Prix des médicaments: un enjeu stratégique pour la santé (économique) des familles
Au Maroc, le coût exorbitant de certains médicaments constitue un problème majeur de santé publique et un poids insoutenable pour les budgets des familles.
Selon Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, il y a des médicaments qui coûtent jusqu’à quatre fois plus chers qu’en Europe. Ce phénomène conduit souvent à des renoncements aux soins, avec des conséquences graves pour la santé des patients. Comme l’a souligné Ellen Hoen, directrice de l’Initiative pour l’accès aux médicaments essentiels à médecins Sans Frontières (MSF), «des prix trop élevés mettent en péril les droits fondamentaux des patients à la santé et à la vie».
Cette problématique affecte également la viabilité des réformes sociales, notamment la généralisation de la couverture maladie obligatoire, en menaçant l’équilibre financier du système de santé. Sans intervention rapide, le risque est une rupture, à terme, du système, privant les populations les plus vulnérables de traitements essentiels.
Une politique nationale du médicament à revoir
La situation marocaine reflète des dysfonctionnements structurels : monopoles, absence de régulation des prix alignée sur les normes internationales et importation de médicaments produits localement. L’expert marocain Saâd Taoujni plaide pour une réforme approfondie de la politique nationale du médicament, qui pourrait être pilotée par l’Agence marocaine du médicament et des produits de santé.
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Inspirée par des pratiques internationales, cette réforme pourrait inclure le recours aux achats groupés, un mécanisme déjà évoqué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une solution efficace pour réduire les coûts. En France, un rapport de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale souligne que «l’union fait la force : en mutualisant les commandes, les systèmes de santé peuvent négocier des tarifs plus avantageux, particulièrement pour les médicaments coûteux».
L’exemple français est également éclairant sur l’adoption des médicaments génériques, qui a permis une régulation significative du marché. Ces médicaments, équivalents des traitements de marque mais bien moins coûteux, représentent aujourd’hui une part croissante des prescriptions. Cette réussite repose sur trois piliers fondamentaux.
D’abord, les médecins sont fortement incités à prescrire en dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire en mentionnant uniquement la molécule active et non la marque. Cela ouvre la voie à la substitution par des génériques. Quant aux pharmaciens, ils jouent un rôle clé en proposant systématiquement des génériques lorsque cela est possible.
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La loi impose cette substitution, sauf mention expresse du médecin. Troisième pilier, les patients eux-mêmes. Le système de remboursement différencié encourage les patients à choisir les génériques, leur garantissant un accès à des soins abordables sans compromis sur la qualité.
Les conséquences d’un prix prohibitif
Le coût élevé des médicaments exacerbe les inégalités sociales et plonge les ménages les plus modestes dans des dilemmes insoutenables. Comme le notait le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, «lorsque la santé devient un privilège au lieu d’un droit, la société tout entière s’appauvrit».
Cette situation profite largement aux multinationales pharmaceutiques, qui réalisent des marges bénéficiaires colossales. Une étude menée par MSF a révélé que certains traitements vitaux, comme les antirétroviraux, sont vendus à des prix 300% supérieurs à leur coût de production. En France, la démocratisation des génériques a permis d’importantes économies pour le système de santé, estimées à environ 2 milliards d’euros par an. Ces gains ont été réinvestis pour améliorer les infrastructures et étendre l’accès aux soins.
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Au Maroc, cette approche pourrait non seulement alléger la charge financière sur les familles, mais également réduire les dépenses publiques en santé tout en soutenant les initiatives de couverture maladie universelle.
Vers une stratégie de régulation efficace ?
Pour sortir de cette impasse, plusieurs mesures seraient envisagées, nous explique-t-on, en l’occurrence : un renforcement de la production locale qui permette de limiter les importations aux médicaments non produits sur le territoire pour soutenir l’industrie pharmaceutique locale ; un encadrement des prix qui permette de fixer des tarifs plafonnés, comme cela a été fait en Norvège, où une politique stricte a permis de réduire les prix de 30% en moyenne ; la promotion des génériques en instaurant un cadre légal et des incitations pour les médecins, pharmaciens et patients afin de favoriser leur adoption.
En France, la prescription en DCI et les mécanismes de remboursement ont largement contribué à démocratiser les génériques ; l’encouragement des achats groupés, une approche qui a prouvé son efficacité dans plusieurs pays européens, permettant de négocier des tarifs avantageux pour les traitements coûteux, en particulier ceux des affections de longue durée (ALD) ; et en instaurant une politique de transparence qui astreigne les laboratoires pharmaceutiques à une justification de leurs prix, une mesure préconisée par l’OMS, pour identifier et réduire les abus.
S’inspirer des expériences internationales
Les succès obtenus dans d’autres pays offrent des enseignements précieux au Maroc. Par exemple, en Norvège, une régulation stricte des prix et des subventions ciblées ont permis une baisse moyenne de 30% des prix des médicaments. En Inde, la production locale à grande échelle et les lois favorisant les génériques ont transformé le pays en un leader mondial de l’accès aux soins abordables.
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En France, le marché des génériques a révélé l’importance d’une collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de santé. Comme le souligne un rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans ce pays, « la confiance dans les génériques repose sur une transparence totale, une information continue et une participation active des prescripteurs et des patients. »
Une urgence pour la santé publique
Le prix des médicaments au Maroc n’est pas seulement une question économique, mais un enjeu vital pour la santé publique et l’équité sociale. La mise en œuvre de réformes conforterait les patients et allègerait le lourd fardeau qui pèse sur les familles.
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“En s’inspirant des expériences internationales tout en adaptant les solutions aux spécificités locales, le Maroc peut opérer une transition vers un système pharmaceutique plus équitable et durable”, précise un médecin, professeur de santé publique qui préfère garder l’anonymat. “Cette réforme paraît trop ambitieuse, certes, au vu du travail qu’il reste à faire, mais elle est réalisable. De toutes les façons, elle est indispensable et nécessitera une large concertation et un dialogue franc entre l’État, les industriels et la société civile. C’est, en tout cas, une opportunité pour transformer profondément le secteur de la santé”, enchaîne ce professionnel de la santé.
Ellen Hoen qui a consacré une grande partie de sa carrière à promouvoir l’accès équitable aux médicaments à l’échelle mondiale, estime que « le vrai progrès dans le domaine des médicaments ne se mesure pas à la richesse des actionnaires, mais à l’accès des populations aux traitements vitaux. »