Interview

Zoubir Bouhoute : « Fès, Ouarzazate et Tanger font face à des défis de connectivité et d’attractivité »

En mars dernier, le gouvernement a annoncé son plan d’investissement de 61,1 milliards de dirhams (MMDH) pour redynamiser le secteur du tourisme, afin d’attirer plus de touristes et renforcer les réserves de change d’ici 2026. Il faut d’ailleurs noter que cette nouvelle feuille de route, destinée à relancer le secteur, intervenait dans un contexte où celui-ci avait été marqué par une crise multidimensionnelle dont l’onde de choc a eu des répercussions économiques considérables.

Rappelons que durant la crise de Covid, le tourisme au Maroc a chuté de 13 millions de touristes à 3,7 millions, soit moins qu’en 2000 (4 300 000). De stratégie en stratégie, les acteurs ministériels et institutionnels ont tant bien que mal apporté des palliatifs aux grands malaises conjoncturels dont a souffert le secteur. On se rappelle même d’un tweet révélateur de la ministre du Tourisme Fatim-Zahra Ammor, qui faisait son mea culpa en ces termes : « Il y a quelque chose dans notre produit touristique qui ne fonctionne pas ».

Dans le nouveau modèle de développement, les conclusions du CSMD sont claires : « Repenser le secteur du tourisme au-delà des mesures de relance et à l’aune des tendances mondiales et de la nouvelle donne à la suite de la pandémie est essentiel ». Ayant bénéficié de deux grands contrats-programmes et d’un troisième obtenu aux forceps le 6 août 2020 (un contrat-programme couvrant la période 2020-2022), la nouvelle feuille de route du gouvernement, à l’horizon 2030, se positionne aujourd’hui comme le point de départ d’une nouvelle croissance.

Ambitionnant d’attirer 17,5 millions de touristes, d’atteindre 120 milliards de recettes en devises, de créer 80 000 emplois directs et 120 000 indirects, le plan de relance a commencé semble-t-il à porter ses fruits. C’est ce que confirment les derniers chiffres publiés par l’observatoire du tourisme du Maroc.

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Au-delà des chiffres, l’expert en politique touristique, Zoubir Bouhoute, livre à Challenge son analyse.

Challenge : Comment évaluez-vous les performances touristiques du Maroc en 2024 ?

Zoubir Bouhoute : Les performances touristiques du Maroc en 2024 sont remarquables et confirment la place croissante du pays sur la scène internationale. En septembre, le pays a accueilli 1,28 million de visiteurs marquant une augmentation de 33 % par rapport à la même période en 2023. Sur les neuf premiers mois de l’année, le total des arrivées atteint 13,1 millions, en hausse de 18 %, un record historique pour le secteur.

Marrakech et Agadir se distinguent en tant que moteurs principaux de cette croissance. La ville ocre a enregistré une hausse impressionnante de 71 % des arrivées, soutenue par une forte reprise des vols internationaux et des événements culturels majeurs. Agadir, avec une augmentation de 46 %, bénéficie, quant à elle, de sa popularité auprès des touristes européens et d’une offre balnéaire en plein essor.

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Par ailleurs, la province d’Al Haouz, touchée par le séisme de 2023, a montré des signes de résilience avec une progression de 16 %, bien que les niveaux d’avant la catastrophe ne soient pas encore atteints. À l’opposé, des villes comme Ouarzazate, Fès et Tanger peinent à retrouver leur dynamique d’avant-crise.

Quels facteurs ont contribué à ces performances, et comment expliquez-vous les disparités régionales ?
Plusieurs éléments ont permis au tourisme marocain de briller en 2024. D’abord, le renforcement de la connectivité aérienne a été déterminant, avec l’ouverture de nouvelles lignes vers des marchés prioritaires comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne. Ces efforts ont facilité au Maroc l’accès à des millions de visiteurs. Ensuite, les campagnes internationales menées par l’ONMT, telles que « Maroc, Terre de Lumière », ont efficacement positionné le pays en tant que destination incontournable.

Cependant, ces performances ne sont pas uniformes. Marrakech et Agadir captent une large part des flux touristiques, tandis que d’autres destinations comme Fès, Ouarzazate et Tanger rencontrent des difficultés. Fès, par exemple, a enregistré une baisse de 5 % des arrivées en septembre 2024, reflétant des défis en matière de connectivité et d’attractivité.

