Agriculture

Face à une sécheresse devenue structurelle, la culture des céréales a-t-elle encore du sens au Maroc ?

Face aux sécheresses récurrentes qui affectent de plus en plus les régions semi-arides du Maroc, la viabilité des cultures céréalières est remise en question.

Alors que certains prônent une reconversion vers des cultures moins gourmandes en eau, les agriculteurs, attachés à leurs traditions et aux réalités économiques locales, peinent à envisager un tel changement. La solution passe par une transition progressive et l’implication des institutions publiques.

Une culture fragilisée

Le Maroc, comme une grande partie de l’Afrique du Nord, fait face à une tendance inquiétante : l’intensification des sécheresses dues au réchauffement climatique. Cela pèse lourdement sur les régions agricoles qui dépendent principalement des pluies saisonnières pour la culture des céréales, telles que le blé dur et tendre, les fourrages pour le bétail, et certaines légumineuses. Pour de nombreux agriculteurs, cette situation devient une impasse. «Cela fait six années que je pars dans ma région pour constater qu’ils n’ont pas moissonné deux fois et le reste du temps c’étaient de très faibles récoltes», témoigne un étudiant en agronomie, issu lui-même d’une famille agricole. La sécheresse, qui perdure sans signes d’amélioration, soulève ainsi des inquiétudes profondes sur le devenir de ces pratiques agricoles.

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Ces cultures, historiquement dépendantes d’une pluviométrie favorable, sont désormais fragilisées. La question centrale est donc de savoir si l’avenir de l’agriculture marocaine réside encore dans ces méthodes traditionnelles. Certaines voix s’élèvent pour encourager une reconversion vers des cultures plus résistantes à la sécheresse, comme l’arboriculture ou les espèces forestières. « Après tout, il est possible de développer de nouvelles cultures, dont les revenus à l’exportation pourraient financer l’importation de blé des pays encore épargnés par cette crise climatique », souligne un observateur. Mais est-ce réellement envisageable ?

Un processus complexe et contesté

Pour Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome et agriculteur, la reconversion vers des cultures moins gourmandes en eau est loin d’être une évidence. Certes, il reconnaît la gravité de la situation, mais il oppose plusieurs arguments à cette option. « Il y a beaucoup de facteurs qui ne permettent pas de décréter une reconversion des terres, notamment le facteur traditions », explique-t-il. Pour les agriculteurs des régions concernées, la culture du blé n’est pas seulement une activité économique, elle est profondément ancrée dans leur identité. « Ces gens cultivent le blé, mangent le blé, stockent le blé depuis des dizaines de générations. Même lorsqu’ils parlent de gagner leur vie, ils disent “gagner un morceau de pain” », ajoute-t-il.

Ce lien culturel fort entre les habitants et leurs pratiques agricoles rend tout changement radical difficile à envisager. Guennouni souligne également un point crucial : « Pour ces agriculteurs, les céréales et les légumineuses, surtout dans les zones non irriguées, sont des produits sûrs commercialement. Ce sont les seules cultures que l’on peut pratiquer sans courir trop de risques financiers. » Toute tentative de substitution des cultures nécessiterait donc une réflexion approfondie sur les implications économiques et sociales.

Quels défis pour une éventuelle transition agricole ?

En dehors de l’attachement culturel, une reconversion vers d’autres types de cultures, comme l’arboriculture, soulève des défis techniques et économiques majeurs. Guennouni s’interroge : « Supposons que l’on puisse admettre l’idée d’une reconversion, que faire ? De l’arboriculture ? Laquelle ? Pour quel climat ? Pour quel coût des fournitures et des intrants ? » Le coût initial de la mise en place de nouvelles cultures, ainsi que la gestion de l’eau, constituent des obstacles majeurs. Même les pratiques apicoles, qui pourraient être envisagées pour certaines régions, sont soumises à des contraintes climatiques importantes. « Des abeilles, pour quelles végétations en l’absence de pluies ? Que faire ? », questionne-t-il, mettant en lumière la complexité du problème.

Le défi d’une transition agricole durable au Maroc est donc loin de se limiter à une simple substitution des cultures. Il s’agit d’un processus socio-économique qui doit tenir compte des réalités locales, des coûts, et des incertitudes climatiques.

Le rôle clé des institutions

Si la reconversion agricole devient nécessaire, elle devra être encadrée par les autorités publiques. Comme l’explique Abdelmoumen Guennouni, « s’il y a quelqu’un qui doit lancer de nouvelles cultures, ce n’est certainement pas l’agriculteur qui fera le premier pas ». Il souligne que ce sont les institutions, notamment le ministère de l’Agriculture et les chambres agricoles, qui doivent prendre les devants. Ces acteurs sont en effet les mieux placés pour guider les agriculteurs à travers une transition réussie.

La reconversion des terres, si elle s’avère indispensable, devra être progressive et accompagnée par des expérimentations pilotes dans des zones limitées, afin de minimiser les risques d’échec. En initiant ces changements à petite échelle, les pouvoirs publics pourraient ensuite généraliser les bonnes pratiques aux autres régions, garantissant ainsi une transition plus sécurisée pour les agriculteurs.

 
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