Stresse hydrique

Crise de l’eau. La nécessité de capitaliser pour mieux avancer !

Une contribution sereine est nécessaire dans le débat public sur la situation préoccupante prévalant au Maroc, notamment dans sa dimension hydrique. Les propos dominants tentent de réduire les raisons de la crise actuelle de l’eau, au seul fait du changement climatique et à la sécheresse. Comme si ces phénomènes n’affectaient pas notre pays auparavant et comme si les politiques publiques suivies ne disposaient pas d’éléments factuels, probants, pour les prendre en compte. Alors même que les effets de ces mêmes phénomènes étaient déjà bien à l’œuvre !

L’histoire récente de notre pays est jalonnée d’analyses rétrospectives et prospectives de son climat, et ponctuée par des orientations et des appels solennels à l’impérieuse nécessité de prendre en compte les risques inhérents à notre climat, empreint d’aléas et d’épisodes de sécheresses, et de son évolution sous l’effet du changement climatique qui se profilait déjà à l’horizon. Plusieurs documents de référence permettent d’étayer ce propos. A cet égard, nous nous limiterons à quelques-uns dont la force et la portée sont indiscutables : des discours royaux et des documents issus de larges et féconds débats de portée nationale.

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De l’ère de feu Sa Majesté le Roi Hassan II, nous avons retenu les deux extraits suivants. Le premier est tiré de l’allocution du 20 mars 1997, à l’occasion de l’inauguration du barrage Al Wahda : «Soyons… parcimonieux en ce qui concerne l’utilisation de l’eau, car le monde connaîtra, le prochain siècle, c’est-à-dire dans cinq ou six ans, une période difficile pour la vie de l’humanité, une période marquée par la rareté de l’eau ». Le second est tiré du message adressé aux participants au 1er Forum mondial de l’eau et à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale de l’Eau, le 22 mars 1997 : « Le temps est … venu de réagir et penser désormais au problème de l’eau, non seulement en termes de priorité, mais, en plus, avec une vision nouvelle qui intègre le risque de crise et la capacité d’en prévenir les conséquences. L’évolution actuelle le démontre, les approches réactivées du passé ne sont plus de mise. … Si nous ne réagissons pas, les risques de pénurie continueront longtemps de susciter les plus vives inquiétudes…».

Au début du règne du Souverain Mohammed VI, on retiendra  l’extrait suivant du discours royal du 02 avril 2000, à l’occasion du lancement du Programme de lutte contre les effets de la sécheresse 2000 : «Les données naturelles de notre climat et les aléas conjoncturels que subit notre économie rurale d’une façon chronique, et dont souffrent ceux qui en tirent leurs moyens de subsistance, nous interpellent effectivement à planifier pour une stratégie de développement durable pour le monde rural, et de traiter la sécheresse d’une façon rationnelle et décisive, et non pas en tant qu’évènement passager nécessitant des solutions momentanées». Un autre est tiré de l’allocution lors de l’ouverture de la 9ème Session du Conseil supérieur de l’eau et du climat, le jeudi 21 juin 2001, à Agadir : «Si le Maroc a réussi, jusque-là, à répondre à une demande accrue en eau, en renforçant l’offre par une mobilisation croissante des ressources, garantissant ainsi l’approvisionnement des villes et l’irrigation du million d’hectares, il n’en reste pas moins que l’équilibre entre l’offre et la demande est devenu précaire et fragile, sous l’effet conjugué de multiples contraintes. Le temps est donc venu pour nous de changer radicalement notre perception et notre attitude à l’égard de l’eau, à travers la gestion de la demande de cette ressource et la rationalisation de sa consommation ».

Des réflexions et analyses développées dans le cadre de larges débats à caractère national, nous en retiendrons trois qui sont particulièrement instructives : la Charte nationale d’aménagement du territoire (2001), le Schéma national d’aménagement du territoire (2003), et le Rapport du cinquantenaire pour le développement humain (2006). 

