Mohamed El Fane: « Nous estimons une croissance du secteur de la franchise de 500% d’ici 2030 »
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Le Maroc est à un tournant stratégique dans le développement du secteur de la franchise et les cinq prochaines années seront cruciales. Explications de Mohamed El Fane, à l’occasion de la première édition de la Franchise Exhibition Morocco.
Challenge : Quel bilan dressez-vous de la première édition de la Franchise Exhibition Morocco ?
Mohamed El Fane : La première édition, qui s’est tenue du 12 au 14 février 2025 au Salon International de Casablanca, a été un véritable succès. Cet événement inédit a connu un succès sans précédent, affirmant la place du Maroc comme un hub stratégique pour le développement de la franchise et du commerce en réseau. Avec plus de 80 exposants issus de secteurs variés – prêt-à-porter, restauration, joaillerie, ameublement, hôtellerie, transfert d’argent, conseils, associations, et bien d’autres – le salon a offert une vitrine exceptionnelle aux acteurs du marché. 40 % des enseignes étaient marocaines, tandis que 60 % représentaient des marques internationales, dont 20 % venues spécialement de l’étranger pour explorer les opportunités qu’offre le Royaume.
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Challenge : Quels sont donc selon vous, les principaux défis auxquels le secteur de la franchise est confronté au Maroc ?
M. E. F. : Le secteur de la franchise et du commerce en réseau au Maroc représente un formidable levier de développement économique. Cependant, pour que cette dynamique puisse pleinement s’épanouir, plusieurs défis majeurs doivent être relevés. La structuration du marché passe par une réflexion approfondie sur la formation, la fiscalité, le sourcing local, le financement, la réglementation et la valorisation du “Made in Morocco”.
Challenge : Dans ce sens, en quoi la formation est-elle essentielle pour le développement de la franchise ?
M. E. F. : L’essor de la franchise repose sur la compétence de ses acteurs. Aujourd’hui, il est impératif de développer une offre de formation adaptée, en collaboration avec le ministère de l’Emploi et l’Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT). Cette offre doit couvrir le service client, la production et le middle management, afin de garantir aux entrepreneurs une montée en compétences fluide et efficace, condition sine qua non de leur réussite.
Challenge : Que proposez-vous pour améliorer le cadre fiscal et douanier ?
M. E. F. : L’instabilité fiscale est l’un des freins majeurs à l’essor de la franchise au Maroc. Il est essentiel d’instaurer une loi de finances stable et de mettre en place des incitations fiscales spécifiques favorisant le développement en réseau. Une révision des taxes douanières sur l’importation permettrait également d’attirer davantage d’investisseurs vers des modèles éprouvés plutôt que vers des créations ex-nihilo, souvent plus risquées.
Challenge : Comment comptez-vous encourager le sourcing local ?
M. E. F. : Le succès d’un réseau de franchise repose sur la fiabilité de son approvisionnement. Il est donc fondamental d’accompagner les industriels marocains afin qu’ils puissent répondre aux besoins des entrepreneurs en leur fournissant des produits de qualité, fabriqués localement. Cette approche renforcerait non seulement l’écosystème national, mais contribuerait également à réduire la dépendance aux importations.
Challenge : Quel est votre avis sur l’accès au financement pour les entrepreneurs ?
M. E. F. : L’accès au financement est un enjeu crucial pour tout entrepreneur souhaitant intégrer une franchise. Les banques doivent jouer un rôle moteur en proposant des produits de financement spécifiques avec des taux préférentiels, à l’image de ce qui a été fait pour le secteur immobilier entre 2008 et 2016. En parallèle, les mécanismes de subvention institutionnels mériteraient une révision pour intégrer des postes de dépenses essentiels comme la communication et la recherche & développement, souvent exclus des aides actuelles.
Challenge : Quelles mesures doivent être prises pour une réglementation adaptée ?
M. E. F. : Le cadre juridique du commerce doit évoluer pour mieux encadrer les relations entre franchiseurs et franchisés. L’un des points soulevés concerne la question du fonds de commerce : doit-il revenir au franchisé, au franchiseur, ou être partagé selon des règles précises ? Une étude approfondie, menée en collaboration avec des experts, permettrait de répondre à ces enjeux et d’adapter la législation au contexte marocain.
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Challenge : Sur un autre volet, quelle est votre vision pour le «Made in Morocco» dans le secteur de la franchise ?
M. E. F. : La montée en puissance du “Made in Morocco” dans le secteur de la franchise passe par la mise en place d’un processus structuré. Il est recommandé d’instaurer une charte de référence et un plan d’actions concrets, afin d’accompagner les entrepreneurs marocains dans le développement de leurs propres enseignes. Cette démarche garantirait un positionnement fort et une reconnaissance accrue des marques locales, tant au Maroc qu’à l’international.
Challenge : Au vu de tous ces défis, comment voyez-vous l’évolution du secteur de la franchise dans les prochaines années ?
