Abdelghani Youmni: «Les critiques de l’OCDE à l’encontre du HCP doivent être relativisées»
Dans son dernier rapport sur l’économie marocaine, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pointe l’insuffisance de certaines données statistiques indispensables à l’analyse nationale et aux comparaisons internationales. Le HCP, pilier du système statistique national, conteste cette observation. Abdelghani Youmni explore cette controverse et analyse le processus de production des statistiques au Maroc.
Challenge : Comprenez-vous le reproche de l’OCDE concernant les activités statistiques du Maroc dans son rapport sur la situation du Royaume ?
Abdelghani Youmni : Le Maroc n’échappe pas à la règle, à l’instar de plusieurs autres pays ayant fait l’objet de critiques de la part de l’OCDE pour des problèmes de qualité et de fiabilité de leurs données statistiques, telles que la Grèce, la Turquie et l’Argentine. Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) est parfois critiqué pour le fait que certaines de ces données proviennent d’autres institutions publiques ou ministères, ce qui peut engendrer des lacunes en matière de couverture et de mise à jour. La proposition de créer une agence statistique véritablement indépendante trouve donc tout son sens et s’inscrirait dans la dynamique des réformes institutionnelles, économiques, sociales et financières que traverse le Royaume.
Cependant, les critiques de l’OCDE à l’encontre du HCP doivent être relativisées. Au-delà des éventuelles pressions politiques, le Maroc est confronté à des défis tels que le manque de données dans certaines régions reculées ou marginalisées, ainsi qu’à des retards potentiels dans la mise à jour des statistiques.
Cela dit, les données produites par le HCP sont largement considérées comme fiables, grâce à des méthodologies rigoureuses, une utilisation efficace des technologies modernes et un engagement ferme en faveur de la transparence.
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Challenge : Quel est votre avis sur les chiffres publiés régulièrement par le Haut-Commissariat au Plan concernant l’économie marocaine ?
A.Y : La fiabilité des statistiques collectées par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) au Maroc revêt une importance cruciale, tant pour les décideurs politiques que pour les investisseurs publics et privés, qu’ils soient nationaux ou étrangers, ainsi que pour les chercheurs. Le HCP est largement reconnu pour son respect des normes méthodologiques strictes, en adéquation avec les standards internationaux, tels que ceux des Nations Unies, de la Banque mondiale ou de l’OCDE.
Bien que les données du HCP soient une référence incontournable pour l’analyse des dynamiques socio-économiques du Maroc, et que leur fiabilité ne soit pas remise en question, elles reposent souvent sur la synthèse et l’agrégation de sources institutionnelles diverses. En outre, des compléments de collecte couvrant les 16 régions du pays et des études qualitatives et quantitatives sectorielles sont parfois insuffisantes.
À l’avenir, le HCP devra intensifier la réalisation régulière d’enquêtes nationales et assurer la mise à jour continue de ses données sur des indicateurs économiques et sociaux essentiels (comme le chômage, la pauvreté, ou le PIB). Cette approche renforcerait davantage la pertinence et l’actualité des statistiques, constituant un avantage notable par rapport à certains pays de la région où la publication des données est plus irrégulière.
Challenge : Il existe souvent une différence notable entre les prévisions de croissance du HCP et celles du gouvernement. Avez-vous une explication concernant cette situation ?
A.Y : Il est vrai que les écarts entre les prévisions du gouvernement, de Bank Al Maghrib et du HCP sont généralement marginaux. Toutefois, les différences dans les prévisions de croissance entre le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et le gouvernement marocain peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment des méthodologies distinctes, des objectifs institutionnels divergents, et parfois des dynamiques politiques.
Le HCP adopte souvent une approche prudente, fondée sur une analyse indépendante et technique, tandis que le gouvernement tend à être plus optimiste, en se basant sur des scénarios adossés à des initiatives économiques visant à stimuler la croissance.
