Agences de notation : un autre Big Four ?

Ils reviennent régulièrement dans le débat quand leur stylo donne des notes. Même si les élites gèrent les apparences, ces notations résonnent dans les marchés financiers… À quoi servent vraiment les agences de notation ?
Les agences de notation sont devenues des acteurs incontournables de l’économie mondiale. À chaque annonce de notation, elles influencent les marchés financiers, orientent les stratégies des investisseurs et dictent, parfois implicitement, les politiques économiques des États. Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch composent aujourd’hui un oligopole dont les décisions peuvent faire basculer la confiance d’un marché ou alourdir le coût d’emprunt d’un pays. Mais leur pouvoir dépasse largement la simple évaluation des risques : elles façonnent l’image économique d’une nation et structurent l’accès au capital. Face à une régulation parfois jugée insuffisante et une influence perçue comme asymétrique, la question se pose : les agences de notation sont-elles devenues un nouveau « Big Four », à l’instar des géants de l’audit ?
Derrière ces notations se cachent des mécanismes complexes mêlant expertise financière, lobbying et jeux d’intérêts. Si elles se présentent comme des arbitres impartiaux de la santé financière, leur indépendance est régulièrement remise en question. La crise financière de 2008 a révélé leurs limites, notamment leur rôle dans la surévaluation des actifs toxiques. Pourtant, malgré les critiques, elles demeurent essentielles à l’architecture du système financier mondial. Dès lors, peut-on considérer les agences de notation comme une nouvelle élite régulatrice, ou sont-elles avant tout des outils façonnés par et pour les grands acteurs du marché ?
Pas exemptées d’erreurs…
Loin des gros scandales financiers comme ceux des Big Four, les Big Three sont cependant sujets à des erreurs. D’après nos recherches sur les agences de notation au cours des dix dernières années, il existe des biais évidents dans la manière dont elles déterminent le risque souverain africain, par exemple. Plusieurs études ont montré que les agences de notation surestiment certains facteurs de risque sur le continent. Une autre étude, comparative de 30 pays d’Afrique et d’autres régions, a mis en évidence un manque d’uniformité dans l’application des indicateurs économiques dans les notations. C’est ce qui a expliqué la décision de l’Union africaine d’adopter une déclaration sur la création d’une agence de notation de crédit pour l’Afrique.
Lire aussi | Maroc : les six secteurs stratégiques au Maroc selon bpifrance
Côté présence, la plupart des analystes de notation sont basés en Europe, en Asie et aux États-Unis. Parmi les trois grandes agences, Standard & Poor’s et Moody’s ont chacune un seul bureau en Afrique du Sud. Elles disposent au total de cinq à dix analystes couvrant environ 25 pays souverains, entreprises et pays sous-souverains. Fitch Ratings a fermé son seul bureau en Afrique en 2015. Selon l’économiste Medi Lalhlou, « on a des experts qui n’ont pas le recul terrain dans leur analyse. Et c’est un véritable handicap ».
Les ratés en Afrique
En Tunisie, Fitch a commis une erreur dans une évaluation de décembre 2022. L’agence a publié sa notation en dehors du calendrier prévu, sans tenir compte de toutes les informations disponibles et pertinentes. Fitch a corrigé cette erreur trois mois plus tard, mais uniquement pour se conformer à l’exigence réglementaire de l’Autorité européenne des marchés financiers, qui impose aux agences de notation de ne pas s’écarter du calendrier de publication des notations souveraines.
Au Cameroun, c’est Moody’s qui a fait une interprétation erronée du dossier des impôts supplémentaires sur le revenu des personnes physiques. L’agence a perçu cette mesure comme un développement négatif pour le profil de crédit du pays, alors que les indicateurs budgétaires du Cameroun étaient modérés et que le pays pouvait se permettre d’augmenter les salaires.
Lire aussi | Assurance en Afrique : 6 tendances qui redéfiniront le secteur
Encore au Nigeria, Moody’s a dû revenir sur la dégradation de l’évaluation du pays en l’espace de sept mois. Pour justifier son changement d’avis, l’agence a invoqué l’évolution positive de la politique économique résultant de la suppression par le gouvernement des subventions aux carburants et de l’unification des taux de change. Pourtant, ces facteurs économiques n’avaient pas changé entre l’abaissement de la note et son annulation. Le gouvernement nigérian avait contesté la décision initiale de Moody’s.
Un écosystème à rééquilibrer
« Les agences de notation reviennent régulièrement dans le débat dès lors qu’elles attribuent des notes influençant directement les marchés financiers. À l’image des cabinets d’audit, les trois grandes agences (Moody’s, S&P, Fitch) ont structuré un écosystème qui leur confère une signature plus puissante que leurs concurrents. Cette position dominante façonne la perception du risque et oriente les flux d’investissements à l’échelle mondiale », explique Fahim, Managing Partner chez BDO et président de Hub Africa.
Et d’ajouter : « Une agence de notation propre aux économies du Sud ne viserait donc pas à s’opposer aux grandes références existantes, mais plutôt à enrichir l’écosystème financier en apportant une vision complémentaire, plus contextualisée et moins sujette aux biais systémiques des modèles occidentaux. Cela permettrait d’améliorer l’accès au financement, d’optimiser les stratégies d’investissement et de renforcer l’attractivité des marchés émergents sur la scène internationale. À bon entendeur. »
Faut-il lancé des agences pour créer un autre narratif ?
Au Maroc, il y’a quelque semaines, Fitch Ratings abaissait la note nationale à long terme de la Société Générale Marocaine passant de AAA à AA. Au Sénégal, c’est Moody’s qui a dégradé la note souveraine du pays de Ousmane Sonko. Cette pression des agences de notations sur les économies africaines pose une question centrale : peut-on créer nos agences de notations ? Du côté de l’Afrique de l’ouest, Bloomfield Investment Corporation est la première agence de notation financière d’Afrique francophone. En 16 années d’activité, ses équipes ont passé au peigne fin les états financiers d’États, d’entreprises, de collectivités locales et d’institutions financières.
Plus de 2000 notes financières ont ainsi été attribuées. Basée à Abidjan en Côte d’Ivoire avec une représentation au Cameroun, l’agence de notation Bloomfield est en pleine expansion aussi bien en Afrique qu’en Europe avec un savoir-faire et une croissance qui font d’Abidjan la ville pionnière de la notation financière en Afrique francophone. Dans une tribune publiée sur Jeune Afrique, le CEO de Bloomfield Investment appelait à plus d’agence de notation sur le continent. « Les idées préconçues des agences internationales de notation pénalisent l’Afrique », explique l’expert.