Interview

Dr. Samuel Munzele Maimbo: «Mon engagement est de faire de la BAD l’institution catalytique du développement africain»

À l’approche de l’élection pour la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD), Dr. Samuel Munzele Maimbo, fort de son expérience à la Banque mondiale, se positionne comme un leader prêt à réformer l’institution pour qu’elle devienne le moteur du développement économique en Afrique. Dans cette interview, il partage sa vision pour la transformation du continent et ses priorités stratégiques pour la BAD.

Challenge : L’élection pour la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD) aura lieu en mai 2025. Plusieurs candidats ont déclaré leurs intentions, rendant la compétition très ouverte. Votre expérience en tant que Vice-Président de la Banque mondiale, responsable du budget, de l’évaluation des performances et de la planification stratégique, vous place parmi les favoris. Partagez-vous ce point de vue sur votre candidature ?

Dr. Samuel Munzele Maimbo : Il est encourageant de constater que ces élections suscitent un intérêt significatif de la part de nombreux candidats, favorisant un débat nécessaire et offrant une diversité de visions pour l’avenir de la Banque Africaine de Développement. Je suis profondément honoré par l’enthousiasme manifesté envers ma campagne, notamment à travers les soutiens officiels de la SADC et du COMESA. Ma candidature repose sur un engagement ferme : promouvoir des réformes audacieuses visant à réduire les inefficiences bureaucratiques et à rendre nos institutions plus agiles, inclusives et efficaces dans leur mission de transformation socio-économique du continent africain. 

Mon parcours témoigne de ma capacité avérée à obtenir des résultats concrets pour notre continent, que ce soit à travers la mobilisation d’un financement record de 93 milliards de dollars dans le cadre de la reconstitution de l’IDA 20- dont 40% ont bénéficié à l’Afrique-, la gestion rigoureuse et efficiente des finances d’une institution multilatérale de plusieurs milliards de dollars, tout en respectant les principes d’intégrité et de prudence, ou encore la mise en œuvre d’opérations en Afrique, en Asie ou en Europe destinées à renforcer les investissements dans les secteurs financier et privé. En outre, les six cents collaborateurs que j’ai récemment dirigés à la Banque Mondiale, opérant dans plus de quatre-vingt-dix pays, peuvent attester de mon engagement indéfectible en faveur du développement des carrières du personnel. 

Bien que de nombreux plans et stratégies ingénieux aient été élaborés pour l’Afrique, cela ne suffira pas à garantir la prospérité ni à résoudre les défis auxquels nous sommes confrontés. Nous devons nous concentrer sur l’action. J’ai l’expérience et la perspective nouvelle nécessaires pour aider à améliorer l’efficacité de la BAD, soutenir les gouvernements et débloquer la transformation économique de notre continent.

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Challenge : Vous avez été désigné comme le candidat officiel de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) lors du 44ème Sommet des chefs d’État et de gouvernement, surpassant la Sud-Africaine Swazi Tshabalala et la Tanzanienne Frannie Léautier. C’est un signal fort. Quelle importance accordez-vous à ce soutien stratégique de la SADC ?

S.M.M : Je suis honoré d’avoir reçu des endorsements des blocs SADC et COMESA, qui soutiennent ma vision pour la BAD et la manière dont nous pouvons agir au bénéfice de tous les Africains. Nous avons une campagne solide, et j’ai hâte de capitaliser sur le soutien que nous avons reçu jusqu’à présent pour offrir à nos enfants et petits-enfants un avenir rempli d’opportunités, d’équité, d’accès et d’autonomisation.

Challenge : Pourquoi avez-vous choisi de quitter votre poste de Vice-Président à la Banque mondiale pour postuler à la présidence de la BAD ? Qu’est-ce qui motive cette nouvelle phase de votre carrière ?

S.M.M : Je crois que la BAD a besoin d’un président capable de maximiser le potentiel de l’institution afin qu’elle puisse mieux servir ses principaux bénéficiaires au gouvernement, dont les populations ont besoin d’emplois rapidement et à grande échelle. Les besoins de financement pour le développement de l’Afrique pour les prochaines décennies dépassent de loin les niveaux d’accès actuels. Nos efforts de développement économique et de réduction de la pauvreté ralentissent. Nous devons reconnaître et affronter ce problème avec des actions plus audacieuses et ambitieuses.

