Décès de Hassan Slaoui. Le patrimoine comme muse !
Figure majeure de la récente histoire de l’art moderne et contemporain marocain, Hassan Slaoui nous a quittés, sur la pointe des pieds, la nuit du lundi 15 janvier 2024. Retour sur un fabuleux cheminement entre art et artisanat.
Dans le beau livre, sorti à l’occasion de l’hommage de la Fondation ONA et de ses Villas des Arts de Rabat et Casablanca, Hassan Slaoui clôture son texte bio, « regard rétrospectif », par ces mots : «Mon travail demeure obstinément hors catégorie. Il n’est ni abstrait, ni primitiviste, ni post moderne, ni brut… ».
Un travail original dans le sens qu’il fait référence aux origines, aux racines. En 1979, la galerie qu’il fonda en compagnie de Karim Bennani, la galerie Structure BS, exposait «Racines». L’artiste s’inspirant du livre d’Alex Haley, sorti en 1976, nous proposait les siens : souches de thuyas, citronniers, eucalyptus, néfliers…Il nous convia à l’appréciation des œuvres inspirées de sa madeleine de Proust, le bois paternel, son odeur et ses formes. Le papa est un maâlem dont les œuvres, dans les années cinquante, ont embelli maintes demeures privées et sites publics. C’est lui qui façonna, entre autres, les plafonds du palais de justice néo-mauresque de Casablanca entre 1948 et 1952.
Tout au cours de son cursus, Hassan Slaoui ne cessa de réfléchir et de s’inspirer de l’univers des arts traditionnels. 1981, reste une date charnière dans sa carrière. En exposant avec son ami Farid Belkahia, toujours à la galerie Structures BS, ils interpellaient le savoir ancestral, les techniques des artisans, les matériaux bruts, le henné, la peau, le bois…pour en faire autre chose, pour les détourner et essayer de réussir la fameuse synthèse entre la tradition et la modernité, une sorte de tradition moderne. Avec ces créations, ces préoccupations, nous sommes en plein contexte du débat sur la culture nationale, le rapport à l’Occident, l’aliénation et l’altérité.
Lire aussi | Décès de la mère de Mohamed Rabie Khlie, le DG de l’ONCF
Hassan Slaoui voit le jour en 1946 dans la cité spirituelle, la ville où la vie est rythmée par les appels à la prière et les sons que les artisans donnent au cuir, au cuivre, au bois… Une fois à Rabat, il poursuit les cours de l’école des arts appliqués avant de s’envoler pour Paris s’initier auprès des maîtres Met de Penninghen et J.d’Andon, ainsi que les cours de l’Ecole nationale supérieure des métiers d’art. Le fils d’artisan, qui se familiarisa avec les matériaux dès sa tendre enfance, obtient une maîtrise et un DEA à la Sorbonne en arts plastiques et sciences de l’art traitant de : l’intégration architecturale : réhabilitation des métiers traditionnels dans l’espace architectural contemporain au Maroc. De retour au bercail, il enseigne, forme les formateurs tout en continuant à créer et à intervenir, comme architecte d’intérieur et designer, dans plusieurs projets.
Une œuvre interpellatrice et ouverte
Son œuvre, qu’il nous lègue, reste inclassable. Avec des matériaux et des thématiques ô combien variés, on navigue entre céramiques, racines, incrustations, fragments, tables de la mémoire, manuscrits, astrolabes, assemblages, bois secrets et ses fameuses colonnes, inspirées des colonnes Wallas parisiennes. De l’ensemble, se dégage une préoccupation qui hante l’esprit imaginatif et créatif de Hassan Slaoui, la préoccupation du temps qui passe, de la trace, de l’effacement, des ruines et de la renaissance. L’œuvre dans sa totalité reste un palimpseste qui ne cesse de s’effacer et s’écrire par des mots illisibles nous donnant à voir la fragilité du monde, de notre existence.
Lire aussi | Le Kaiser Franz Beckenbauer n’est plus !
Céramiste, sculpteur, peintre, architecte d’intérieur, formateur, galeriste, Hassan Slaoui fut aussi Commissaire d’expositions. Au moment où nous vivons une sorte d’«africanomania», ne fut-il pas le responsable de grandes expositions, organisées dans le cadre du Festival Mawazine, éditions 2003 et 2004, consacrées à l’art africain ? Il s’en inspira pour rendre, à sa manière, hommage à notre africanité.
Un beau livre
C’est Graphely, agence ayant pignon sur rue à Rabat et l’une des plus professionnelles en ce qui concerne la conception des beaux livres, qui nous a concocté un sublime « Hassan Slaoui, altérations ». En grand format, avec une couverture sobre avec les fameuses colonnes et le titre en réserve blanc, le livre se lit, s’admire au long de pas moins de 321 pages. Les textes, entre analyse et réflexion théorique du complice Khalil M’Rabet, les témoignages et notations de Hassan Slaoui, les images des œuvres, éternisées par les clacs de Hassan El Mansouri, s’alternent pour notre grand plaisir. « Hassan Slaoui, altérations », qui sort après les publications : Catalogue Hassan Slaoui Galerie Nadar Casablanca 2009, Catalogue Hassan Slaoui/Bois secrets Institut français Rabat 2008, Catalogue Hassan Slaoui/Assemblages Galerie Bab Rouah Rabat 2003, Catalogue Hassan Slaoui/Tables de mémoire Galerie Bab Rouah Rabat 1997, est plus qu’un catalogue, un beau livre d’art qui fait le point sur une carrière époustouflante.
Khalil M’Rabet, Hassan Slaoui, Altérations, Graphely, Rabat, 2017