Interview

Saïd Guemra : « L’intégration industrielle est une composante de l’offre hydrogène Maroc »

Avec un potentiel de production estimé entre 9 et 25 millions de tonnes d’hydrogène par an d’ici 2050, le Maroc se positionne comme un futur acteur clé du marché mondial. Cependant, l’importation massive d’équipements risque d’alourdir les coûts et l’empreinte carbone du secteur. Dans cet entretien, Dr Saïd Guemra, expert en management de l’énergie, explore les défis et les opportunités d’une intégration industrielle locale, qui pourrait transformer le Maroc en un pôle de compétitivité unique.

L’essor de l’hydrogène vert au Maroc repose sur un potentiel énergétique exceptionnel. Les premiers projets, totalisant 26,61 GW, marquent le début d’une dynamique qui pourrait propulser le pays parmi les leaders mondiaux du secteur. Mais au-delà des ambitions de production, une question fondamentale se pose : comment structurer un écosystème industriel capable de répondre aux besoins colossaux en équipements, tout en réduisant les coûts et en maximisant la valeur ajoutée locale ? Dans cet entretien accordé à Challenge Dr Saïd Guemra met en lumière l’impératif d’une intégration industrielle forte. Selon lui, produire localement éoliennes, électrolyseurs et panneaux photovoltaïques n’est pas seulement une option, mais une nécessité pour garantir la compétitivité de l’hydrogène marocain sur le marché mondial. Il aborde également l’impact économique et stratégique d’un tel choix, ainsi que les modèles industriels envisageables pour faire du Maroc un hub technologique et industriel de l’hydrogène.

Quels sont les défis et opportunités liés au développement d’une industrie locale de fabrication d’équipements pour l’hydrogène au Maroc ?

La réponse à cette question repose sur la connaissance du potentiel de production d’hydrogène du Maroc, tenant compte des développements futurs des grands projets hydrogène, et des résultats des projets qui viennent  d’être lancés, du potentiel de la production locale des équipements de production de l’hydrogène sur la base de l’électrolyse de l’eau, utilisant principalement l’énergie éolienne, et l’énergie photovoltaïque. Des études montrent que le potentiel de production de l’hydrogène au Maroc serait de 9 Millions de Tonnes d’hydrogène, ce qui correspond à une puissance installée de 200 GW à 2050, soit un investissement de 420 MM$.  Le besoin mondial à cette année était estimé à 540 MTH2/an, il vient d’être actualisé à 600 MTH2, en fonction des nouveaux besoins identifiés (Colonne 1 du tableau).  D’autres estimations, évaluent le potentiel du Maroc, à 4% du besoin monde, soit 24/25 MTH2/an, ce qui correspond à une puissance de 550 GW, et un investissement de l’ordre de 1 155 MM$ d’ici à 2050 (Colonne 2 du Tableau).  Les projets actuels avec 26.61 GW qui viennent d’être lancés, doivent produire approximativement 1.2 MTH2/an. 

Ainsi la production prévisionnelle du Maroc se retrouve dans un large spectre entre 9 et 25 MTH2/an. Ce spectre va se resserrer dans le temps, mais en prenant comme référence une production de 9 Millions de Tonnes par an, nous voyons sur le tableau le formidable besoin des équipements qui vont être engagés pour cette production : 28 000 génératrices, 28 000 mats, 84 000 pales, 20 000 électrolyseurs, et 120 Millions de plaques photovoltaïques de 500 W.  Imaginez la logistique de transport de ces équipements, quand on sait qu’un bateau ne peut transporter plus que 9 pales.  Une usine de cellules photovoltaïque est rentable à partir d’une production de 1 GW par an, dans le cas de l’option du Maroc à 200 GW, nous sommes à 60 GW de photovoltaïque.  Avec ces chiffres qui montrent le besoin minimal du Maroc en terme d’équipements renouvelables et électrolyseurs, l’option de l’intégration industrielle, qui a une place majeure dans l’offre hydrogène du Maroc, n’est plus à démontrer, et elle s’impose à nous pour faire du Maroc un grand producteur mondial d’une molécule hydrogène des plus compétitives, dans la mesure ou les couts de production des équipements en terme de capex seront des plus intéressants.  Reste à voir comment nous allons imaginer l’écosystème industriel de l’hydrogène, c’est une question centrale que vous posez lors du Green Hydrogen Industry Forum du 9 Avril, et nous espérons pouvoir apporter les réponses adéquates.

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Comment l’intégration industrielle des équipements renouvelables peut-elle influencer la compétitivité du Maroc sur le marché mondial de l’hydrogène ?

