Fiscalité

Loi de finances. Le visage fiscal de l’«Etat social»

Sans être négligeable, un petit pas fiscal symbolique a été fait dans le processus de construction de l’«Etat social» à travers la Loi de finances (LF) de l’année 2024. En effet, outre l’extension de l’exonération des produits pharmaceutiques avec droit à déduction en matière de TVA, l’une des principales mesures dérogatoires prises concerne l’exonération sans droit à déduction (ESDD) des fournitures scolaires et des produits et matières entrant dans leur composition. Ce qui devrait, en principe, atténuer la pression inflationniste qu’ont connue les prix de ces produits au cours des dernières années.

La fin de l’année scolaire 2023-2024 a presque correspondu à la «fête du mouton», pendant laquelle cet animal, hautement symbolique, a coûté cher, très cher, pour la plupart des familles marocaines. Ensuite, ce furent les vacances qui exigent aussi un budget assez conséquent pour permettre aux enfants de respirer, avant de regagner leurs classes en ce mois de septembre. La rentrée scolaire signifie aussi un nouveau rendez-vous avec de nouvelles dépenses et de nouveaux frais. Le pouvoir d’achat de la majorité des ménages a connu une profonde érosion malgré les récentes augmentations de salaires, applicables pour les fonctionnaires du secteur public à compter du mois de juillet 2024, et pour les employés du secteur privé à compter du mois de janvier 2025. Une différenciation/discrimination difficile à comprendre pour un «gouvernement social» censé encourager l’initiative privée.

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Difficile d’évaluer l’impact réel de cette ESDD des fournitures scolaires et des produits et matières entrant dans leur composition, face à une inflation dont la «morsure» est si profonde et durable.  Avant 2024, lesdites fournitures scolaires et produits et matières entrant dans leur composition étaient soumis à la TVA au taux réduit de 7%. La LF-2024 a introduit l’exonération de la TVA à l’intérieur sans droit à déduction et à l’importation des fournitures scolaires ainsi que les produits et matières entrant dans leur composition. Ainsi, à la différence des produits pharmaceutiques qui ont été exonérés avec droit à déduction (EADD), au lieu de l’ESDD, grâce à la pression des lobbies du médicament, l’exonération des fournitures scolaires, produits et matières entrant dans leur composition est sans droit à déduction (ESDD). Quelle différence entre l’EADD et l’ESDD ? La première est une exonération aussi bien en amont qu’en aval. C’est une véritable exonération, avec une TVA presque égale à zéro, compte tenu du phénomène de la rémanence de la TVA non déductible. La seconde est en fait une exonération partielle, à l’instar du «pain nu» tel que défini par le Code général des Impôts (CGI). Partielle, car la TVA qui a grevé les dépenses/charges n’est pas récupérable. Ainsi, la «TVA non récupérable» sera invisible, car intégrée et bien dissimulée dans le coût de revient. Le citoyen-consommateur, contribuable réel en matière de TVA, n’y verra presque rien.

Par ailleurs, ladite ESDD est soumise à des conditions/formalités exigeant une mobilisation du contrôle de l’Administration fiscale (AF). En effet, pour bénéficier de l’ESDD des produits et matières premières entrant dans la composition des fournitures scolaires, le fabricant doit formuler une demande par procédé électronique à l’AF et tenir un compte matières. Ce dernier doit faire ressortir, d’une part la quantité des produits et matières acquis ou importés sous le bénéfice de l’exonération de la TVA et effectivement utilisés dans les opérations de fabrication des fournitures scolaires et, d’autre part, la quantité d’articles scolaires fabriqués et vendus ou se trouvant en stock à la fin de chaque exercice comptable. Cette situation impose forcément la tenue d’une comptabilité analytique coûteuse qui doit permettre aussi de calculer chaque année le prorata. C’est dire que le dispositif fiscal mis en place ne peut être que difficilement applicable dans la réalité et source de risques en matière de fraude, surtout au niveau des TPME. 

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Après examen de la demande, l’AF délivre à l’intéressé, par voie électronique, une attestation d’achat en exonération de la TVA. Les factures ou tout autre document équivalent doivent comporter la mention «Vente en exonération de la TVA en vertu de l’article 91-I-E-4° du CGI». Quant aux importations, l’AF délivre, par voie électronique, une attestation d’importation en exonération de la TVA, valable uniquement pour l’année de délivrance. 

