Big Tech : pourquoi les Indiens ont pris la direction des grandes entreprises tech ?

Adobe, Google, Microsoft, les Indiens dominent la direction des géants technologiques. Quels sont les secrets de cette réussite dans la tech américaine ?
L’ascension des Indiens à la tête des grandes entreprises technologiques n’est pas le fruit du hasard. Sundar Pichai (Google), Satya Nadella (Microsoft), Arvind Krishna (IBM) ou encore Shantanu Narayen (Adobe) incarnent cette tendance de fond qui voit les talents issus du sous-continent s’imposer au sommet des Big Tech. Dans la Silicon Valley, ils sont aujourd’hui une douzaine à tenir les rênes des plus grandes compagnies de la Tech californienne. Une réussite éblouissante, alors même que les immigrés indiens ne représentent que 1 % de la population aux États-Unis et 6 % des travailleurs de la Silicon Valley.
Et cette domination s’explique par plusieurs facteurs : un système éducatif rigoureux axé sur les sciences et l’ingénierie, la culture du travail acharné et une diaspora bien implantée dans la Silicon Valley, qui favorise les opportunités de carrière. Mais au-delà des compétences techniques, c’est aussi leur style de leadership, souvent décrit comme pragmatique et fédérateur, qui séduit les conseils d’administration des grandes entreprises. Cette réussite s’inscrit également dans une dynamique plus large de montée en puissance de l’Inde sur la scène technologique mondiale. Avec une population jeune et ultra-connectée, un écosystème de startups florissant et un gouvernement qui encourage l’innovation, l’Inde est devenue ces dernières années sur la scène internationale un vivier de talents incontournable.
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Mais si les PDG indiens s’imposent aux États-Unis, c’est aussi parce que les entreprises américaines valorisent la diversité et l’internationalisation des profils. Contrairement à d’autres élites formées à l’étranger, les Indiens semblent avoir trouvé la bonne alchimie entre ancrage local et adaptation aux standards du capitalisme globalisé. En chiffres, l’Inde produit chaque année des millions d’ingénieurs, mais son marché du travail ne peut absorber cette main-d’œuvre qualifiée. La Silicon Valley est ainsi devenue un exutoire naturel pour ces talents en quête de reconnaissance et de carrières à la hauteur de leurs ambitions.
« Si les parcours individuels de ces personnages brillants sont le premier facteur qui explique ces success stories, il faudrait rappeler également que l’Inde a conduit une politique volontariste pour développer ses talents numériques et renforcer sa position dans le secteur technologique mondial. L’Inde investit massivement dans l’éducation et la formation pour préparer les jeunes aux métiers du numérique : En 2015, le programme Digital India avait déjà pour ambition de transformer l’Inde en une société digitale et en une économie de la connaissance. Des investissements conséquents ont été mobilisés pour améliorer l’accès à l’internet, numériser les services gouvernementaux, et promouvoir l’inclusion numérique.
Récemment, en 2024, l’Inde a approuvé le programme IndiaAI Mission, doté d’un budget de 1,2 milliard USD. L’objectif étant de développer les infrastructures nécessaires pour l’intelligence artificielle, y compris des capacités de calcul avancées et les compétences adéquates. Des institutions d’excellence académique et technologique comme les IIT (Indian Institutes of Technology) jouent évidemment un rôle crucial en offrant des programmes de pointe en informatique et en technologie aux jeunes Indiens.
Enfin, les cadres indiens bénéficient de plus en plus de réseaux solidaires et influents au sein de la communauté technologique internationale et se voient souvent mentorés par des collègues plus seniors et puissants, ce qui facilite leur progression vers des rôles de direction », explique Hicham Kasraoui, Senior Consultant Africa & International Development chez BearingPoint.
Action collaborative…
Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Comme la plupart des immigrés d’Amérique, les Indiens avaient aussi leur lot de difficultés d’intégration. Selon les archives, c’est vers la fin des années 80, en mettant leurs forces en commun et en montant de solides réseaux indiens, qu’ils sont petit à petit parvenus à briser le plafond de verre.