M. E. F. : Les cinq prochaines années seront déterminantes pour l’évolution du commerce en réseau et de la franchise au Maroc. L’essor économique que connaît le pays, conjugué à une demande croissante en infrastructures et services, crée un contexte idéal pour accélérer l’émergence de marques marocaines fortes, compétitives et capables de rayonner à l’international. Ce sont ces bases solides qui vont permettre au secteur de se structurer et de se renforcer.
Challenge : Vous avez évoqué un projet ambitieux en partenariat avec la Chambre de Commerce et le ministère concerné. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. E. F. : Oui, en tant que fédération, nous avons lancé un projet ambitieux : accompagner et structurer la montée en puissance d’au moins 100 marques marocaines d’ici 2030, afin qu’elles deviennent des champions nationaux et internationaux. Ce projet repose sur un partenariat stratégique avec la Chambre de Commerce, d’Industrie et de Services de Casablanca-Settat et le soutien des autorités compétentes. Nous visons à doter ces marques des moyens nécessaires pour conquérir le marché local et international.
Challenge : Il y a une forte présence de marques internationales au Maroc. Quel est l’objectif à moyen terme concernant cette situation ?
M. E. F. : Aujourd’hui, les marques internationales dominent encore largement les principales artères commerciales des villes marocaines et les malls. Nous nous sommes fixé un objectif clair : rééquilibrer cette présence pour atteindre une répartition de 50% de marques marocaines contre 50% de marques internationales. Et pourquoi pas 60%-40% en faveur du “Made in Morocco” à terme. Ce rééquilibrage est non seulement stratégique pour notre économie locale, mais aussi pour l’organisation du commerce et des services, la structuration des standards et la lutte contre l’informel.
Challenge : Quelles sont les étapes pour atteindre cet objectif d’ici 2030 ?
M. E. F. : Nous avons défini une feuille de route structurée pour parvenir à cet objectif. Chaque année, nous devons gagner entre 5 et 10 points de parts de marché pour atteindre cet équilibre d’ici 2030. Cela implique des efforts soutenus dans le développement des marques locales, dans leur structuration et leur compétitivité. C’est un défi qui nécessite une collaboration entre les secteurs public et privé, ainsi qu’un soutien constant aux entrepreneurs marocains.
Challenge : Vous mentionnez que la franchise peut jouer un rôle clé dans la diplomatie économique. Comment la franchise contribue-t-elle à l’influence internationale du Maroc ?
M. E. F. : La franchise joue un rôle fondamental dans la diplomatie parallèle et le rayonnement du Maroc à l’international. Chaque marque qui s’exporte véhicule une partie de notre culture, de notre savoir-faire et de notre identité nationale. Cela devient une forme de soft power, similaire à ce que d’autres pays ont fait en imposant leurs enseignes comme des références mondiales. Aujourd’hui, nous voyons l’impact des marques étrangères sur notre quotidien. Il est temps pour le Maroc de prendre sa place sur la scène internationale en développant ses propres marques, qui séduiront des consommateurs au-delà de nos frontières.
Challenge : En quoi la franchise peut-elle être un levier pour la croissance économique du Maroc ?
M. E. F. : La franchise représente une opportunité sans précédent. Nous estimons une croissance du secteur de 500% d’ici 2030. Mais pour que cet essor soit structuré et pérenne, il est nécessaire de définir un plan d’action réaliste et adapté à notre contexte local, tout en suivant les meilleures pratiques internationales. Le Maroc possède tous les atouts pour devenir un hub incontournable de la franchise en Afrique et au-delà, grâce à son dynamisme économique, son environnement favorable et ses entrepreneurs créatifs.
Challenge : Quels sont les défis à relever pour garantir cette réussite et quels soutiens sont nécessaires ?
M. E. F. : Pour que cette évolution se concrétise, nous devons nous appuyer sur des experts ayant accompagné des success stories en franchise, qu’ils soient marocains ou étrangers. Le développement d’un secteur structuré nécessite également une meilleure formation des acteurs locaux, un soutien accru aux PME, et une simplification des procédures administratives. Le gouvernement et les institutions doivent être des partenaires clés dans ce processus, afin d’offrir un cadre propice à l’investissement et à la réussite des entrepreneurs marocains.
Challenge : Enfin, quel message souhaitez-vous transmettre aux entrepreneurs et aux investisseurs marocains ?
M. E. F. : Je tiens à encourager les entrepreneurs marocains à saisir cette opportunité unique. Le secteur de la franchise est en pleine expansion et le Maroc offre des perspectives exceptionnelles. Nous avons les ressources, l’énergie et le savoir-faire nécessaires pour bâtir des marques compétitives à l’échelle internationale. Il est temps de croire en notre potentiel et d’agir ensemble pour créer un avenir où les marques marocaines seront des leaders du marché mondial.