L’économie en 2025 : Rester optimiste face à un monde en crise
L’optimisme économique des patrons a toujours été au rendez-vous. Sauf que le nouveau monde est un monde en crise. Faut-il une approche scientifique dans l’appréciation de la vie économique de demain ou demeurer dans un optimisme de la grande santé du marché et subir les probables chocs sans mesure proactive ?
La crise du Covid a été, pour beaucoup d’experts de la science économique, une crise d’une ampleur énorme pour les différentes sociétés du progrès. L’on se rappelle ici de la longue tribune du prix Nobel de l’économie Thomas Piketty dans le journal Le Monde, qui qualifiait cet épisode de « plus grave crise sanitaire mondiale depuis un siècle ». Après près de 4 années de disette, l’optimisme économique, toujours au rendez-vous, prédisait la grande relance du marché. Sauf qu’après cette crise, le monde globalisé a été témoin d’autres crises de différents genres : la guerre en Ukraine et son lot de chocs sur les matières premières, le conflit au Moyen-Orient, et sans oublier les coups de la nature. Permacrise, multicrises, autant de noms ont surgi pour essayer de mettre des mots sur ces maux qui donnent des sueurs froides à toutes les élites mondiales. Qu’adviendra-t-il encore demain, s’interrogent tous ?
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Eh bien, c’est depuis les années 2000 qu’un économiste s’était penché sur le cas de ce monstre bouffeur de croissance. Dans son livre publié vers le début des années 2000, l’économiste Jérôme Sgard a été le premier à développer le terme de « l’économie de la peur ». Son ouvrage intitulé L’Économie de la panique, à l’époque, avait mis en lumière les différentes crises et leur lot de paniques pesant sur l’économie mondiale. « Les crises financières au Mexique, en Asie, en Russie ou en Argentine ont été les plus violentes connues par l’économie mondiale depuis les années trente. Mettant régulièrement en échec le FMI et les institutions de régulation nationales. Elles ont imposé des coûts sociaux énormes, tandis que les marchés de capitaux internationaux étaient exposés à des vagues de contagion dangereuses », lit-on dans le résumé du livre. Quelques décennies après, le monde reste toujours exposé à des crises qui menacent l’équilibre économique. Dans une telle configuration, s’accrocher à l’optimisme est-il un luxe qu’on ne peut se permettre ? Car ce bouffeur de croissance crée chômage de masse, inflation, perte de pouvoir d’achat… Au Maroc, ce contexte d’atonie économique a eu, par exemple, de fortes incidences sur le chômage des jeunes. Dans le monde rural, la crise climatique a creusé davantage les chiffres du chômage. Si on se base sur les travaux de l’économiste Thomas Piketty pour analyser les chiffres récents du taux de chômage, on peut probablement conclure à une erreur de politique économique.
Faut-il une politique économique scientifique ?
Le concept de la main invisible régulatrice de l’école d’Adam Smith montre aujourd’hui ses limites. Mère de l’optimisme économique, cette théorie expose nos politiques économiques à des surprises qui ont des conséquences au-delà des chiffres. Pour la petite histoire, après la crise de 1929, les USA ont mis de côté la main régulatrice et ont lancé le New Deal. Au travers d’organismes clés tels que la Work Project Administration et la National Recovery Administration, cette politique a permis aux USA de traverser le désert du crash boursier. « C’est une politique économique insuffisante », explique l’économiste Adnane Benchekroune. Pour lui, « il y a encore des moteurs qui ne sont pas encore allumés. Aujourd’hui, on doit lancer des plans d’accélération dans des secteurs comme l’agroalimentaire, l’aéronautique, le bâtiment… »
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Et d’ajouter : « En attendant les fruits du ruissellement économique, le gouvernement doit soutenir davantage l’offre. » « À mon sens, la base de tout ruissellement positif sur l’ensemble des strates de la population passe par une augmentation mécanique de la croissance économique. Un débat sur la hiérarchisation des chantiers peut bien entendu toujours se poser, mais le fondement majeur demeure, de fait : de combien, chaque année, augmente la richesse produite. De ce fait, tendre vers les 5 ou 6 % de croissance annuelle que chacun appelle de ses vœux semble un prérequis indispensable. Or, malheureusement, dans le contexte macroéconomique actuel, au niveau mondial, nous ne semblons pas prendre cette orientation, du moins pas à court terme », explique quant à lui l’économiste Hicham Alaoui. De son côté, Naoufal El Heziti, CEO de Global Business Delivery, déclare : « Les crises ne se succèdent plus, elles se superposent. Nous ne sommes plus confrontés à des épisodes temporellement définis, ayant un début et une fin, mais bien à un état critique continu, permanent, complexe et composé.
