Interview

Anas Abdoun: «La proposition de Macron d’établir un nouveau cadre stratégique a pour but de réajuster les relations franco-marocaines»

Anas Abdoun décrypte les enjeux des récents accords économiques entre la France et le Maroc. Entre ambitions ferroviaires, transition énergétique et expansion maritime, ce partenariat pourrait offrir aux entreprises françaises un accès privilégié aux marchés africains, tout en renforçant la position stratégique du Maroc dans la région. Quels enjeux économiques et diplomatiques ?

Challenge : La France et le Maroc ont signé en marge de la visite du Président Emmanuel Macron, 22 accords impliquant plusieurs entreprises françaises telles qu’Engie, Alstom, CMA-CGM, ou TotalEnergies. Quels sont les enjeux économiques majeurs pour ces entreprises et la France dans cette collaboration ? 

Anas Abdoun : La signature de 22 accords entre la France et le Maroc lors de la visite du Président Emmanuel Macron, représente un enjeu économique majeur pour la France et pour plusieurs de ses grandes entreprises, notamment Engie, Alstom, CMA-CGM et TotalEnergies. Ces accords permettent à la France et à ses entreprises de tirer parti de l’important élan d’investissement public que le Maroc a lancé pour soutenir sa croissance économique et se hisser parmi les pays émergents.

Le Maroc mise massivement sur le développement de ses infrastructures, notamment dans le secteur ferroviaire, avec l’achat de centaines de wagons, l’acquisition de 18 trains à grande vitesse, et l’expansion de son réseau de lignes à grande vitesse. Ce projet constitue une opportunité cruciale pour Alstom, désireux de préserver sa position sur ce marché stratégique, face à une concurrence chinoise de plus en plus active.

En parallèle, le développement des infrastructures portuaires et l’amélioration de la connectivité maritime occupent une place centrale dans la stratégie géoéconomique du Maroc. Le développement des ports de Nador West Med et de Dakhla Atlantique, ainsi que l’agrandissement continu de Tanger Med, offrent à CMA-CGM l’occasion de consolider sa position parmi les plus grands armateurs mondiaux, en participant à un projet de connectivité maritime au cœur des échanges commerciaux régionaux et internationaux.

Enfin, TotalEnergies s’intéresse au secteur de l’hydrogène vert au Maroc, une ressource énergétique clé dans le cadre de la transition énergétique mondiale. Le royaume est un partenaire incontournable pour cette diversification, offrant un environnement favorable à l’innovation et aux investissements dans les énergies renouvelables.

Challenge : Quelle est votre analyse de la proposition du Président Emmanuel Macron d’établir un nouveau «cadre stratégique» bilatéral en 2025, lors du 70e anniversaire de la déclaration d’indépendance du Maroc ? Cette initiative coïnciderait avec une visite d’État de S.M. le Roi en France, et une commission va œuvrer sur ce partenariat. 

A.A : La proposition du Président Emmanuel Macron d’établir un nouveau “cadre stratégique” bilatéral pour 2025 s’inscrit dans une volonté de réajustement des relations franco-marocaines, marquées par des tensions diplomatiques récentes et une perte d’influence de la France au Maroc. Pendant cette période de froid, le Maroc a non seulement intensifié ses investissements publics, mais a également vu croître les annonces d’Investissements directs étrangers (IDE), dont la France, partenaire traditionnel, n’a que partiellement bénéficié.

Cette dynamique a favorisé une offensive diplomatique et économique d’autres acteurs, notamment les États-Unis, l’Allemagne, et l’Espagne, qui se sont positionnés plus activement dans le royaume. Consciente de la transformation profonde du Maroc, qui privilégie désormais une diversification de ses partenariats internationaux, la France cherche ainsi à retrouver une place stratégique. Ce nouveau cadre stratégique vise à ancrer la relation franco-marocaine dans un partenariat modernisé, plus équilibré et audacieux, répondant aux ambitions d’un Maroc en pleine mutation.

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Challenge : Sur la question du Sahara marocain, en soutenant une solution «dans le cadre de la souveraineté marocaine», la France semble avoir repositionné sa politique. Comment cette posture impacte-t-elle les investissements économiques français dans la région ?

A.A : Les provinces du sud du Maroc, dont le Sahara marocain, connaissent un afflux croissant d’investissements publics et privés, attirés par le potentiel de leurs ressources encore largement inexploitées. Dans cette région, les entreprises provenant de pays ayant reconnu la souveraineté marocaine bénéficient d’un avantage notable en accédant plus facilement aux contrats publics et à un environnement d’affaires sécurisé. En revanche, celles dont les gouvernements ne se sont pas positionnés favorablement sur la question du Sahara marocain sont souvent écartées et peinent à obtenir un cadre juridique stable et protecteur pour leurs investissements.

Le soutien de la France à une solution «dans le cadre de la souveraineté marocaine» marque un tournant, permettant aux entreprises françaises de s’engager plus librement dans cette région stratégique. Elles peuvent désormais envisager des projets d’envergure dans des secteurs porteurs, tels que l’énergie, en particulier l’offshore, où des acteurs comme TotalEnergies avaient jusque-là hésité en raison de l’absence de garanties juridiques. Cette nouvelle posture offre aux entreprises françaises une opportunité unique de se positionner sur un marché à fort potentiel tout en renforçant l’ancrage économique de la France dans le sud marocain.

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Challenge : Pourquoi la France tient aujourd’hui à faire du Maroc un partenaire incontournable sur les marchés africains ?

A.A : La France voit aujourd’hui le Maroc comme un partenaire clé pour renforcer sa position sur les marchés africains pour quatre raisons principales.

Premièrement, les entreprises françaises, notamment les banques, se sont progressivement désengagées du continent au cours de la dernière décennie, réduisant leur capacité à repérer les nouvelles opportunités stratégiques sur place. En conséquence, le retour vers l’Afrique, stimulé par les nouvelles potentialités économiques, se révèle plus difficile faute de relais locaux.

Deuxièmement, la nouvelle génération de dirigeants français a souvent une connaissance limitée des réalités et des complexités africaines, ce qui complique l’établissement de relations d’affaires efficaces et de long terme, par rapport à d’autres régions du monde.

Troisièmement, les partenaires africains redéfinissent leurs alliances internationales, favorisant de nouveaux acteurs au détriment des anciennes puissances coloniales. La perte d’influence française dans des zones comme le Sahel en est une illustration marquante, démontrant l’érosion de ce qui était autrefois considéré comme un «pré carré» français.

Face à ces défis, le Maroc, avec son ancrage diplomatique, économique et culturel en Afrique subsaharienne, apparaît comme un levier stratégique pour la France. Premier investisseur africain dans cette région, le Maroc est devenu un hub économique incontournable pour le continent, et cette alliance permet à la France de préserver ses intérêts et de tirer parti de la dynamique économique africaine à travers une collaboration renforcée entre les entreprises françaises et marocaines.

 
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