« La réussite des dirigeants indiens dans la tech américaine repose sur plusieurs facteurs clés. D’une part, l’Inde dispose d’un système éducatif résilient, en particulier dans les domaines des sciences et de l’ingénierie, qui forme une main-d’œuvre qualifiée. D’autre part, la culture de résilience et d’adaptabilité, héritée d’un environnement compétitif et de contraintes économiques, forge des leaders capables d’innover et de s’adapter à des contextes globaux. Enfin, l’expérience des talents indiens dans des multinationales avant d’accéder aux postes de direction leur permet d’acquérir une vision stratégique et une capacité d’exécution remarquables. Cette dynamique est une source d’inspiration pour les écosystèmes technologiques émergents, où l’éducation et l’expérience internationale joueront un rôle déterminant dans l’émergence des futurs leaders du numérique », nous confie Omar Benmoussa, Managing Partner Maltem Academy.
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De son côté, le président de l’APEBI, Redouane Elhaloui, déclare : « Ce que l’on observe aujourd’hui dans la tech mondiale, avec des dirigeants indiens à la tête de Google, Microsoft, Adobe, ou encore IBM, est le résultat d’un écosystème qui a su investir massivement dans la formation d’ingénieurs, l’export de services numériques (ITO, ESO, BPO), et l’accompagnement de ses talents à l’international.
Mais ce n’est pas seulement une question de compétences. C’est une vision nationale portée par une diplomatie économique alignée, qui a permis à ces profils d’émerger, d’être valorisés et d’accéder aux plus hautes fonctions. En parallèle, l’Inde a vu naître des géants technologiques locaux comme Tata Consultancy Services, Infosys, Wipro, Zoho, Tech Mahindra, HCL Technologies, qui sont devenus des marques mondiales ». Et de poursuivre : « Au Maroc, nous avons des talents de très haut niveau, des directeurs marocains qui dirigent localement des filiales de multinationales avec brio, et qui sont très appréciés par leurs sièges. Pourtant, nous les mettons peu en avant, nous ne les soutenons pas assez pour qu’ils deviennent des figures inspirantes à l’échelle régionale ou mondiale. De même, nos PME Tech et nos startups n’ont pas encore atteint le statut de multinationales de référence, alors qu’elles ont le potentiel pour y parvenir. Pourquoi ? Parce qu’il nous manque encore une vision d’ensemble, un alignement stratégique entre les politiques publiques, la diplomatie économique et les ambitions de notre écosystème numérique.
Nous avons pourtant un atout unique : l’Afrique. Un continent en pleine transformation numérique, un terrain de jeu immense pour faire émerger nos champions. Mais pour cela, nous devons oser. Oser bâtir des alliances, structurer nos offres, soutenir nos talents, et porter haut notre vision de développement. À l’APEBI, nous croyons profondément que le Maroc peut devenir une plateforme numérique de référence, à condition de penser grand, d’investir dans nos talents et de défendre nos intérêts à l’international avec conviction. »
1,5 million d’ingénieurs par an
En chiffres, l’infrastructure indienne comprend 2 500 instituts d’ingénieurs, 1 400 instituts universitaires de technologie et 200 écoles de planification urbaine et d’architecture. Chaque année, le pays envoie sur le marché 1,5 million d’ingénieurs. Le National Council of Educational Research and Training (NCERT), un organisme gouvernemental autonome fondé en 1961, pilote un plan national de recherche de talents. Dès le lycée, des jeunes garçons et filles possédant les aptitudes pour devenir ingénieurs sont identifiés par cette institution, qui organise des examens. Ensuite, le NCERT finance la formation des jeunes sélectionnés jusqu’au doctorat à l’aide des bourses. De son côté, l’Indian Technical and Economic Cooperation Programme (ITEC), lancé dès 1964, finance des bourses pour former des ingénieurs venus de pays en voie de développement.