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La Charte nationale d’aménagement du territoire comporte des constats et préconisations. En effet, dans un pays comme le Maroc, dont une partie du territoire est désertique et l’autre située au voisinage de climats secs, et qui est régulièrement exposée à l’instabilité des conditions climatiques, «l’économie dans la consommation de l’eau et la rationalisation de sa gestion exigent la prise de mesures concrètes de développement des techniques et méthodes de mobilisation, de transport et de stockage, la reconsidération des techniques d’irrigation gaspilleuses d’eau et des cultures les plus consommatrices, ainsi que la rationalisation des utilisations non agricoles de l’eau. Il faut, en outre, initier une  politique de surveillance drastique de l’exploitation des eaux souterraines et instaurer un système de tarification qui permette d’amortir le coût des investissements consentis et de pousser les usagers à éviter le gaspillage». Le Schéma national d’aménagement du territoire apporte, quant à lui, des éclairages qui méritent d’être rappelés : «Les ressources naturelles du pays sont limitées, fragiles et massivement surexploitées…, d’ores et déjà, plusieurs régions importantes, en particulier le Souss, ont largement outrepassé leur « droit de tirage » sur les ressources naturelles.

Pratiquement toutes les nappes sont soumises au rabattement sous l’effet des pompages excessifs… Toutes les nappes importantes sont malmenées, que ce soit dans le Haouz ou dans le Saïss… Le grand consommateur (d’eau) est et restera l’agriculture ; la demande en faveur de l’irrigation ne peut que croître. Il s’agit aujourd’hui de maîtriser (à la baisse) le pompage des nappes et de faire reculer le gâchis d’eau de la grande hydraulique… C’est là qu’est la principale réserve».

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Par ailleurs, «…les problèmes sont connus de longues dates et les solutions également. Mais les tendances lourdes se perpétuent et risquent même de s’aggraver, avec le développement des pompages dans le bour. Il y a un risque considérable de fuite en avant dans la gestion du problème agricole. Faute d’aborder les problèmes de fond, on peut chercher des accommodements de circonstances en puisant dans des nappes qui n’ont pas les capacités suffisantes pour assurer un développement durable… S’agissant de l’eau, il faut mettre en œuvre les directives d’Agadir et accepter réellement ce renversement que constitue le passage d’une politique de l’offre à une politique de la demande».

Enfin, le Rapport du cinquantenaire pour le développement humain avait déjà annoncé la perspective de la pénurie d’eau : «La question de l’environnement se pose avec d’autant plus d’acuité que le bassin méditerranéen devrait connaître des risques écologiques importants comme la désertification et une réduction significative des ressources en eau par habitant». Plus spécifiquement, «le Maroc serait en situation de pénurie à l’horizon 2025… des grands bassins versants du pays connaîtront des déficits en eau : les bassins de la Moulouya, du Sud Atlantique, du Souss Massa, du Tensift, du Bouregreg et d’Oum Rbia. Les bassins du Sebou en particulier, ainsi que ceux du Loukkos et de la côte méditerranéenne resteront excédentaires et pourraient pallier les déficits régionaux. Les effets conjugués de la croissance démographique, des avancées sociales et économiques, de l’urbanisation, des sécheresses de plus en plus fréquentes, ainsi que les progrès réalisés dans le raccordement au réseau hydrique alimenteront les besoins en eau et continueront d’affecter négativement les ressources mobilisables par habitant : celles-ci devraient se chiffrer à 520 m3 par an par habitant en 2020».

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Ainsi, le débat public sur la problématique hydrique, sans être tout à fait nouveau, mérite un retour aux réflexions et constats pertinents déjà engagés pour une meilleure capitalisation, non seulement mémorielle, mais aussi pratique. Rappelons cette conclusion de Grigori Lazarev en tant que témoin engagé des politiques agraires au Maroc, depuis l’Indépendance, dans lequel il considère que «tout semble se passer comme s’il fallait recommencer chaque fois que les décideurs changent. Ce déficit de capacité d’accumulation du savoir et d’expériences dans l’administration semble avoir été une caractéristique forte du système de la production des concepts et de l’action publique en agriculture».

 
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