Tribune et Débats

Afrique. Les banques marocaines rachètent de nombreuses filiales françaises [Par Charaf Louhmadi]

Le groupe Holmarcom acquiert une participation majoritaire au sein de Crédit du Maroc. La banque française Crédit Agricole S.A, qui cède l’essentiel de ses parts au groupe marocain, avait participé au développement de sa filiale au Maroc depuis plus de 15 ans, et bien avant, et ce, à travers Crédit Lyonnais.

L’acquisition se fait en deux parties et fait intervenir à la fois la holding HFC (Holmarcom Finance Company) et Atlanta Sanad Assurance ; d’abord et à fin 2022, HFC acquiert 50,9% des parts et Atlanta Sanad environ 12,8%. Ensuite, le groupe Holmarcom acquiert 15% des parts restantes 18 mois après la finalisation de la première transaction. Avec cette cession, le groupe Crédit Agricole S.A. se retire du Maroc, bien qu’il reste partenaire d’Attijariwafa bank à travers de Wafasalaf (filiale spécialisée dans le crédit consommation) et Wafa Gestion (ayant des activités de gestion d’actifs).

Rappelons que Crédit Agricole S.A. est une banque systémique dont la filiale Amundi, est un des plus grands gérants d’actifs au monde (deuxième en Europe à fin 2021). Le groupe détient en outre, un des plus grands réseaux de banques coopératives et mutualistes à l’échelle mondiale.

BMCI :  La cession des filiales DIGIFI & BMCI Asset management

A son tour, BMCI, filiale locale du géant français BNP Paribas cède son établissement de paiement DIGIFI à la société AB 15 Ventures. Digifi était détenu à hauteur de 24% par le groupe BNP Paribas, ainsi que 76% par BMCI (à la suite d’une augmentation de capital actée à la fin de l’année 2022). La cession devrait être finalisée au plus tard à la fin du premier semestre 2023. La filiale de paiement Digifi, qui compte plus de 170.000 clients à son actif, a décroché l’agrément en juillet 2019, son outil « Smartflouss » octroie une gamme de services diversifiée dans les paiements, les services cash avec des circuits digitalisés.

BMCI cède également à CIH Bank, sa filiale d’asset management (BMCI Asset Management), le deal est valorisé à 70 millions de dirhams acté dans un communiqué paru le 17 février dernier et relayé par l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC). L’opération devrait être finalisée d’ici la fin du premier semestre 2023, sous réserve de remplir l’ensemble des critères réglementaires. A la fin de l’année 2022, BMCI Asset management gère 8 milliards de dirhams d’actifs et une quarantaine d’OPCVM.

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Rappelons que CIH Bank est détenue majoritairement par Massira Capital Fund, filiale de l’institution financière publique CDG (Caisse de dépôts et de gestion). Une partie du capital est également détenue par Atlanta Sanad, filiale de Holmarcom, et le facteur flottant en bourse est d’environ 25% en 2019.

Offensive continentale des banques marocaines et désengagement progressif des banques françaises

Les banques marocaines ont une activité étendue en Afrique et comptent bon nombre de filiales à l’étranger ; le groupe Attijariwafa bank, un des premiers réseaux bancaires dans le continent est présent dans 26 pays à l’échelle mondiale dont 12 en Afrique (Maroc, Tunisie, Niger, Togo, Bénin, Sénégal, Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Côte-d’Ivoire, Congo, Gabon et Cameroun). AWB dispose de surcroit du réseau le plus dense en Afrique avec plus de 5.800 agences. Bank of Africa, dont l’actionnaire majoritaire est la banque marocaine BMCE Bank Of Africa (à hauteur de 72,41%) compte des filiales dans une vingtaine de pays en Afrique, dont 8 en Afrique de l’Est et dans l’Océan Indien (Burundi, Djibouti, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Ouganda, Rwanda, Tanzanie), 2 en Afrique centrale (Congo et République Démocratique du Congo) et 8 en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Niger, Togo et Sénégal).

Le GBP (Groupe Banque Populaire) est lui aussi bien implanté au sein du continent africain avec une présence dans plus de 17 pays (y compris Madagascar), notamment le Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Guinée, Guinée Bissau, Niger, Madagascar, Maroc, Maurice, Mali, Mauritanie, Sénégal, Togo, Cameroun et Congo.