De mon point de vue, le monde ne vit pas une crise, c’est un peu léger pour qualifier toutes ces transformations par le mot crise, et dire que nous vivons une crise est une bonne façon pour ne pas regarder la réalité des 30 dernières années. » Et d’ajouter : « Nous ne vivons pas une crise, nous sommes en train de vivre un changement de paradigme au niveau de tous les modèles : économique, social, sociétal, environnemental, idéologique, politique. Tous ces modèles qui ont structuré nos cadres de pensée, mais surtout qui ont donné naissance à des sociétés comme les nôtres, sont en train d’être réinventés complètement et en même temps. Je suis convaincu que tôt ou tard, l’humanité trouvera équilibre, c’est la loi de l’homéostasie, système cherchant en permanence son équilibre. »
Pour une économie de la vie…
Pour le CEO de Global Business Delivery, il faut une nouvelle appréciation de l’économie au-delà des notions de croissance et de PIB. “Il ne s’agit pas d’une affaire d’optimisme ou de pessimisme économique, le développement doit chercher à favoriser la richesse de la vie humaine, plutôt que la richesse de l’économie dans laquelle les êtres humains vivent. Au lieu d’accorder la priorité à des mesures comme le PIB et la croissance économique, le but devrait être d’élargir les capacités des humains (How to build capability and not project). Le problème est dans le système économique lui-même : une foi aveugle accordée au marché et au gain rapide tout en ignorant le monde vivant, un système qui nous a conduit au bord de l’effondrement écologique, social et financier. Le Britannique John Ruskin a écrit : « Il n’y a de richesse que la vie, le pays le plus riche, celui qui nourrit le plus grand nombre d’êtres humains nobles et heureux. » Une économie de la vie est une alternative à l’économie de la survie ou à l’économie de crise.
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Selon le rapport d’Oxfam, les 1 % les plus riches du monde possèdent 45 % de tous les actifs financiers mondiaux. Juste la lecture de cette information nous renvoie vers une économie de la solitude, une économie du trop : trop d’égoïsme, trop de déloyauté, trop de fortune, trop de précarité, trop de bulles, cupidité sans borne, trop de futilité, une situation climatique de plus en plus catastrophique et des gaspillages infinis, self-branding tous azimuts, un refus d’accepter que nous sommes nés fragiles et interdépendants, trop peu de sens de l’essentiel. Et l’essentiel pour moi, c’est la vie.”
Et de poursuivre : “Une société de la solitude n’est pas durable, ni économiquement, ni socialement, ni psychologiquement. Et je considère qu’un des enjeux primordiaux de la durabilité, c’est le fait qu’on tire les enseignements nombreux de la période que nous vivons pour essayer de façonner un modèle économique, un monde d’entreprise, petite ou grande, qui soit mieux disant d’un point de vue humain, mieux disant d’un point de vue environnemental, mieux disant d’un point de vue performance.
À côté de ça, j’ai l’impression qu’il y a un wake-up call pour le sujet de l’économie de la vie, qui intègre les notions d’économie de l’usage, de la fonctionnalité, de l’économie de la performance et de l’écologie industrielle, et qui concerne des mots englobés dans un seul : la solidarité. Pour plus d’équité, de répartition des richesses, de droits et de valeurs. Je crois que parler de valeurs est un art perdu qu’il faut revivifier et surtout qu’il faut remettre au cœur d’une mentalité économique du 21ᵉ siècle où l’humanité et la vie doivent être au centre des préoccupations.”