Je crois que l’Afrique a déjà tout ce dont elle a besoin pour prospérer. Alors que beaucoup regardent l’Afrique et n’y voient que des défis, j’y vois de l’espoir, des promesses et des réponses. Malgré la croissance financière de l’Afrique, trop d’Africains sont laissés pour compte. Nos jeunes sont prêts pour la transformation, nos communautés ont besoin d’emplois et nos gouvernements ont besoin d’une juste chance d’accéder au capital nécessaire pour leurs populations. La Banque Africaine de Développement est la seule institution au monde qui peut être le catalyseur de ce changement.

Challenge : Pouvez-vous tracer les grandes étapes de votre parcours professionnel et expliquer comment elles vous ont préparé à diriger la BAD ?

S.M.M : Je suis né et j’ai grandi à Lusaka. J’ai eu l’honneur d’être Vice-président pour le budget, l’évaluation des performances et la planification stratégique à la Banque mondiale, où j’ai veillé à l’alignement des ressources avec les priorités stratégiques et à la durabilité financière de l’institution. Avec près de 30 ans d’expérience dans le développement, les marchés financiers et la planification stratégique, j’ai travaillé à travers l’Afrique, passant du temps dans chaque région du continent.

J’ai dirigé des institutions financières de développement international, levé et géré des milliards de dollars, et obtenu des résultats face à des circonstances de plus en plus complexes. À la Banque mondiale, j’ai supervisé la mobilisation réussie de 93 milliards de dollars pour l’Association internationale de développement (IDA 20), complétée une année plus tôt. J’ai également exercé les fonctions de Chef de Cabinet pour deux présidents de la Banque mondiale. Mon parcours me confère l’expérience et la perspective nouvelle nécessaires pour diriger efficacement la BAD et en faire l’institution de développement de premier plan en Afrique, capable de stimuler la transformation économique sur l’ensemble du continent.

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Challenge : Avec près de 30 ans d’expérience dans le développement et les marchés financiers, dont 23 ans à la Banque mondiale, vous êtes un expert reconnu en finance internationale. Quelles sont vos principales ambitions pour la BAD et le développement de l’Afrique ?

S.M.M : L’Afrique se trouve à un tournant décisif, avec une population qui devrait atteindre 2,5 milliards d’ici 2050, ce qui en fera la plus grande main-d’œuvre au monde. Ce dividende démographique, associé à une valeur commerciale potentielle de 3 trillions de dollars grâce à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), offre une opportunité sans précédent de croissance et de développement.

Mon objectif est de garantir que la BAD maximise son plein potentiel au service des gouvernements africains qui ont besoin de plus d’aide pour leur population et pour leurs besoins de développement. Malgré la croissance économique de l’Afrique, le citoyen africain moyen s’appauvrit et l’inégalité économique continue d’augmenter. Mon attention sera portée sur le réexamen et l’amélioration des finances, des opérations et de la capacité de la BAD à mobiliser plus de financement concessionnel, à mieux aider les pays dans la gestion de leur dette, et à créer des économies plus durables et résilientes face au climat en s’attaquant aux lacunes en matière d’infrastructure et de développement.

Challenge : Quelle est votre évaluation de l’état actuel de la Banque Africaine de Développement ? Si vous êtes élu, quelles priorités concrètes mettrez-vous en œuvre pour renforcer l’institution ?

S.M.M : Le fait que la Banque Africaine de Développement détienne une notation AAA indique que sa gouvernance et ses fondations financières sont stables. C’est sans aucun doute un point positif et une grande source de fierté. Je crois que la BAD peut aller plus loin et n’a pas encore maximiser son plein potentiel pour servir les gouvernements en Afrique qui ont besoin de manière significative d’aide pour leur population.

Mais nous devons cesser de parler du potentiel de l’Afrique – et commencer à le concrétiser. Nos gouvernements ont besoin d’une juste chance d’accéder aux capitaux et aux ressources dont ils ont besoin pour leurs besoins de développement. Ma plateforme politique a trois priorités : améliorer l’efficacité et l’impact de la BAD grâce à des réformes pour en faire l’institution de développement de premier plan en Afrique ; élargir la gestion des finances publiques pour soutenir les gouvernements avec les ressources, la capacité, les politiques et les systèmes nécessaires pour générer une croissance économique à long terme ; et créer des emplois par le biais de programmes de création de valeur axés sur la réduction des lacunes en matière d’infrastructure et de commerce, afin que nos secteurs économiques puissent prospérer.

