Mehdi Lahlou : «La hausse de 5 % du Smig n’est qu’un léger rattrapage»
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Conformément à l’accord du dialogue social signé le 30 avril 2024 entre le gouvernement et les partenaires sociaux, la première augmentation de 5 % du Smig dans les secteurs de l’industrie, du commerce et des professions libérales est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. Ainsi, le salaire minimum mensuel brut passe de 3.111,39 DH à 3.266,96 DH, soit un salaire net mensuel de 3.046,77 DH contre 2.901,68 DH précédemment. Pour la première fois, le Smig dépasse la barre des 3.000 DH. Cette revalorisation ne risque-t-elle pas d’affecter la compétitivité de certains secteurs industriels, tels que le textile, et d’altérer l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs étrangers ? Éclairages de Mehdi Lahlou, Economiste et Professeur à l’Institut National de Statistiques et d’Économie Appliquées (INSEA) de Rabat.
Challenge :L’augmentation de 5 % du Smig, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité de certains secteurs industriels, comme le textile, et d’affecter l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étrangers ?
Mehdi Lahlou : En réalité, cette hausse de 5 % doit juste être considérée comme un léger rattrapage. Avant de se préoccuper des marchés étrangers et de la compétitivité des entreprises, il est essentiel de prendre en compte le pouvoir d’achat des salariés, notamment ceux qui sont rémunérés au Smig. Depuis 2022, l’inflation a considérablement impacté le pouvoir d’achat, atteignant environ 11 % cette année-là, avec une augmentation de 20 % pour les produits alimentaires. En 2023, l’inflation a oscillé entre 6 % et 7 %, et bien que celle de 2024 soit légèrement plus basse, entre 2 % et 3 %, cela a entraîné une perte de pouvoir d’achat pour de nombreux revenus. Ainsi, les salariés, fonctionnaires et autres catégories ont vu leur pouvoir d’achat diminuer de 25 à 35 %. Les 5 % d’augmentation représentent une petite part de rattrapage pour les salariés du secteur privé.
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Challenge : Quelle est la signification concrète de cette augmentation de 5 % du Smig pour les salariés concernés ?
M.L. : Cette augmentation de 5 % se traduit par un écart de 135 à 140 dirhams entre le Smig appliqué jusqu’à fin 2024 et le nouveau Smig effectif en janvier 2025, ce qui équivaut à environ 12 euros. En ce qui concerne le consommateur marocain, cela représente pour les salariés payés au Smig environ 4 kg de viande blanche. Il est crucial de noter que cette somme reste relativement faible par rapport aux besoins essentiels des travailleurs.
Challenge : En quoi l’augmentation du Smig pourrait-elle affecter la compétitivité de certaines entreprises au Maroc, en tenant compte de l’histoire économique du pays ?
M.L. : Pour aborder la question de la compétitivité, il est utile de faire un peu d’histoire. À la fin des années 80 et au début des années 90, il était envisagé de dévaluer le dirham marocain pour améliorer la compétitivité des produits marocains à l’exportation, en raison de la baisse des prix nationaux par rapport aux prix internationaux. Si cette dévaluation avait été mise en œuvre, aujourd’hui 1 euro ou 1 dollar vaudrait entre 30 et 35 dirhams. Heureusement, cela n’a pas eu lieu. Il est important de souligner que la compétitivité des entreprises marocaines, en particulier dans le secteur textile, ne dépend pas uniquement des salaires. Elle est également influencée par l’organisation du travail, les coûts de production, y compris le coût du terrain et de l’énergie, ainsi que par les machines et technologies utilisées.
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Challenge : Dans ce sens, quels sont donc les principaux facteurs qui influencent la compétitivité des entreprises marocaines, au-delà du coût de la main-d’œuvre ?
M.L. : À ce jour, la main-d’œuvre marocaine, bien que moins chère par rapport à d’autres marchés internationaux comme la Chine ou l’Inde, ne constitue qu’un aspect de la compétitivité. Un entrepreneur marocain doit investir dans des technologies et la transformation des productions, ainsi que dans le capital physique intégré à l’entreprise. Plus de 60 ans après l’indépendance du Maroc, il est regrettable que l’on continue de considérer que la compétitivité des produits marocains repose principalement sur le coût de la main-d’œuvre, y compris les salaires et les charges sociales. D’autres facteurs, tels que l’innovation et l’efficacité des processus, ne sont pas suffisamment pris en compte par les investisseurs marocains et même par l’État.
Challenge : Comment la mentalité des investisseurs privés et la formation de la main-d’œuvre influencent-elles la compétitivité des entreprises marocaines, notamment dans le secteur textile ?
M.L. : La problématique de la compétitivité n’est pas uniquement d’ordre salarial, mais elle est profondément ancrée dans une question de mentalité. Pour les investisseurs privés, il est crucial d’évoluer vers l’amélioration des équipements technologiques afin de s’aligner sur les changements internationaux du marché. Un aspect souvent négligé est que la compétitivité ne dépend pas seulement du coût de la main-d’œuvre, mais aussi de la qualité de celle-ci. Actuellement, la majorité des personnes rémunérées au Smig sont peu qualifiées, avec des niveaux éducatifs qui n’atteignent souvent pas le niveau de l’enseignement primaire. Une main-d’œuvre mal formée limite la capacité des entreprises à être compétitives par rapport à des économies comme la Turquie, la Chine, l’Inde ou même Maurice, qui sont des concurrents directs du Maroc dans le secteur textile. Il est donc impératif de repenser la formation et les qualifications pour améliorer la compétitivité nationale.
Son parcours
Medhi Lahlou est Professeur de sciences économiques à l’Institut National de Statistiques et d’Economie Appliquées (INSEA), Rabat, Maroc. Ses recherches portent sur les migrations, le travail des enfants, l’économie marocaine et la politique de l’eau. Il a réalisé 2 enquêtes :
’’Migrations de transit au Maroc’’ et ’’Migrations des Marocains’’. Il réalise dans le cadre du projet RUIG (en partenariat avec Marie Claire Caloz-Tshopp de l’Université de Genève), un livre collectif sur Migrations et évolution du Droit en Europe.
Son Actu
Le Smig qui franchit pour la première fois en ce début 2025 la barre de 3.000 DH perd la compétitivité de certains secteurs industriels comme le textile et la destination Maroc aux yeux des investisseurs étrangers ?