Prenons le cas d’une éolienne de 5 MW, qui coute 5/6 M$, qui doit être produite en Europe, avec des délais de plus en plus longs à cause de la demande, il faut la transporter par bateau, les pâles doivent être transporté par convoi spéciale du port jusqu’au site d’installation, avec des couts très importants.  Si cette même éolienne est fabriquée par loin de son site d’implantation, à Dakhla, ou Laayoune, à des couts nettement inférieurs : 25 à 30% en moins, avec un délai très raisonnable, il en est de même pour les autres composantes : électrolyseurs, plaques photovoltaiques, batteries….il est certain que le Maroc va se positionner de manière unique dans la production mondiale de l’hydrogène. Qui dit industrie avancée, dit R&D, je défends l’idée du village R&D hydrogène à Dakhla, qui va permettre d’améliorer les performances des équipements, en particulier les électrolyseurs qui sont au cœur du processus de production de l’hydrogène, mais également les éoliennes et les plaques photovoltaiques.  Le Maroc, peut ainsi offrir bien plus qu’un espace de production de l’hydrogène, mais un espace ou la production compétitive côtois la recherche scientifique appliquée.  Si nous restons sur le modele conservateur de 200 GW à 2050, l’objectif à moyen terme, serait une production de 100 GW, la vitesse de croisière des productions marocaines des équipements renouvelables serait située vers 2035. Un autre avantage et non des moindres, serait la faible empreinte carbone pour la construction de ces équipements, ces usines seraient alimentée par une électricité renouvelable secourues par batteries, l’empreinte carbone serait pratiquement nulle.  Si l’hydrogénoduc est construit, l’hydrogène exporté vers l’Europe, aurait la plus faible empreinte carbone possible.  Dans un avenir proche, l’hydrogène ne sera plus commercialisé avec les couleurs actuelles, mais avec une distinction de son empreinte carbone, un autre grand avantage que nos concurrents n’ont pas, et qui serait acquis grâce à l’industrialisation sur site : produire des équipements, et les installer sur site, et vendre l’hydrogène plus cher, puisqu’il est moins carboné que celui de la concurrence.

Quels seraient les impacts économiques et logistiques si le Maroc dépendait entièrement des importations pour ses infrastructures hydrogène ?

Vous avez vu les chiffres astronomiques relatifs aux équipements de production de l’hydrogène.  Pour les premiers projets, les équipements peuvent être importés avec les infrastructures portuaires actuels, de même pour les premières exportations d’ammoniac, il n’est pas encore question d’exporter l’hydrogène sous sa forme liquide.  Nous avons actuellement sept projets totalisant 26.6 GW, soit une moyenne de 3.8 GW par projet.  Ce ne sont pas de grands projets comparés aux puissances initiales de 10 à 14 GW, et un cout de production de l’hydrogène entre 1 et 1.5 $/kg annoncés il y’a deux ou trois ans, le projet pilote chinois a démontré des couts bien plus importants.  Les développeurs vont commencer avec des puissances nettement plus petites, type total energy qui va commencer sa phase 1 avec une puissance de 0.3 GW.  Les trois ou quatre prochaines années seront pour les études 12 à 18 mois pour les vitesses de vent, et les premières productions pilote, les rectifications des processus, mais les projets actuels, vont certainement demander des extensions si la production en phase pilote, se fait de manière rentable, le nombre d’heures de fonctionnement de l’électrolyseur sur une année est le facteur clé pour la suite des évènements.  Pour cette première phase, les équipements seront importés, et nous devons faire avec, mais par la suite, un écosystème de production locale va s’imposer comme un facteur de compétitivité, et finalement du prix de revient de l’hydrogène, qui lui-même dépend du cout des équipements.

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Quel modèle industriel et économique serait le plus adapté pour maximiser la valeur ajoutée et l’emploi dans l’écosystème hydrogène marocain ?

Je fais le pari suivant : dans dix-huit mois à deux ans, le Maroc va recevoir une multitude de demandes pour la production de l’hydrogène sur l’axe Guelmime Oued Noun- Guergarate qui va saturer très vite, et nous aurons besoins de sites à l’intérieur des terres, avec des conduites d’eau mer.  J’avais mené des campagnes de mesures de la vitesse du vent dans les environs de Laayoune, et je peux dire, que nous n’avons pas des vents très forts comme à Tanger, mais des vents très réguliers, ce qui convient aux éoliennes, et surtout aux les électrolyseurs qui n’apprécient pas les fortes variations de puissance.  Les développeurs seront agréablement surpris par les performances climatiques de nos régions du sud. Le Chili qui reste notre principal concurrent sur le marché européen, et qui dispose de la moitié de notre foncier disponible pour les projets hydrogène, n’a pas cet avantage, la région de Magallanes dispose de vents très forts par occasion, mais pas aussi réguliers.  Vous avez le premier avantage du Maroc.  Le second avantage réside bien évidement dans les possibilités d’intégration des équipements, soutenus par la R&D. Pour produire de l’hydrogène, l’électricité est majoritairement éolienne, le photovoltaïque apporte le complément du jour. Dans notre modèle industriel, la production des éoliennes est prioritaire par rapport au photovoltaïque et les électrolyseurs, et qui présente le plus de difficultés de transport, avec un espoir de réduction des coûts de 30% par rapport au marché international. Plusieurs modèles peuvent être considérés, dans la mesure ou la demande existe, un fabriquant d’éoliennes peut investir avec une obligation d’achat de la part des développeurs H2, les développeurs H2 peuvent monter des usines, et fabriquer leurs propres éoliennes, des investisseurs marocains et étrangers avec des parts de financements marocains, un partenariat public privé, peut être envisagé, mais dans tous les cas, nous devons avoir un business model qui vise par exemple 100 GW en 2035, étant entendu que l’objectif final reste 200 GW en 2050, qui peut être révisé en fonction de l’évolution des projets.   Il faut savoir que ce sont de très grandes usines qui vont changer la configuration de la ville de Dakhla et/ou Laayoune, avec des milliers d’emplois hors production de l’hydrogène.  C’est le même principe qui va s’appliquer pour les usines de production des électrolyseurs, et cellules photovoltaiques. Je crois énormément aux projets hydrogène du Maroc, et à sa composante d’intégration industrielle, qui aura un impact certain sur le développement des énergies renouvelables au Maroc de manière générale.  Ce développement doit être vu sous l’angle de réduction des couts de l’hydrogène qui ne sera dévoilé qu’une fois les projets pilotes réalisés, mais également pour la réduction des couts des renouvelables dans notre pays.

 
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