateur de l’innovation : Il faut soutenir et promouvoir la capacité du secteur privé à innover, que ce soit dans les domaines de la technologie, de l’agriculture ou de l’industrie. Le privé doit stimuler la recherche et le développement, et encourager l’adoption de nouvelles technologies pour permettre au Maroc d’améliorer sa compétitivité à l’international.
  • RSE et développement durable : Le secteur privé a un rôle clé à jouer dans la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les entreprises doivent s’engager dans des pratiques durables et socialement responsables, intégrant les enjeux environnementaux et sociaux dans leur modèle économique. Cela inclut des actions pour promouvoir l’économie verte et les énergies renouvelables, tout en contribuant à l’inclusion sociale.

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3. Le chômage est aujourd’hui une épine dans le pied du gouvernement. Quelle lecture faites-vous à l’aune de la prochaine loi de finances 2025 ?

Le taux de chômage au Maroc a atteint un niveau préoccupant de 13%, et l’évolution croissante de ce taux impose une réponse rapide et efficace. La Loi de Finances 2025 doit prioriser la lutte contre le chômage, en mettant en place des mesures spécifiques qui vont au-delà du simple soutien macroéconomique pour s’attaquer aux racines structurelles de ce problème. En termes de recommandations stratégiques, nous pouvons énumérer les idées suivantes :

  1. Lancement d’un “Small Business Act” en capitalisant sur la Charte d’Investissement : L’objectif est de créer un cadre législatif et réglementaire qui favorise la création, la croissance et la pérennité des petites et moyennes entreprises (PME), avec un accent particulier sur les très petites entreprises (TPE).
  2. Accompagnement des entreprises familiales dans leur transmission : L’enjeu est de sécuriser les emplois existants en facilitant la transmission des entreprises familiales aux nouvelles générations ou à des repreneurs qualifiés.
  3. Modèle d’accompagnement des très petites entreprises (TPE) : L’objectif ici est de ne pas se focaliser uniquement sur la création d’entreprises nouvelles (greenfield). Il est crucial de soutenir le rachat et la reprise d’entreprises existantes par de jeunes entrepreneurs.
  4. Mentoring et préservation du capital expérientiel : Valoriser l’expérience des entrepreneurs qui quittent leurs entreprises pour transmettre leur savoir-faire aux nouvelles générations.

En conclusion, pour que la Loi de Finances 2025 réussisse à réduire le chômage, elle doit non seulement renforcer la résilience des entreprises pour encourager les recrutements, mais aussi faciliter la création d’entreprises dans les secteurs à fort potentiel (greenfield) et soutenir la reprise d’entreprises existantes (non-greenfield). Le mentoring des entrepreneurs expérimentés est une ressource inestimable qui doit être intégrée au cœur de cette stratégie, afin de garantir que la transition entre générations se fasse de manière harmonieuse et durable. En combinant ces initiatives, le Maroc pourra espérer non seulement stabiliser son marché de l’emploi, mais aussi le dynamiser pour les années à venir, au service de tous, dans la droite ligne du nouveau modèle social.

 
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