Ouarzazate, malgré son riche patrimoine historique et culturel, connaît des difficultés structurelles majeures. Ces problèmes se traduisent par une baisse marquée de 20 % des arrivées touristiques au cours des huit premiers mois de l’année 2024 par rapport à la même période en 2023. Cette diminution illustre un manque de valorisation et d’investissement dans une région pourtant dotée d’un potentiel exceptionnel.

Quels sont les axes prioritaires à même de renforcer la dynamique du secteur ?

L’avenir du tourisme au Maroc repose sur une stratégie ambitieuse et équilibrée. D’une part, le pays doit consolider ses marchés existants, notamment en Europe, grâce à des partenariats renforcés avec les compagnies aériennes et des campagnes de promotion ciblées. D’autre part, il est crucial d’explorer de nouveaux marchés prometteurs, comme la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. La diversification géographique permettra de réduire la dépendance aux marchés traditionnels tout en attirant des segments à fort potentiel.

Par ailleurs, les investissements dans des régions moins développées, comme Ouarzazate, sont essentiels pour équilibrer la répartition des flux touristiques. Ces efforts permettront non seulement de soutenir la croissance du secteur mais aussi de stimuler l’économie locale et réduire les disparités régionales.

Quelle lecture faites-vous des grandes stratégies lancées par le ministère de tutelle ?

La stratégie touristique 2023-2026 du Maroc présente des avancées notables. Elle vise à renforcer l’attractivité du pays grâce à une diversification de l’offre autour de neuf filières thématiques, dont le tourisme nature, bien-être et culturel. Ces initiatives permettent d’élargir la palette d’expériences proposées aux visiteurs et de s’adresser à une clientèle plus variée.

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L’amélioration de la connectivité aérienne, notamment par le doublement des capacités de transport, et le recours intensif au numérique dans les campagnes de promotion renforcent la visibilité du Maroc à l’international tout en augmentant son accessibilité. Ces efforts, associés à des investissements stratégiques, positionnent le pays comme une destination concurrentielle sur les marchés mondiaux.

Cependant, des défis persistent, notamment l’absence d’équité territoriale. Les flux touristiques demeurent concentrés dans des destinations phares telles que Marrakech et Agadir, tandis que des régions comme Ouarzazate ou le sud marocain restent sous-exploitées malgré leur potentiel. Les infrastructures insuffisantes, notamment en termes de transport et d’hébergement, constituent un frein majeur au développement de ces zones. De plus, la mise en œuvre de cette stratégie requiert une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés, souvent entravée par des problèmes de gouvernance.

Quelle importance accorder au tourisme local dans cette dynamique ?

Le tourisme local est un pilier essentiel pour le développement durable du secteur. En période de crise, notamment durant la pandémie de Covid-19, il a permis au secteur de se maintenir face à la chute des arrivées internationales. Toutefois, son potentiel reste sous-exploité.

Pour valoriser ce segment, il est impératif de proposer des offres adaptées aux familles marocaines, d’améliorer les infrastructures dans les destinations moins connues et notamment dans les zones rurales. Ce renforcement du tourisme interne non seulement soutiendrait l’économie locale, mais offrirait également une base stable pour le secteur, rendant le Maroc moins vulnérable aux fluctuations internationales.

Et le récent changement de management à l’ONMT ?

Il faut signaler que sous la direction d’Adel El Fakir, l’ONMT a transformé le paysage touristique marocain. L’amélioration de la connectivité aérienne, les partenariats stratégiques et les campagnes ambitieuses, telles que « Maroc, Terre de Lumière », ont contribué à positionner le Royaume parmi les destinations touristiques les plus recherchées. Ces efforts se traduisent par des chiffres record en termes d’arrivées et de recettes touristiques.

Le nouveau locataire de l’ONMT devra relever plusieurs défis. Il s’agira de maintenir cette dynamique tout en répondant aux enjeux émergents, comme l’attraction de nouveaux marchés, l’adoption des technologies numériques et la promotion d’un tourisme durable. Par ailleurs, l’inclusion des régions défavorisées, comme Ouarzazate, dans la stratégie nationale est essentielle pour assurer une croissance équilibrée et durable.

 
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