Le Maroc face à la tempête commerciale

Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump relance sa politique commerciale offensive, avec une taxe universelle de 10 % sur toutes les importations et une surtaxe ciblée de 60 % sur les produits chinois. Ce tournant protectionniste, aux allures de guerre commerciale mondiale, pourrait avoir des répercussions inattendues.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche remet sur la table la guerre commerciale. Fidèle à sa vision “America First”, le président républicain passe à l’offensive en instaurant une taxe généralisée de 10 % sur toutes les importations et une surtaxe de 60 % sur les produits chinois. Si ces mesures visent d’abord à relocaliser l’industrie américaine et à réduire le déficit commercial, elles risquent de bousculer les équilibres mondiaux.
Le commerce international, déjà affaibli par les séquelles de la pandémie, les tensions géopolitiques et la fragmentation des chaînes de valeur, pourrait entrer dans une nouvelle phase de contraction. Cette orientation unilatérale, où la fiscalité douanière devient un levier stratégique de politique intérieure, met à mal la logique du libre-échange dans un monde où la globalisation devient un mythe.
Pour un pays comme le Maroc, dont l’économie reste fortement dépendante de ses partenaires extérieurs, un tel tournant américain ne serait pas neutre. L’impact serait indirect, certes, mais réel.
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« En taxant massivement les produits chinois, Trump pousserait Pékin à réorienter son excédent vers d’autres marchés, dont l’Afrique. Le Maroc, qui aspire à se positionner comme hub industriel régional, pourrait voir arriver une vague de produits chinois à destination du marché américain. De plus, les partenaires européens du Maroc, eux aussi exposés à ces surtaxes, pourraient être intéressés par l’alternative marocaine », nous confie l’expert en géopolitique Anass Abdoun. Pour ce dernier, cette décision est en vérité une opportunité pour le Maroc.
Développement : un scénario à surveiller de près
Dans les faits, « le Maroc n’est pas un exportateur direct de biens vers les États-Unis à grande échelle, mais il est inséré dans un écosystème commercial global où toute perturbation majeure crée des effets domino », prévient l’économiste Adnane Benchekroune. L’instauration de taxes universelles par Trump pourrait impacter la demande mondiale, en ralentissant les échanges, et pousser plusieurs multinationales à réviser leurs implantations industrielles.
Dans ce contexte, le Maroc pourrait perdre certains avantages compétitifs, en particulier si la logique de « nearshoring » se mue en repli protectionniste centré exclusivement sur le territoire américain. Par ailleurs, la montée du protectionnisme inciterait d’autres grandes puissances à riposter, notamment l’Union européenne, à laquelle le Maroc est très lié économiquement. Si la guerre commerciale devient globale, l’économie marocaine, qui repose sur des équilibres externes fragiles (exportations, tourisme, transferts de la diaspora), risque de subir une pression accrue.
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Le risque est alors double : affaiblissement des débouchés à l’export et arrivée massive de produits à bas prix, notamment chinois, sur le marché local. « Aujourd’hui, c’est aux élites de se pencher sur la question et de voir comment réagir », explique l’économiste.
Le monde se fragmente, les sirènes du protectionnisme retentissent…
En 2012, à Davos, une syndicaliste européenne a fait une déclaration choc qui a été un électrochoc historique et a attiré l’attention de l’élite sur la trajectoire du capitalisme à l’ère de la globalisation. Le monde des affaires a perdu sa boussole morale. Alors, pour paraphraser Lénine, que faire ? Ouverture ! crient les uns. Repli ! répondent les autres.
Aujourd’hui, après plusieurs années de mondialisation heureuse, un autre monde se dessine. La page du grand magistère de la croissance globale se tourne… Dans le grand espace du commerce international, ce vent de changement annonçant le retour en force du protectionnisme se fait sentir.
Les récentes crises économique, sanitaire et politique ont mis en avant la dimension géopolitique, qui motive une nouvelle politique commerciale portée par les pays du Nord. Sous une apparence moins perceptible, le nouveau protectionnisme agit derrière des normes légales très complexes et plus difficiles à déceler et à contrôler par les décideurs publics et les institutions.
Dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, le dumping est souvent utilisé comme une arme commerciale par certains États et entreprises. Il consiste à vendre un produit à l’étranger à un prix inférieur à son coût de revient ou au prix pratiqué sur le marché domestique, ce qui met en difficulté les producteurs locaux. Face à ces pratiques, de nombreux pays se protègent en instaurant des mesures protectionnistes sous prétexte de préserver l’équité commerciale. Mais dans quelle mesure cet argument justifie-t-il un retour du protectionnisme ?
Selon la « théorie économique néoclassique », le protectionnisme, en empêchant la libre circulation des biens, introduit des distorsions sur le marché. Les droits de douane augmentant le prix des produits étrangers, la consommation se reporte sur des produits domestiques, qui sont ainsi protégés alors que leur production est moins efficace. De ce fait, les politiques commerciales protectionnistes sont considérées comme ayant un impact potentiellement négatif sur la croissance économique, le niveau de vie et le bien-être des ménages.
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Après cette mise en contexte, on peut se demander pourquoi les pays ont recours à cette pratique. Dans les détails, les pays ont cependant recours à ce type de politique économique pour plusieurs raisons, la première étant la protection de l’économie domestique, notamment des industries naissantes. De plus, elle permet, soi-disant, de protéger les industries nationales et donc l’emploi national. Il faut par ailleurs noter que la pensée des économistes reste catégorique sur ces externalités négatives pour l’économie.
Dans une note, les économistes Amiti, Redding et Weinstein (2020) ont montré que la plupart du coût des droits de douane imposés par Donald Trump lors de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine sur les importations de produits chinois a été reportée sur les entreprises et les ménages américains. Par ce biais, le recours à une politique commerciale protectionniste a bien plus d’impact sur l’économie que sur la seule réduction des importations des produits taxés.