Géopolitique

Niger, Mali, Gabon… comprendre la diplomatie économique du Maroc dans une Afrique de crise

Depuis quelques années, le Maroc, grâce à une véritable diplomatie économique, a pu asseoir son influence en Afrique. Banque, BTP, NTIC, assurance, mine, exportations de produits… Le savoir-faire marocain a une aura sur le continent. Cependant, comment le Maroc arrive-t-il à tenir dans ce paysage instable ?

Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger, le Gabon est devenu le cinquième pays d’Afrique francophone secoué par un coup d’État depuis 2020, rallongeant ainsi la liste des pays instables sur le continent. Au Gabon, pays d’Afrique centrale dirigé depuis plus de 55 ans par la famille Bongo, depuis près d’un an, c’est un militaire qui gère le pays. Rappelons que les coups d’État en Afrique étaient en déclin ces deux dernières décennies. Sur la période 2011-2021, dans une étude, les chercheurs américains Jonathan Powell (University of Central Florida) et Clayton Thyne (University of Kentucky) ont comptabilisé moins d’un coup d’État réussi par an sur le continent. Sur les 486 coups d’État réussis ou ratés depuis 1950, 214 – dont 106 réussis – ont eu lieu en Afrique.

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Aujourd’hui, au-delà du narratif qui explique les conséquences géopolitiques et géostratégiques de ces instabilités, il y a tout de même une autre réalité : celle des enjeux économiques. Considéré comme le premier investisseur africain sur le continent, le Maroc aura, en quinze ans, investi quelque 4 milliards de dollars US en Afrique, soit 60 % de ses réalisations à l’étranger.

Mali, Niger et Gabon… comment le Maroc navigue-t-il dans ces eaux ?

En Afrique centrale, le Gabon est le premier partenaire du Maroc. Selon un rapport du Policy Center, les flux commerciaux entre les deux pays, sur la période 1999-2020, sont passés de 19,6 millions de dollars à 82,8 millions de dollars, soit une croissance annuelle moyenne de 10,1 %. Les principaux produits exportés par le Maroc vers le Gabon sont les produits alimentaires. Du côté des importations, trois groupes de produits sont essentiellement importés par le Maroc. Il s’agit des articles manufacturés (63,2 %), des matières brutes non comestibles, sauf carburants (29,6 %), et des produits alimentaires et animaux vivants (6,8 %).

Les principaux groupes de produits exportés par le Maroc au Gabon sont respectivement tirés par les poissons, crustacés, mollusques et préparations (79,32 %), les machines et appareils électriques (55,95 %), les articles manufacturés en métal (62,21 %) et les constructions préfabriquées, appareils sanitaires de chauffage et d’éclairage (29,96 %).

Dans le domaine des services, Attijariwafa Bank, qui a racheté l’UGB en 2008, a ouvert depuis cette acquisition plusieurs agences à Libreville et à l’intérieur du pays. Entre 2009 et 2020, sa clientèle est passée de 35 000 à 80 000 clients. Dans le domaine des télécommunications, Maroc Télécom, actionnaire majoritaire de Gabon Télécom et de sa filiale de téléphonie mobile, est actuellement considéré comme l’entreprise de téléphonie mobile la plus dynamique grâce à ses offres promotionnelles tous azimuts. Deuxième opérateur de téléphonie mobile (le Gabon en compte quatre), Gabon Télécom compte actuellement près d’un million d’abonnés. Dans le secteur minier, le groupe marocain Managem exploite, depuis février 2012, la mine d’or de Bakoudou, à plus de 650 km au sud-est de Libreville. Cette exploitation industrielle a nécessité un investissement de 16 milliards de FCFA. Les opérateurs économiques marocains sont aussi présents dans le secteur des assurances à travers la société Colina. Dans le secteur de la construction, la société ADDOHA du Maroc a créé la société Ciments d’Afrique (CIMAF), qui construit une usine pour la production du ciment dont la capacité sera de 500 000 tonnes par an, extensible à un million de tonnes par an.

