Trump rebat les cartes du jeu géopolitique

En à peine plus d’un mois de présidence, Donald Trump a déjà bousculé l’ordre géopolitique mondial, sans tabou ni fioriture, considérant la diplomatie comme un rapport de force, jusqu’à faire trembler les alliés de l’Amérique.
La spectaculaire altercation vendredi avec Volodymyr Zelensky, devant les caméras du monde entier, a révélé au grand jour cette nouvelle donne de la diplomatie américaine, viscéralement unilatéraliste.
Le président américain a ordonné lundi une pause dans l’aide militaire des Etats-Unis à l’Ukraine, après avoir reproché au dirigeant ukrainien de s’être montré irrespectueux et de manquer de gratitude envers son gouvernement pour ses efforts visant à mettre fin au conflit entre l’Ukraine et la Russie. « Vous n’avez pas les cartes en main », lui a-t-il lancé.
Que ce soit à propos du Groenland, ce vaste territoire autonome danois dont il souhaite s’emparer, du canal de Panama ou encore de l’imposition de tarifs douaniers à tout-va, le président américain montre clairement qu’il se soucie davantage de ses intérêts que de ses amis. Il ne s’en cache pas d’ailleurs.
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Les alliés des Etats-Unis dans l’Otan sont pointés du doigt, accusés de tirer profit de la générosité de l’Amérique. Et la construction européenne vise avant tout « à entuber » les Etats-Unis, a-t-il dit.
« Mon administration effectue une rupture nette avec les valeurs de politique étrangère de l’administration précédente et, franchement, du passé », a affirmé Donald Trump la semaine dernière lors d’une conférence de presse aux côtés du président français Emmanuel Macron.
Les coupes drastiques dans l’aide au développement à l’étranger en témoignent.
Son prédécesseur démocrate Joe Biden s’était vanté, au contraire, de jouer la carte du multilatéralisme, donnant la priorité à la défense des démocraties et aux alliances, vues comme multiplicatrices de force pour l’influence américaine.
Pour Max Bergmann, du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington, « la politique étrangère n’a plus rien à voir avec le respect de ces valeurs par les Etats-Unis ».
« Je pense qu’il s’agit d’un changement très profond dans l’ordre mondial international », a-t-il dit à l’AFP.
Pas étonnant dès lors que le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, a appelé les Etats-Unis à agir comme la Russie et la Chine, en poursuivant d’abord leur propre intérêt.
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Après le fiasco de la rencontre à la Maison Blanche, la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Kaja Kallas, a dit qu’il était « devenu clair que le monde libre a besoin d’un nouveau leader ».
Le pivot de Donald Trump vers la Russie, marqué par l’appel avec le président russe Vladimir Poutine le 12 février, continue de provoquer une onde de choc en Europe et au-delà, des Etats baltes jusqu’à Taïwan, offrant « une véritable ouverture » à la Chine, selon M. Bergmann.
Il note que les Etats-Unis se sont efforcés de convaincre les pays de ne pas conclure d’accords séparés avec la Chine, car celle-ci n’était pas fiable.
« Voici que les Etats-Unis changent complètement de camp, et cessent de soutenir une démocratie en guerre », relève l’expert.
La Chine a multiplié ces dernières années les déploiements d’avions et de navires de guerre autour de Taïwan, qu’elle considère comme une partie de son territoire. Pékin n’a pas exclu de recourir à la force pour en prendre le contrôle.
Or, le président américain reste évasif sur un éventuel soutien à Taïwan en cas d’invasion chinoise, même s’il a pu dire lundi qu’une telle invasion serait un « événement catastrophique ».
Taïwan « à de quoi être nerveuse », estime Bonnie Glaser, qui dirige le programme Indo-Pacifique du German Marshall Fund, un cercle de réflexion à Washington.
Contrairement à l’Ukraine, qui bénéficie du soutien de la quasi-totalité de l’Europe, Taïwan dépend quasi-exclusivement des Etats-Unis pour son armement.
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Mais, ajoute-t-elle, les enjeux économiques rendent les situations différentes alors que Taïwan est le premier fabricant de puces au monde.
Reprenant les mots de M. Trump à M. Zelensky, « Taïwan a des cartes à jouer », juge Mme Glaser.
Selon Joshua Rovner, politologue à l’American University, l’incertitude fait partie de la stratégie du président américain.
« Il y a mille manières d’interpréter ce qu’il dit. Ce qui compte vraiment, c’est ce qu’il fait en fin de compte avec les forces américaines », dit-il.
Challenge (avec AFP)