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La volonté des banques françaises de se désengager en Afrique, en vue de mieux recentrer leur activité en Europe, profite aux banques marocaines ; en 2008, Crédit Agricole cède à Attijariwafa bank ses participations dans ses filiales ivoirienne, gabonaise, sénégalaise, congolaise et camerounaise. Le Groupe Banque Populaire a lui aussi profité du changement stratégique du Groupe BPCE en Afrique, le groupe mutualiste, actionnaire à hauteur de 4,05 dans le groupe BCP, lui a cédé ses participations dans ses filiales au Cameroun, au Congo et en Tunisie.

Le géant bancaire français BNP Paribas a à son tour entamé un désengagement progressif en Afrique, en cédant ses filiales au Gabon, en Tunisie, au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Ces cessions ont là encore profité aux groupes bancaires marocains. BNP, dont la présence en Afrique ne couvre plus que le Maroc (à travers sa filiale BMCI), la Côte d’Ivoire et le Sénégal, a entamé un processus pour céder ses filiales ivoirienne (BICICI) et sénégalaise (BICIS)

France-Maroc : le temps du désamour ?

Ces retraits des banques françaises interviennent dans un contexte géopolitique tendu entre la France et le Maroc. Si le président Emmanuel Macron souligne la cordialité et l’amicalité de ses relations diplomatiques avec le roi Mohammed VI, une source officielle du gouvernement marocain dément et confie au journal Jeune Afrique que les relations « ne sont ni bonnes ni amicales ». La visite prévue du président de la république au 4ème trimestre de l’année 2022 n’a toujours pas eu lieu, et ce, malgré la récente visite de la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères France Catherine Colonna, le 15 décembre dernier. De surcroit, le Maroc ne dispose plus d’ambassadeur en France après que le Roi ait mis fin aux fonctions de Mohammed Benchâaboun, sur fonds de crise diplomatique, et l’a nommé directe général du Fonds Mohammed VI pour l’investissement.

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Rappelons que les deux pays, dont les liens diplomatiques remontent à plusieurs siècles (le sultan Moulay Ismaïl était le contemporain de Louis XIV et a même tenté d’épouser sa fille), ont des partenariats exceptionnels notamment dans le domaine de l’éducation où les élèves marocains (premier contingent d’étudiants étrangers en France) sont admis tous les ans, dans les meilleures écoles d’ingénieurs et de commerce françaises. Au Maroc, on dénombre plusieurs dizaines d’établissements scolaires homologués par l’Hexagone.

Perte d’influence française en Afrique sous l’ère Macron

Emmanuel Macron qui vient de terminer une visite de cinq jours en Afrique centrale, qualifiée de « déplacement miné » par la presse française et internationales, alors même que les manifestations se multiplient au sein de l’Hexagone à cause de la réforme des retraites. Avec le retrait du Mali, et les tensions en Centrafrique, la république française recule et perd en influence dans un bon nombre de pays africains, essentiellement en Afrique de l’Ouest. Par crainte de contagion, le locataire de l’Elysée a récemment visité quatre pays, dont le Congo, le Gabon au sein duquel s’est déroulé le One Forest Summit à Libreville (et ce conformément aux décisions actées lors de la COP 27), la République Démocratique du Congo et l’Angola. Les sujets centraux du déplacement présidentiel se sont articulés autour des thématiques suivantes :  l’agriculture, la francophonie, la mémoire et l’histoire commune franco-africaine ainsi que la culture. A noter que la France fait face à un impérialisme extensif sino-russes, les deux pays alliés gagnent progressivement en influence au sein du continent.

Charaf Louhmadi est consultant, chroniqueur & auteur d’ouvrages. Charaf Louhmadi est ingénieur financier, auteur de l’ouvrage « Fragments d’histoire des crises financières » et intervenant au sein du pôle Léonard de Vinci, ainsi qu’à IMT Atlantique. Il publie des chroniques économiques et financières pour la presse espagnole et portugaise dans « RankiaPro Europe Magazine».

 
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