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Du côté du Mali, les deux visites de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au Mali en 2013 et 2014 ont permis la signature de 17 accords et conventions concernant plusieurs aspects de coopération sectorielle. Selon l’Office des changes du Maroc (2017), le Mali est l’une des meilleures destinations en termes d’exportations et d’implantations des entreprises marocaines grâce aux bonnes relations économiques entre les deux pays. En effet, le Mali est le pays qui a reçu le plus d’IDE (Investissements directs à l’étranger) marocains en Afrique subsaharienne, avec 58,9 %, 35,6 % et 28 % des investissements marocains respectivement en 2009, 2013 et 2016. Cela s’explique par la présence des entreprises marocaines au Mali dans tous les secteurs clés que le Maroc investit : banque, assurance et télécommunication. Quant au Niger, troisième pays touché par les instabilités, le gros investissement lancé par le Maroc en 2021, de près de 3,3 milliards de dollars dans plusieurs domaines, notamment des projets industriels et d’infrastructure, en dit long sur les enjeux économiques du Maroc dans ce pays. Aujourd’hui, le constat d’optique est que les coups de force jettent une forme d’insécurité sur le climat des affaires. Contactée par Challenge, Yasmina Asrarguis, spécialiste en géopolitique, confie : « Le Maroc connaît l’Afrique subsaharienne et maîtrise les facteurs d’instabilité politique propres au continent. En ce sens, ni les décideurs, ni les diplomates, ni les investisseurs marocains présents sur le terrain ne sont surpris de voir les transitions en cours au Sahel ou plus récemment au Gabon. En revanche, le véritable enjeu va être celui d’une reconfiguration géopolitique des intérêts et des influences étrangères sur le continent. »

« Inutile de rappeler que le déclin du leadership américain et français fera le bonheur des investisseurs chinois, russes, émiratis, saoudiens, qataris et turcs. L’Afrique est un continent de richesse incommensurable et les dirigeants marocains et africains ont tout intérêt à travailler ensemble à la mise en place de nouvelles coopérations Sud-Sud. » De son côté, l’expert en géopolitique Anas Abdoun déclare : « Le Maroc aborde la région sahélienne et l’Afrique de l’Ouest non pas comme un simple espace d’influence, mais comme une partie intégrante de son propre environnement régional. Cette approche transcende la logique purement opportuniste pour s’inscrire dans une relation « d’appartenance » historique, culturelle, économique et politique. Dès lors, les opérateurs économiques marocains, soutenus par les politiques publiques et la diplomatie du Royaume, évoluent dans un terrain familier : ils comprennent les dynamiques locales, s’adaptent aux conjonctures et anticipent mieux les risques. Cette connaissance intime de l’espace africain permet de consolider des partenariats économiques sur le long terme, au-delà des fluctuations politiques ou des contextes sécuritaires mouvants. »

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Il ajoute : « Au-delà de cette appartenance régionale, le Maroc pratique une neutralité stratégique dans ses relations bilatérales. Là où d’autres puissances internationales revoient leurs engagements et leurs investissements à la baisse lors de changements de régime (qu’ils soient constitutionnels ou militaires), le Maroc choisit de maintenir le cap. Il ne s’aligne pas sur un camp politique en particulier, préférant conserver une proximité institutionnelle avec les États, quelle que soit la nature des alternances au pouvoir. Ce positionnement de long terme, dénué de parti pris conjoncturel, contribue à forger une image de partenaire fiable et prévisible. En conséquence, même dans un contexte africain marqué par l’instabilité — qu’elle soit sécuritaire, politique ou économique — la présence marocaine reste solide. Les succès des banques, des entreprises de BTP, des assurances, du numérique ou encore du secteur minier et agroalimentaire marocain sur le continent découlent de cette approche intégrée, fondée sur la connaissance fine du terrain, la solidarité régionale et la constance diplomatique. »

Au final, pour nombre de pays africains, le Maroc n’est pas simplement un investisseur ou un opérateur économique parmi d’autres : il représente un partenaire stratégique consensuel, porteur d’une vision de développement partagée et, surtout, durable.

La dynamique du Sahel

Le Maroc, ces dernières années, a développé la diplomatie du Sahel pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Cette nouvelle approche de coopération s’articule autour du triptyque paix, sécurité et développement. À l’heure où le monde et les espaces géoéconomiques se recomposent davantage, l’Afrique a plus que jamais besoin d’aller vers une politique économique des grands ensembles.

« Contre vents et marées, les pays de l’Afrique atlantique tentent de construire leur autonomie stratégique. Dans cette quête, la mer pourrait constituer la figure de proue, et ce, pour deux raisons : d’abord, la maîtrise de la mer permettra aux pays de la région d’asseoir leur souveraineté sur une bonne partie de leur territoire jadis ignorée, les espaces maritimes ; ensuite, l’exploitation intelligente des ressources marines pourrait constituer un inestimable vecteur de croissance et de développement », souligne une étude du Policy Center.

« Je pense que cette initiative constitue un excellent prélude à une intégration intra-africaine accrue, puisqu’elle peut être perçue comme un catalyseur d’émergence économique et d’inclusion de davantage de pays, notamment les pays du Sahel n’ayant pas l’opportunité d’une façade atlantique », nous confie Hicham Bensaid Alaoui, économiste et CEO d’Alliance Trade Maroc.

De son côté, l’économiste Driss Aissaoui déclare : « Le projet de l’initiative atlantique, c’est l’avenir. Ce sont plus d’une vingtaine de pays africains qui vont utiliser leur savoir et leur savoir-faire pour transmettre de la valeur et devenir des vecteurs de richesse et de développement. »

 
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