Concernant l’importation des fournitures scolaires, pour bénéficier de l’exonération de la TVA, l’importateur doit fournir à l’administration des douanes un engagement d’utiliser les fournitures scolaires importées pour un usage exclusivement scolaire. Comment cet importateur va-t-il pouvoir vérifier la destination finale réelle desdites fournitures scolaires vendues ?! Nombreuses sont les fournitures à usage mixte. Un stylo peut être acheté aussi bien par un élève pour écrire ses leçons que par une entreprise ou un professionnel. C’est aussi le cas des rames de papier (…). Ce sont là des dispositions fiscales qui se révèlent très difficiles à appliquer et à contrôler dans la pratique effective, nécessitant par conséquent une mobilisation des ressources humaines qualifiées en matière de contrôle fiscal, ressources déjà insuffisantes face aux «grands requins blancs» de la fraude fiscale.

Dépenses fiscales afférentes à l’éducation
D’après le rapport sur les dépenses fiscales (DF) joint au projet de LF-2024, le montant des DF spécifiques à la rubrique «Education», aurait été de 285 MDH, en 2023, soit 0,8% du total des DF dont le montant global arrêté pour la même année aurait atteint 35,43 MMDH. De même, dans la ventilation des DF par objectif, la rubrique «développer l’économie sociale» représente 323 MDH, en DF, soit 0,9% du total des DF. Quant à la rubrique «Encourager l’enseignement», avec 255 MDH, elle représente 0,7% du total des DF. Néanmoins, de manière globale, dans les DF afférentes spécifiquement à la TVA dont le montant est de 20,27 MMDH, en 2023, la rubrique «Activités sociales», avec 13,29 MMDH, représente, en matière de DF-TVA, 37,51% du total des DF. De manière plus précise, d’après le rapport cité sur les DF, l’application du taux réduit de 7% avec droit à déduction sur les fournitures scolaires, les produits et matières entrant dans leur composition, représente, en 2023, 27MDH. Un montant symbolique. Ainsi l’ESDD des fournitures scolaires et des intrants dans leur fabrication, en 2024, est surtout une opération politiquement rentable. L’ESDD sans droit à déduction, en matière de TVA, ne devrait pas générer plus de 20 MDH, en 2024, puisqu’on passe de l’application d’un taux réduit de 7% avec droit à déduction à une ESDD qui accroit la rémanence de la TVA (TVA non déductible).

Liste des fournitures scolaires concernées par l’exonération de la TVA à l’importation
L’exonération de la TVA à l’importation concerne, de manière générale, toutes les fournitures destinées à un usage exclusivement scolaire. La note circulaire de la Direction générale des impôts a dressé, à titre indicatif, une liste non exhaustive, des fournitures scolaires bénéficiant de ladite exonération de la TVA : 
– Ardoises pour écoliers ; bâtonnets et bûchettes en bois ou en matières plastiques, pour écoliers ; brosses pour ardoises ; bouteilles, boites, tubes et godets de gouaches (à l’exclusion de la peinture à huile) ; cahiers, y compris cahiers de dessin, de couture, de musique, de travaux pratiques et de textes ; carnets, y compris les carnets de textes et de compositions ; cartables, trousses d’écoliers ; cartes d’identité scolaires ; ciseaux d’écoliers, à bout arrondi ; colles pour écoliers en tube ou en flacon ne dépassant pas 25 g ou 35 ml ; craie blanche ou en couleur, pour écoliers ; crayons à bille ou non ; encre en flacon ou en tube ; étiquettes gommées, adhésives, non imprimées, simplement encadrées et réglées ; feuilles à dessins; gommes à effacer et effaceurs d’encre ; jetons en bois ou en matière plastique, pour écoliers ; livret de correspondance, pour école ; livrets scolaires, œillets en toile adhésive ; outils géométriques pour écoliers (règles, équerres, compas, rapporteurs…) ; papier soie, rouleau soie, bloc assortiment, feuille de cellophane ; papier et papier double feuille destinés aux écoliers ; pâtes à modeler ; pinceaux d’écoliers ; porte mine et étui pour mine de crayon vide ; protège-cahiers, en matière plastique ou en papier ; protège-livres transparents adhésifs ou non adhésifs de 1,5m, 2m, 3 m 5m et 20m ; ramettes de copies pour écoliers, pour devoirs (simples ou doubles) ; reliures mobiles et portfolio (dites classeurs) d’écoliers, en matières plastiques ou en carton ; rouleaux en matière plastique (polyéthylène et PVC) pour couverture d’articles scolaires ; rouleaux et feuilles de papier aluminium pour écolier ; stylos (à bille ou non, roller, feutre, plume, surligneur….) ; taille-crayons. A noter que cette liste mérite d’être actualisée, à la lumière de l’évolution des méthodes pédagogiques qui intègrent de plus en plus les nouvelles technologies informatiques. Par ailleurs, la note circulaire de la DGI rappelle que les fournitures de bureau destinées à un usage autre que scolaire demeurent soumises au taux de TVA de 20%. La différence est tellement importante (0% et 20%) que le risque de fraude est tout aussi grand. 

 
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