Soudain, le miel devint un trend au Maroc
Qui aurait cru que le miel allait provoquer, en 2024, la polémique de la saison au Parlement marocain ! Durant plusieurs semaines, le terme «miel » a caracolé en tête des trends dans le pays. Retour sur une histoire abracadabrante…
Lorsque le gouvernement présente le projet de loi de finances aux élus de la Nation (fin octobre), le texte ne comporte aucune mesure touchant de près ou de loin à l’apiculture. Un secteur qui peine à relever la tête depuis la destruction de près de 70% des ruches, il y a quelques d’années.
Jusque-là, l’exécutif est blanc comme neige, même s’il a généralement bon dos. La suite des événements va l’entraîner dans une polémique, dont il n’a nullement besoin. Voici ce qui va se passer et qui va faire couler beaucoup d’encre.
Des membres de la Commission des finances et du développement économique à la Chambre des Représentants introduisent un amendement portant sur une quasi-suppression des droits d’importation sur le miel.
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La modification proposée les ferait baisser de 40 à 2,5% pour le miel en vrac conditionné en contenants de plus de 20 kilogrammes. Les députés ne se doutent pas que leur action sera suivie d’une véritable tempête.
Une controverse que nul n’a vu venir
Passé en commission à la majorité, l’amendement fait des vagues lors de la séance plénière consacrée à la discussion de la première partie du PLF, à la mi-novembre. Les députés responsables sont accusés de légiférer en faveur d’un camarade, qui monopoliserait 80% des importations de miel.
La charge est portée par Abdellah Bouanou, chef du groupe PJD. La bombe est lâchée. Et c’est devenu une affaire d’opinion publique, autour de laquelle on tisse les spéculations les plus invraisemblables. La majorité est vilipendée pour privilégier un député appartenant au parti du chef du gouvernement (RNI).
Tout en saluant le député de l’opposition pour avoir fait la révélation, le président du Syndicat national des professionnels de l’apiculture au Maroc, Hassan Benbal, rappelle alors à tout le monde la vertu de la pondération. De prime abord, il juge inconcevable qu’un seul opérateur puisse accaparer 80% du marché, alors qu’il existe plusieurs importateurs de miel en vrac.
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«Je connais des sociétés plus grandes que celle du député en question (sans le nommer). Est-il possible que tous ces importateurs se partagent seulement 20%, en dépit de leur taille et de la diversité de leurs activités ?», s’est-il interrogé.
Halte à la politisation
Selon le même interlocuteur, il serait même naïf de penser qu’un seul opérateur est derrière toute cette histoire. Dans ce genre de situations, souligne-t-il, ce sont les membres de la corporation qui font du lobbying pour défendre leurs intérêts.
Loin de s’opposer aux importations, les associations professionnelles d’apiculture ont rejeté en bloc la politisation de la question et son instrumentalisation dans la guerre de tranchées entre majorité et opposition. D’ailleurs, un bon nombre d’opérateurs pratiquent aussi bien la production que l’importation.
Les auteurs de l’amendement controversé s’élèvent contre l’accusation de conflit d’intérêt et défendent leur bonne foi. Leur objectif est, selon eux, de faire profiter les importateurs de miel des exonérations accordées à d’autres secteurs d’activité, comme l’huile d’olive, les viandes ou le lait en poudre. Comme on dit, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions !
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Même le chef du groupe MP, Driss Sentissi, pourtant une figure de l’opposition, récuse les allégations de conflit d’intérêt «qui rendent difficile l’acte de légiférer». D’après le même député, la question est de savoir si la production nationale est suffisante et, si ce n’est pas le cas, il faudrait alors encourager l’importation.
Une filière en danger
Le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, dément par la suite connaître le nom d’aucun des 22 importateurs, ni leurs étiquettes politiques. Lors des discussions parlementaires, il ne formule aucune objection à l’égard des importations de miel en vrac, à condition qu’elles soient empaquetées localement.
A la mi-novembre, la Chambre des Représentants adopte, en première lecture, le projet de loi de finances, tel que modifié en Commission. Cela veut dire que la bataille du miel se poursuivra chez les Conseillers.
Les apiculteurs vont maintenir la pression pour protéger des milliers de coopératives. Au Maroc, le miel est écoulé entre 38 et 40 dirhams le kilo. Le prix du miel importé -quelque 3.800 tonnes annuellement- varie entre 10 et 15 dirhams, auxquels s’ajoutent des droits de douane de 17 dirhams. Dans le cas de leur révision, ces droits ne seraient plus que de 1 ou 2 dirhams.
La CGEM fait barrage
En porte-voix des opérateurs privés, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) va actionner son groupe à la Chambre des Conseillers, qui va déposer un amendement annulant la mesure adoptée par les députés.
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Au cours d’une réunion de la Commission des finances, de la planification et du développement économique, Fouzi Lekjaâ validera la proposition du patronat, appuyée par l’ensemble des Conseillers.
La CGEM estime que le maintien des droits de douane élevés s’avère nécessaire pour «répondre aux contraintes et aux défis auxquels le secteur est confronté et éviter que le miel importé, vendu à des prix compétitifs, ne domine le marché national».
Le projet de loi de finances sera finalement adopté, le 6 novembre, en l’absence de la mesure à l’origine de toute cette controverse. Clap de fin pour la saga du miel, pour le moment. Car les importateurs, dont plusieurs sont aussi des apiculteurs, sont toujours à l’affût…