Interview

Mohammed Jadri: «Cette sécheresse, combinée aux températures caniculaires, compromet gravement les récoltes»

Dans un monde rural frappé par des températures caniculaires et un début de saison sèche alarmant, les agriculteurs font face à une inquiétude croissante. Mohammed Jadri examine la situation face aux défis climatiques actuels. Explications. 

Challenge :Les températures caniculaires et le manque de pluie suscitent inquiétude et incertitude. Faut-il déjà s’alarmer pour la nouvelle saison agricole ?  

Mohammed Jadri : Oui, la situation est préoccupante. En 2023, les précipitations ont chuté de 60% par rapport à la moyenne annuelle, entraînant une baisse de la production céréalière à 5,4 millions de tonnes, contre une moyenne historique de 7,5 millions de tonnes. Cette sécheresse, combinée aux températures caniculaires, compromet gravement les récoltes. Les prévisions pour 2024 sont peu optimistes, avec des niveaux de pluviométrie toujours déficitaires, augmentant le risque d’une campagne agricole insuffisante pour répondre aux besoins alimentaires nationaux.

D’une manière générale, l’économie marocaine devra composer avec les défis posés par la sécheresse au moins jusqu’en 2027, le temps de finaliser le Programme national de l’eau potable et de l’irrigation. À terme, ce programme permettra au pays d’atteindre une autonomie en ressources hydriques estimée entre 60 et 70 %, réduisant ainsi sa dépendance vis-à-vis des aléas climatiques.

Challenge :Est-ce que cela ne va pas avoir d’impact sur le niveau d’engagement des agriculteurs à travailler la terre ?

M.J. : L’engagement des agriculteurs est en déclin. En 2023, la hausse des coûts des intrants agricoles, notamment les engrais (+30%), et la pénurie d’eau ont contraint certains à réduire leurs superficies cultivées. Environ 80% des exploitations marocaines, principalement des petites, sont particulièrement vulnérables. En réponse, le gouvernement a alloué des subventions de 4 milliards de dirhams pour soutenir les producteurs. Toutefois, ces aides restent insuffisantes pour redonner confiance à l’ensemble des agriculteurs, surtout dans les régions fortement touchées comme Doukkala et le Souss-Massa.

Challenge : Quelles cultures sont particulièrement vulnérables aux conditions climatiques actuelles ?

M.J. : Les céréales (blé, orge, maïs), qui couvrent 70% des terres agricoles, ont enregistré une baisse de rendement de 50% en 2023. Les cultures maraîchères (tomates, pommes de terre) et arboricoles (olives, agrumes) sont également fortement touchées. Ces cultures dépendent soit des pluies soit de l’irrigation, compromises par la pénurie d’eau. En 2024, les stations de dessalement et les projets de traitement des eaux usées prévus dans le cadre du Programme Stratégique devraient limiter l’impact sur ces productions en augmentant les surfaces irriguées.

Challenge :Dans ce sens, comment les prix des denrées alimentaires sont-ils affectés par l’anticipation d’une mauvaise campagne agricole ?

M.J. : L’inflation alimentaire a atteint 8,9% en 2023, avec une hausse de 45% des prix des céréales. Les légumes, indispensables à l’alimentation quotidienne, ont vu leurs prix augmenter de 30 à 50%, aggravant les pressions sur le pouvoir d’achat des ménages. En 2024, la poursuite de la construction des stations de dessalement et de traitement des eaux usées pourrait stabiliser certains prix, mais les effets à court terme restent limités. Les importations alimentaires, qui ont coûté plus de 20 milliards de dirhams en 2023, devraient encore augmenter si la production agricole nationale reste faible.

Challenge :Quel effet d’entrainement cela aura-t-il sur l’économie du pays ?

M.J. : Le secteur agricole, qui contribue à 12% du PIB et emploie 38% de la population active, est un pilier de l’économie marocaine. En 2023, la faible production a réduit la croissance économique à 1,3%, bien en dessous de la moyenne de 3% enregistrée en période normale. Les zones rurales, où près de 40% de la population dépend des revenus agricoles, ont particulièrement souffert. En 2024, si les projets du Programme Stratégique de l’Eau (2021-2027) sont accélérés, ils pourraient atténuer ces effets négatifs.

Challenge :Quelles actions immédiates devraient être prises pour répondre à une éventuelle crise agricole ?

M.J. : Le Maroc mise sur son Programme Stratégique de l’Eau Potable et de l’Irrigation, doté de 143 milliards de dirhams, pour répondre aux défis actuels. Les priorités incluent : L’autoroute de l’eau, qui relie les bassins hydrauliques pour redistribuer les ressources.  

Aussi, la construction de stations de dessalement, comme celle d’Agadir, déjà en fonctionnement avec une capacité de 275 000 m³ par jour.  

Le développement des stations de traitement des eaux usées, qui pourraient irriguer 125 000 hectares supplémentaires d’ici 2027 et la construction de petits et moyens barrages, qui augmenteront la capacité de stockage des eaux de surface de 200 millions de m³.  

En parallèle, il est crucial d’encourager l’irrigation goutte-à-goutte, la diversification des cultures vers des variétés résistantes à la sécheresse, et de renforcer les subventions pour soutenir les petits agriculteurs.

Son parcours 
Mohammed Jadri, Economiste de plus de 18 ans d’expérience au sein de prestigieux cabinets d’expertise, s’est particulièrement illustré dans la gestion de projets financés par l’Union Européenne et le système des Nations Unies. Depuis octobre 2021, il dirige l’Observatoire de l’Action Gouvernementale. Sous sa direction, cette institution a produit une série de rapports périodiques rigoureux sur l’action gouvernementale, incluant les bilans des 100 jours, d’une année et de mi-mandat. En outre, l’Observatoire a publié des rapports thématiques approfondis sur des sujets d’actualité cruciaux tels que les programmes Awrach et Forsa, l’aide au logement, le dialogue social, l’inflation, les produits pétroliers et la réforme des retraites, offrant ainsi des analyses précieuses et détaillées pour éclairer le débat public. De plus, depuis 2017, il exerce en tant que consultant économique auprès de plusieurs radios et chaînes de télévision nationales et internationales.

Son Actu  
Le monde rural fait face à des températures caniculaires et une sécheresse précoce.  Une situation qui suscite inquiétude et incertitude concernant la prochaine saison agricole. 

 
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