Banque : l’enfer du découvert
Ils sont de plus en plus nombreux, les comptes bancaires qui sont constamment à découvert. À fin septembre 2024, l’encours atteignait 9 milliards de dirhams, un soutien vital pour de nombreux ménages, mais coûteux en agios et commissions.
Ils sont nombreux aujourd’hui, les ménages qui n’arrivent pas à sortir du rouge. Ils sont des milliers, avec l’illusion d’être un peu plus riches qu’ils ne le sont, grâce à un découvert consenti par leur banquier sous forme de crédit revolving. Mais cet avantage peut rapidement devenir un piège.
« En réalité, sans cette “facilité de caisse”, il est quasiment impossible de boucler le mois pour beaucoup de ménages. Et l’expérience montre que chaque fin de mois, le calvaire des ménages se corse de plus en plus », prévient l’économiste Driss Aissaoui.
Selon Bank Al-Maghrib, les découverts des ménages s’élevaient à 9 milliards de dirhams à fin septembre 2024. Ils progressent de 5 % en moyenne depuis dix ans. Ce « dépannage » structurel augmente le risque pour les banques. Ainsi, le taux des créances en souffrance détenues sur les ménages s’inscrit dans une tendance haussière pour ressortir à 8 % à fin septembre dernier.
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Pour autant, les agios sur les comptes débiteurs représentent une contribution non négligeable aux résultats des banques. Dans les détails, après nos investigations auprès d’un acteur bancaire de la place, il faut noter que le découvert bancaire n’est pas automatiquement accordé lors de l’ouverture d’un compte. Il est d’abord proposé au client et, en cas de demande, soumis à l’approbation de la direction de la banque après la constitution d’un dossier de crédit.
Toutefois, si le client souscrit à un pack de services incluant le découvert, celui-ci peut être accordé dès le départ. Les banques se réservent également le droit de retirer cette facilité en cas de non-respect des conditions ou d’une utilisation abusive, sans obligation de justifier leur décision.
Dans ce sens, les banques fixent aussi des conditions standard en matière de revenu et de plafond de la facilité de caisse. Ainsi, Attijariwafa Bank propose cette ligne de crédit à hauteur de 60 % du salaire, alors que le Crédit Agricole, la Banque Populaire et la Société Générale se limitent à 50 % du salaire. BMCE Bank, elle, va jusqu’à 80 %, mais impose que le plafond ne dépasse pas 300 000 DH.
La cause profonde…
Il est difficile de gérer son budget quand les prix alimentaires et de l’énergie s’envolent. Le moindre dérapage peut faire basculer le compte bancaire dans le rouge. Or, le découvert coûte cher.
La note est particulièrement douloureuse en cas de découvert non autorisé (ou au-delà du plafond autorisé), car il déclenche une série de frais qui font boule de neige. Au taux maximum des intérêts conventionnels peuvent se greffer des commissions et autres frais forfaitaires, ce qui arrive fréquemment.
« La situation des découverts bancaires reflète une double problématique : d’une part, la fragilité financière croissante des ménages, et d’autre part, la dépendance accrue à des produits coûteux pour pallier cette problématique. Aujourd’hui, nous constatons que cette “facilité de caisse”, bien qu’indispensable pour de nombreuses familles, est mal encadrée. Les frais associés, notamment les agios et commissions, aggravent la situation des clients déjà en difficulté, transformant une solution temporaire en un fardeau financier durable. Par ailleurs, les banques devraient jouer un rôle plus proactif en adaptant leurs offres aux réalités économiques des classes moyennes. Cela passe par une transparence accrue sur les coûts, des conditions d’octroi mieux définies et un accompagnement financier pour aider les ménages à mieux gérer leurs ressources. Il serait également pertinent de développer des alternatives moins coûteuses, comme des microcrédits à court terme, afin de réduire la dépendance au découvert tout en soutenant les foyers en situation de tension budgétaire », propose l’économiste.
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Par ailleurs, il faut notifier qu’en Occident, les découverts sont souvent considérés comme un produit bancaire de transition, utilisé en cas de besoin temporaire. Cependant, les taux d’intérêt appliqués y sont généralement très élevés, ce qui dissuade une utilisation excessive.
Des alternatives comme les cartes de crédit, les prêts à court terme ou encore des outils de gestion budgétaire numériques sont plus accessibles et permettent de réduire la dépendance au découvert.
De plus, la réglementation bancaire y est souvent plus stricte : en Europe, par exemple, des directives comme la “PSD2” imposent plus de transparence sur les frais bancaires, offrant une meilleure protection aux clients.