Une lettre de Donald Trump met l’Iran face à un dilemme

Faire fi d’une main tendue de Trump ou négocier? Et si oui, avec quelles lignes rouges? L’Iran est confronté à un choix cornélien, au moment où le pays cherche une levée des sanctions pour relancer son économie, mais pas à n’importe quel prix.
Depuis son retour à la Maison Blanche, le président américain se dit prêt au dialogue avec Téhéran pour un « deal », affirmant avoir écrit une lettre en ce sens aux dirigeants iraniens.
« La lettre a été écrite mais elle n’est pas encore arrivée et va être bientôt remise par un pays arabe », a déclaré mercredi à des journalistes le chef de la diplomatie Abbas Araghchi. L’Iran et les Etats-Unis n’ont plus de relations diplomatiques depuis 1980.
Mais Donald Trump a dans le même temps rétabli sa politique dite de « pression maximale » à l’encontre de l’Iran, avec de nouvelles sanctions contre son secteur pétrolier, et menacé d’un recours à la force.
« Nous ne négocierons pas sous la pression, la menace ou les sanctions », répète à l’envi Abbas Araghchi.
Le président américain est perçu avec une profonde méfiance par le pouvoir iranien depuis son retrait avec fracas en 2018 d’un accord international sur le nucléaire conclu avec l’Iran — « le pire accord jamais négocié » par son prédécesseur Barack Obama, selon M. Trump.
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Le texte, conclu trois ans plus tôt et auquel la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine sont partie prenante, prévoyait une levée de certaines sanctions et le retour en Iran d’investissements occidentaux en échange d’un contrôle accru des activités nucléaires du pays.
L’Iran respectait ses engagements selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) mais l’accord a volé en éclats, les sanctions américaines ont été rétablies et l’économie iranienne ne s’en est jamais remise, avec depuis une hyperinflation à deux chiffres et une dépréciation continue de la monnaie nationale face au dollar.
Selon le Centre iranien des statistiques, un organisme officiel, les prix en février ont ainsi augmenté de plus de 36% sur un an, tandis qu’un dollar s’échange au marché noir à près de 930.000 rials, proche d’un record.
« Il est impossible de sortir de ces difficultés économiques sans négocier avec l’Occident une levée des sanctions », indique à l’AFP Ali Bigdeli, professeur en relations internationales à l’Université Shahid Beheshti de Téhéran.
L’ayatollah Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les décisions stratégiques, a exhorté en février le gouvernement à « ne pas négocier » avec l’administration Trump, après l’amère expérience de l’accord non respecté.
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Pour Donald Trump comme pour les dirigeants iraniens, il s’agit avant tout de rhétorique, destinée à montrer à l’opinion publique qu’ils négocient « en position de force », estime Rahman Ghahremanpour, expert en politique étrangère.
« L’Iran semble prêt à des négociations limitées » mais uniquement sur son programme nucléaire, estime M. Ghahremanpour.
Discuter éventuellement pour « répondre aux préoccupations » sur un potentiel usage militaire du nucléaire mais « pas pour le démanteler », a prévenu la mission iranienne à l’ONU.
Les pays occidentaux soupçonnent depuis des décennies l’Iran de chercher à se doter de l’arme nucléaire, ce que Téhéran conteste vigoureusement.
L’Iran défend un droit au nucléaire à des fins civiles, notamment pour l’énergie.
En revanche, pas question d’élargir les négociations à ses missiles balistiques, perçus comme une menace directe à Israël, ni son soutien militaire à « l’axe de la résistance », une alliance informelle de groupes armés dont le Hezbollah au Liban fait partie.
« Qui peut accepter ça? », a feint de s’interroger samedi dans un discours Ali Khamenei, accusant les Etats-Unis sans les nommer explicitement, de « vouloir imposer leur volonté » au prétexte de négociations.
« On ne sait pas si l’administration Trump est prête à un accord limité avec l’Iran ou plus complet » qui pourrait comprendre une normalisation des relations, souligne M. Ghahremanpour.
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Les Etats-Unis et l’Iran, autrefois de proches alliés, ont rompu en 1980 leurs relations diplomatiques, peu après la Révolution islamique qui a renversé la dynastie Pahlavi soutenue par Washington et la prise en otage de diplomates américains dans leur ambassade à Téhéran.
En cas d’échec de la diplomatie, « la possibilité d’une attaque militaire d’Israël ou des Etats-Unis contre l’Iran est quasiment nulle », estime Ali Bigdeli. Car « cette guerre mettrait le Moyen-Orient à feu et à sang ».
Une attaque contre des sites nucléaires en Iran contaminerait et priverait d’eau les pays voisins du Golfe, a mis en garde dans une interview le Premier ministre qatari, cheikh Mohammed ben Abdelrahmane al-Thani.
Le Qatar abrite la plus grande base militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient.
Challenge (avec AFP)