ALE Maroc-USA: bientôt deux décennies d’enjeux géopolitiques et de défis commerciaux
L’année 2025 marque deux décennies de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange (ALE) entre le Maroc et les États-Unis, signé en juin 2004 et entré en vigueur en 2006. Cet accord, l’unique dans son genre avec un pays africain, a redéfini les relations stratégiques entre les deux nations. Si l’ALE a ouvert des opportunités considérables, il soulève des défis commerciaux importants tant pour Rabat que pour Washington.
Depuis l’entrée en vigueur de l’ALE, les échanges ont quadruplé, atteignant des niveaux sans précédent. Les exportations marocaines vers les États-Unis, notamment dans les secteurs textiles et agricoles, ont bénéficié d’un accès préférentiel à 98,78 % des positions tarifaires américaines. Parallèlement, les produits agricoles américains ont été intégrés avec des démantèlements progressifs s’étalant sur plusieurs décennies, offrant un équilibre progressif des avantages.
Cependant, la balance commerciale reste largement déficitaire pour le Maroc. Les importations marocaines, composées principalement de céréales, d’équipements industriels et de technologies de pointe, surpassent les exportations vers le marché américain. Les règles d’origine strictes, notamment dans le secteur textile, ont parfois limité les avantages pour les industries marocaines, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), qui peinent à répondre aux exigences du marché américain.
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Un levier stratégique pour Washington
Du point de vue des États-Unis, l’ALE dépasse les simples enjeux commerciaux. Il représente un outil clé pour renforcer leur présence économique et stratégique en Afrique. Le Maroc est perçu comme une passerelle vers les marchés africains, particulièrement depuis la signature de l’Accord de libre-échange continental africain (AfCFTA). Grâce à ses zones franches industrielles et à ses infrastructures modernes comme le port Tanger-Med et la ligne ferroviaire à grande vitesse, le Royaume est devenu un hub stratégique pour les exportations vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Washington voit également l’ALE comme un catalyseur pour des relations bilatérales renforcées. La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara constitue un point d’ancrage politique majeur, consolidant le Maroc comme un allié régional stratégique et un pilier de stabilité en Afrique du Nord.
Des opportunités pour l’économie marocaine
Pour le Maroc, l’ALE offre une plateforme de diversification économique. Les secteurs agricoles et textiles, bien que dominants, pourraient être complétés par des industries émergentes à forte valeur ajoutée, telles que l’intelligence artificielle, les biotechnologies et les énergies renouvelables. Ces opportunités pourraient renforcer la compétitivité marocaine sur le marché américain tout en attirant davantage d’investissements directs étrangers (IDE).
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Cependant, les PME marocaines, souvent contraintes par des capacités limitées et des exigences de conformité élevées, nécessitent un accompagnement technique et financier pour mieux s’intégrer dans la chaîne de valeur américaine. De plus, la formation de talents locaux dans les technologies numériques et industrielles devient cruciale pour répondre aux besoins des industries de demain.
Un partenariat stratégique aux multiples dimensions
L’analyse du think tank américain Washington Institute for Near East Policy met en lumière l’impact régional de l’ALE. Selon cette étude, l’accord ne se limite pas à la dynamisation des échanges bilatéraux : il positionne également le Maroc comme un acteur clé de la croissance et de l’investissement en Afrique. En renforçant ses partenariats avec des acteurs américains et africains, le Maroc pourrait utiliser l’ALE pour attirer des IDE dans des projets régionaux.
Washington insiste également sur la nécessité pour le Maroc de respecter les normes de l’accord, notamment en matière de règles d’origine et de protection de la propriété intellectuelle. En retour, les États-Unis pourraient intensifier leur soutien aux investissements marocains en Afrique, capitalisant sur le rôle du Royaume comme catalyseur de développement régional.
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Des défis à relever pour maximiser l’accord
Pour pleinement tirer parti de l’ALE, le Maroc devra surmonter plusieurs défis, en l’occurrence : renforcer les PME en encourageant les entreprises marocaines à mieux s’intégrer dans la chaîne de valeur américaine en leur offrant un accompagnement technique et financier ; développer les industries à forte valeur ajoutée en mettant l’accent sur des secteurs innovants tels que l’intelligence artificielle, les biotechnologies et les énergies renouvelables pour diversifier les exportations ; améliorer l’attractivité pour les investisseurs américains en simplifiant les processus administratifs et en encourageant les investissements dans des industries stratégiques ; et former les talents locaux en investissant dans les compétences numériques et technologiques pour répondre aux besoins des industries de demain.
L’ALE représente également un levier pour l’intégration régionale africaine. Le Maroc, en tant que leader continental, peut jouer un rôle de catalyseur pour attirer les investissements américains dans les marchés voisins. Cette perspective est alignée avec les objectifs de Washington, qui voit en Rabat un partenaire stratégique pour promouvoir la croissance en Afrique.
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Un modèle à réinventer pour l’avenir
Alors que l’ALE entre dans sa troisième décennie, il est essentiel pour Rabat et Washington de réévaluer leurs priorités. L’objectif est de transformer cet accord en un levier de croissance durable, non seulement pour les deux pays, mais aussi pour l’ensemble du continent africain. En capitalisant sur leurs complémentarités et en surmontant les obstacles actuels, le Maroc et les Etats-Unis peuvent continuer à bâtir un partenariat économique et stratégique exemplaire, dans un monde en mutation rapide.