Badr Ikken: « Des acteurs nationaux seront en mesure de proposer une gamme variée de voitures électriques d’ici 2035 »
Malgré les grandes stratégies dans le domaine du vert, au Maroc, la mobilité durable peine à trouver sa voie. Dans cette interview accordée à Challenge, Badr Ikken, Managing partner du Cabinet Gi2 spécialisé en transition énergétique, Président exécutif de Gi3, Green Innov Industry Investment, société spécialisée dans la fabrication de composants d’énergie solaire et Ancien DG de l’Iresen, fait un tour d’horizon de ce secteur qui compte parmi les chantiers stratégiques du Maroc émergent.
Pensez-vous que le Maroc sera en mesure de produire des voitures électriques avant 2035 ?
« Notre pays se démarque déjà dans la production de véhicules électriques, notamment avec des microvoitures comme la Citroën Ami et l’Opel Rocks. Avec un positionnement industriel sur la chaîne de valeur des batteries de voitures électriques, notre pays sera en mesure de fabriquer un composant important représentant 35 à 40% de la valeur totale du véhicule électrique. Il est également à noter que nous n’avions que des unités d’assemblage de moteur à combustion et pas de production locale en raison d’un manque de fonderie et de sociétés spécialisées dans l’usinage de parties complexes des moteurs à combustion. Ce dernier est constitué de plus de 2000 composants à l’inverse du moteur électrique qui ne compte que 20 pièces et qui est plus simple à fabriquer. Cette diversification vers la production de moteurs électriques ouvre de nouvelles opportunités. Des acteurs nationaux tels que Stellantis, Renault et Neo Motors seront, sans aucun doute, en mesure de proposer une gamme variée de voitures électriques d’ici 2035, et de nouveaux intervenants pourraient également émerger. Le marché des microvoitures électriques, telles que les Smart, Ami et Rocks, est particulièrement adapté à la mobilité urbaine et connaît une croissance rapide, principalement en Europe. Cependant, il existe également une opportunité pour nous de concevoir des voitures électriques économiques, mieux adaptées au contexte africain, offrant suffisamment d’espace pour au moins quatre personnes. Dans cet environnement en évolution rapide, notre industrie automobile est appelée à jouer un rôle de premier plan en développant des solutions innovantes pour répondre aux besoins de mobilité urbaine tout en contribuant à la transition vers une énergie plus propre et durable. »
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Le gouvernement marocain et le fabricant chinois de batteries, Gotion High Tech, envisagent d’investir 6,3 milliards de dollars pour créer une usine de batteries pour véhicules électriques dans le Royaume. Quel commentaire en faites-vous ?
« C’est une excellente nouvelle ! Les marchés des véhicules électriques connaissent une croissance exponentielle, avec des ventes dépassant les 10 millions en 2022. En effet, plus de 14% de toutes les nouvelles voitures vendues dans le monde sont désormais électriques, marquant une augmentation significative par rapport aux chiffres d’environ 9% en 2021 et de moins de 5% en 2020. La Chine domine le marché des ventes avec une part mondiale de 60% des voitures électriques, suivie par l’Europe avec 15% de parts de marché, et les États-Unis avec une augmentation de 55% en 2022, atteignant une part de marché de 8%. Dans ce contexte d’essor, la mise en place d’une usine de batteries pour véhicules électriques en partenariat avec un leader chinois, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la transformation chimique des matières premières jusqu’à la fabrication des cellules et des systèmes de batteries, ainsi que la spécialisation dans la fabrication de systèmes de transmission et d’électronique de puissance, nous permettra de développer un écosystème industriel complet et compétitif. Cette initiative consolidera notre position dans le secteur des véhicules électriques. De plus, il est important de souligner que plusieurs minerais essentiels à la fabrication des batteries sont disponibles au Maroc. Par conséquent, cet investissement stimulera également le secteur minier national, contribuant à son développement et favorisant l’émergence de nouvelles activités liées à la deuxième vie des batteries, telles que le stockage d’énergie provenant des énergies renouvelables et le recyclage des batteries. »
A quel point les perspectives du secteur sont-elles prometteuses au Maroc ?
« En quelques années seulement, le Royaume du Maroc s’est hissé au rang de premier producteur automobile sur le continent africain, se plaçant également en tant que deuxième exportateur vers l’Europe depuis l’année 2021. Aujourd’hui, le secteur automobile marocain compte 250 équipementiers et affiche une capacité de production annuelle de 700 000 véhicules. Cette réussite est d’autant plus remarquable que de nombreux pays se sont lancés dans l’industrie automobile à combustion bien avant nous. Notre positionnement dans la chaîne de valeur des batteries automobiles nous offre des perspectives prometteuses pour devenir un acteur majeur à l’échelle régionale. Nous bénéficions d’avantages significatifs, notamment un accès aux matières premières, une transition vers une électricité propre à court terme, le développement de la filière de l’hydrogène vert pour la production de combustibles synthétiques destinés au secteur des transports et de la mobilité à moyen terme, un climat propice à l’investissement et une main-d’œuvre qualifiée et accessible. Cette stratégie ouvrira la voie à la création de milliards de dirhams supplémentaires et à la génération d’emplois à forte valeur ajoutée. »
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Peut-on disposer d’un véritable écosystème de bornes de recharge ? Si oui comment peut financer ce chantier ?
« Absolument ! Pendant mon mandat à l’IRESEN et au Green Energy Park, nous avons développé la première borne de recharge marocaine, iSMART, et nous avons lancé une petite ligne de fabrication pilote. Aujourd’hui, une start-up a été créée et mes anciens collègues ont conçu de nouveaux produits et établi des partenariats, qui leur permettent de renforcer leur structure et d’accroître leur capacité. D’autres acteurs se préparent également à fabriquer des bornes électriques au Maroc, en intégrant verticalement la chaîne de valeur. L’étude de la feuille de route de la mobilité électrique, lancée par la CGEM avec plusieurs acteurs publics et privés, a révélé un marché potentiel de plus de 2,5 milliards de dirhams d’ici 2035 pour les bornes de recharge normales et rapides (soit 10 000 bornes rapides et 23 000 bornes normales pour répondre aux besoins des plus de 250 000 véhicules prévus au Maroc), ainsi que des investissements supplémentaires pour l’infrastructure électrique en amont. Cette opportunité concerne non seulement les équipements, mais aussi une multitude de services à développer autour de la mobilité électrique. À ce jour, le Maroc compte plus de 800 bornes de recharge privées et près de 200 publiques. Ces chiffres suivent la tendance mondiale : pour 18 millions de véhicules électriques, on compte plus de 3 millions de chargeurs publics installés, contre plus de 8 millions de chargeurs privés. Le modèle préconisé est un partenariat public-privé impliquant toutes les parties prenantes, notamment les ministères concernés, les municipalités et le secteur privé. Le secteur public devrait soutenir une infrastructure de recharge minimale pour répondre aux besoins actuels et encourager les acteurs privés en attendant d’atteindre l’équilibre économique. Par ailleurs, une association intersectorielle pour la mobilité électrique (APIME) a été créée en janvier 2023 par des entreprises industrielles et commerciales pour accompagner le développement de la filière. Il est important de souligner également qu’une étude complémentaire menée par l’ONEE est en cours de finalisation et permettra d’opérationnaliser la feuille de route nationale pour la mobilité électrique. »