Comment le Sahara marocain est devenu le caillou dans la chaussure de l’Algérie
Il fut un temps où la question du Sahara constituait « le caillou dans la chaussure du Maroc ». Force est de constater que cette prophétie de Houari Boumediene s’est, au fil des ans, retournée contre son propre pays.
Au départ, cela ne devait être qu’un match de football. Vendredi 19 avril, les joueurs de la Renaissance sportive de Berkane sont séquestrés pendant dix heures dans le salon d’honneur de l’aéroport Houari Boumediene d’Alger, cet aéroport dirigé par le sinistre Saïd Mediouni, ex-pilote d’hélicoptère tristement connu pour son appel à commettre des attentats terroristes au Maroc.
Qu’est-ce qui a tant dérangé les dirigeants algériens au point qu’ils détiennent pendant une éternité des joueurs d’une équipe de football ? La carte du Maroc floquée sur le maillot du club. Et comme cette carte comprend naturellement les provinces du sud, cela a fortement déplu aux autorités algériennes. Il aura fallu attendre des heures marquées par la confiscation des bagages du club, des échauffourées avec la police, et l’insistance de la CAF pour que les joueurs finissent enfin par être libérés.
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Cet épisode, d’une absurdité inouïe, démontre à quel point le régime algérien est devenu otage de la question du Sahara marocain. Une « cause » dont il se servait à l’origine pour affaiblir le Maroc et qui s’est finalement retournée contre lui pour devenir aujourd’hui le caillou dans la chaussure de l’Algérie. Une expression si chère à Houari Boumediene. Car c’est bien lui qui avait utilisé ce terme pour désigner l’affaire du Sahara comme l’éternel Talon d’Achille du Maroc et de sa diplomatie.
Il faut avouer que Houari Boumediene avait à l’époque vu juste. Le Maroc a longtemps souffert après la récupération de ses provinces du sud.
Militairement d’abord : les Forces armées royales mènent une guerre longue, harassante et coûteuse en hommes et en matériel contre un ennemi soutenu et armé par les pétrodollars algéro-libyens.
Économiquement ensuite : le conflit coûte des milliards de dollars à l’économie marocaine, saigne à blanc ses finances publiques dans un contexte marqué par la chute des prix du phosphate et le douloureux programme d’austérité imposé par le FMI et la Banque mondiale.
Et enfin diplomatiquement : le Royaume se retrouve isolé, souffrant des clivages idéologiques qui marquent cette époque de la guerre froide, au point de claquer la porte de l’Union africaine et de laisser les mains libres à l’Algérie d’étendre son influence sur le continent africain et au-delà.
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De 1975 jusqu’à la chute du bloc soviétique, le rapport de force penche clairement en faveur de l’Algérie. Les années 90 qui suivent ne sont pas meilleures pour le Maroc, qui souffre toujours des conséquences du plan d’ajustement structurel au moment où le pays, notamment sous la pression internationale, tente d’assainir son climat politique marqué par des décennies d’années de plombs.
Affaibli, le Maroc ne saura pas capitaliser sur le quasi-effondrement de l’État algérien – qui bascule dans une sanglante guerre civile – pour solder une fois pour toutes la question du Sahara.
Le nouveau millénaire démarre, le Royaume entame une nouvelle ère avec l’accession au trône du Roi Mohammed VI. Le Maroc engage dès lors une série de réformes : sociales, politiques et économiques, qui le stabiliseront dans la durée. Mais la question du Sahara continue en quelque sorte de bloquer son élan. Car au même moment, l’Algérie sort de sa décennie noire.
Abdelaziz Bouteflika devient président. Cet homme intelligent capitalisera sur ses nombreux relais diplomatiques – il avait été le brillant chef de la diplomatie de l’Algérie post-indépendance jusqu’à la mort de Boumediene – pour réhabiliter l’image de l’Algérie et son influence sur son espace géopolitique. Aidé en cela par la flambée des prix des hydrocarbures qui feront tripler le PIB algérien de 2000 à 2010.
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Le tournant de la décennie qui suit marque le début du déclin de l’Algérie, au moment où le Maroc commence à recueillir les fruits des réformes entamées une décennie plus tôt. De plus, Rabat tire son épingle du jeu des bouleversements apportés par le Printemps arabe, car tout en solidifiant son régime à la faveur de la constitution de 2011, le pays se rebiffe diplomatiquement à la faveur de la déstabilisation de régimes hostiles au Maroc (Libye, Syrie…) et de la montée en puissance des monarchies du Golfe, alliées historiques du Royaume. Et en 2017, le Maroc réintègre l’Union africaine.
En parallèle, l’Algérie se fige, à l’image de son président paralysé par un accident vasculaire cérébral. La manne pétrogazière se raréfie et le pays stagne dans une sorte de morosité politico-économique. Jusqu’à cette année 2018 où, suite à des manifestations appelant à son départ, Bouteflika se retrouve poussé à la démission par l’armée. L’Algérie ne profite pas du départ de Bouteflika pour renouveler ses élites. L’armée rétablit sa mainmise sur le pays. De vieux généraux au passé entaché de sang sont réhabilités par Saïd Chengriha qui prend la tête de l’armée. Abdelmadjid Tebboune, un homme sans charisme ni vision, est porté à la présidence.
Les événements s’emballent. Les États-Unis reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Israël fait de même. L’Espagne, entre-temps, adopte la position marocaine sur le conflit. L’Algérie voit rouge. La question du Sahara qui, jusqu’ici, constituait pour elle un formidable outil de chantage contre le Royaume, se retourne spectaculairement contre elle. Le caillou est dorénavant dans sa propre chaussure.
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Le conflit tétanise sa diplomatie qui dès lors entame une vertigineuse descente aux enfers. Pénalisée par l’incompétence d’un régime vieilli et anachronique, l’Algérie enchaîne les erreurs géostratégiques, car prise dans son propre piège. En maintenant la question du Sahara comme fer de lance de sa doctrine diplomatique, le régime algérien enchaîne les défaites diplomatiques.
Toutes les crises que connaît l’Algérie depuis qu’elle a rompu, en 2021, ses relations diplomatiques avec le Maroc ont pour corollaire son entêtement sur le Sahara : Crise avec l’Espagne, tensions avec la France, échec humiliant à intégrer les Brics, rupture des relations avec les Émirats, éjection du Sahel, même ses alliés traditionnels, à l’instar de la Russie et de la Chine, s’en éloignent. L’Algérie aujourd’hui ne pèse plus sur le plan géopolitique.
Ce qui s’est passé vendredi à l’aéroport d’Alger montre le degré de déconfiture dans lequel se trouve à présent le régime algérien, amené à se ridiculiser sur la scène footballistique pour se donner l’illusion d’exister diplomatiquement. Malheureusement pour lui, le match est plié.