Le HCP cherche à préserver sa réputation d’objectivité et de rigueur scientifique, en minimisant l’influence d’hypothèses spéculatives ou d’initiatives politiques. À l’inverse, le gouvernement, qui défend une ligne programmatique, dispose souvent d’informations privilégiées concernant des projets d’investissements publics ou privés imminents, ou des politiques à venir, qui peuvent influencer sa vision de la croissance future.
En conséquence, ces deux perspectives peuvent créer un décalage temporel entre les prévisions des deux institutions.
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Challenge : Certains observateurs affirment que les données du HCP, bien qu’utiles pour la transparence, ont également une dimension politique. Qu’en pensez-vous ?
A.Y : Comparé à de nombreux pays de la région MENA, le Maroc, à travers son Haut-Commissariat au Plan (HCP), a accompli des progrès significatifs dans l’amélioration de la qualité et de la fiabilité de ses statistiques. Néanmoins, des défis subsistent, notamment en matière de couverture régionale exhaustive et d’accès public aux données. L’idée selon laquelle les données du HCP, bien qu’essentielles pour la transparence, pourraient également avoir une dimension politique n’est pas infondée, mais elle mérite d’être nuancée.
Même si les statistiques et études publiées sont accessibles à un public averti, il est indéniable que les choix de publication, le calendrier de diffusion, ou encore l’interprétation des données peuvent parfois être influencés par le contexte politique.
Comme c’est le cas dans d’autres pays, certaines données peuvent effectivement revêtir une dimension politique, car elles sont souvent exploitées par divers acteurs (partis politiques, médias, chercheurs, etc.) pour appuyer ou contester des décisions gouvernementales. Cela souligne la fine limite qui sépare le temps politique du temps statistique.
Dès lors, tout le jeu consiste à ce que les chiffres publiés par le HCP se retrouvent souvent au cœur des débats politiques. Le gouvernement peut s’attribuer le mérite des résultats positifs (comme une hausse du PIB), tandis que l’opposition mettra en avant des indicateurs moins favorables (comme l’augmentation du chômage ou de l’inflation). Dans ce cadre, les données peuvent devenir des instruments de débat politique, bien que leur production reste fondamentalement objective et techniquement fiable.
Challenge : Quelle solution préconisez-vous pour éviter les controverses sur les statistiques au Maroc ?
A.Y : Les controverses autour des statistiques au Maroc sont un signe de vitalité du débat démocratique et participent à la dynamique des réformes et de la modernisation du pays. Comme partout ailleurs, les statistiques sont sujettes à interprétation et à commentaires, que ce soit par les majorités ou les oppositions.
Cependant, il est essentiel de renforcer la confiance dans la production et l’utilisation des données. La création d’une agence nationale de statistiques indépendante permettrait de dissocier la production, la modélisation et l’analyse des données des influences et pressions exercées par des acteurs politiques ou économiques. Il serait également important de lancer des initiatives visant à collecter des données plus fréquemment et à couvrir davantage de territoires.
De plus, la mise à disposition des bases de données publiques (open data) faciliterait l’accès des médias et des chercheurs, leur permettant de réaliser leurs propres analyses et contribuant ainsi à une meilleure démocratisation de l’usage, de la compréhension et de l’interprétation des données statistiques. L’intégration de nouveaux outils technologiques tels que les enquêtes numériques, les systèmes de collecte de données mobiles, pourrait améliorer la précision des statistiques, en particulier dans les zones difficiles d’accès.
Bio express
Abdelghani Youmni est Docteur en économie et management public, diplômé de l’Université Sophia Antipolis de Nice. Professeur associé, il a dirigé au Maroc la Filière Franco-Marocaine de Sciences Po Bordeaux et enseigne dans le MBA Panafricain de l’Honoris United Universities qui associe Mundiapolin University à la Regent Business School en Afrique du Sud.
Il est aussi détaché auprès de l’Agence de l’Enseignement Français à l’Etranger et membre de la société française de l’évaluation des politiques publiques. Consultant, auteur de nombreuses études et publications sur l’Afrique et les pays du sud de la Méditerranée, il est Professeur invité à l’Université Hassan II et dans plusieurs universités étrangères.