Challenge : Vous devrez mobiliser le soutien de 54 pays africains et de 27 pays non africains pour votre candidature. Quelle sera votre stratégie de campagne ? Avez-vous déjà identifié des soutiens clés ?

S.M.M : Je suis reconnaissant envers toutes les nations qui m’ont déjà fait confiance pour diriger efficacement la BAD. Je continuerai à exposer ma vision pour la BAD et ce que je crois que nous pouvons faire pour agir au bénéfice de tous les Africains, en particulier nos jeunes sur le continent. Je suis honoré d’avoir reçu des endorsements tant de la SADC que de la COMESA et je continuerai à travailler avec tous les pays pour m’assurer que la voix et les intérêts de l’Afrique sont entendus sur la scène internationale. Tous les actionnaires de la Banque souhaitent voir le succès économique africain et seront des partenaires précieux pour réaliser ce succès.

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Challenge : En tant que membre fondateur de la BAD et partenaire stratégique, le Maroc joue un rôle crucial parmi les 54 pays membres africains. Comment percevez-vous l’évolution de la relation entre la BAD et le Maroc, notamment à la lumière des réformes initiées par le Roi Mohammed VI ?

S.M.M : Le Maroc a constamment prouvé son engagement envers la prospérité et le développement de l’Afrique, et la BAD doit continuer à travailler avec tous les acteurs concernés pour remplir son mandat. Les réformes du Roi Mohammed VI ont porté sur des politiques économiques macro et micro qui ont généré une croissance économique et de meilleures conditions de vie au Maroc au cours des dernières décennies. La construction d’infrastructures de classe mondiale a été essentielle pour placer dernièrement le Maroc dans l’économie mondiale, et j’espère que nous pourrons reproduire cette expérience et collaborer avec d’autres partenaires pour créer des succès similaires. Étant donné sa position stratégique, le Maroc peut agir comme un pont commercial et d’investissement critique entre l’Afrique et les marchés mondiaux, tout en devenant un hub pour le commerce intra-africain, la fabrication et l’économie numérique. Avec le soutien du Maroc pour la mise en œuvre de la ZLECAf, la BAD et le Maroc doivent également travailler ensemble pour accélérer sa mise en œuvre et approfondir l’intégration économique dans la région.

Challenge : Avec moins de trois mois avant l’élection, vous sentez-vous prêt à relever ce défi ? Quelles préparations sont en cours pour ce moment critique ?

S.M.M : Je suis plus que prêt à relever ce défi. Chaque jour, je me lève avec la conviction que la BAD est la seule institution au monde capable d’être le catalyseur pour offrir un avenir prospère et équitable pour tous les Africains. Mon équipe et moi avons des discussions régulières avec des pays et des experts pour informer nos préparatifs et affiner nos politiques. Nous mettons tout en œuvre pour nous assurer que notre message est clair, que notre soutien est mobilisé à tous les niveaux, et que nous sommes prêts à assumer le leadership nécessaire pour transformer la BAD en une institution qui répond aux défis urgents et aux opportunités qui se présentent à l’Afrique.

Nous sommes au seuil d’une ère d’opportunités et de défis inédits pour notre continent. Je suis convaincu que, grâce à un leadership dévoué, une vision ambitieuse et une collaboration étroite avec tous les acteurs concernés, nous pouvons aider l’Afrique à réaliser son potentiel et à construire un avenir meilleur pour les générations à venir.

Son parcours
Expert en développement avec plus de 30 ans d’expérience dans plus de 40 pays, le Zambien Samuel Munzele Maimbo est reconnu pour son expertise dans la conception et la mise en œuvre de systèmes financiers performants. Il dispose d’une expertise approfondie sur l’Afrique ainsi que de relations inégalées au sein du système financier international. 
Actuellement Vice-Président chargé du Budget, de l’Évaluation des Performances et de la Planification Stratégique à la Banque mondiale à Washington D.C., il a précédemment occupé plusieurs postes stratégiques au sein de cette même institution, notamment celui de Chef de cabinet des présidents David Malpass et Ajay Banga, ainsi que celui de Conseiller principal auprès de deux directeurs financiers du groupe. Il a également occupé le poste de Directeur du département de mobilisation des ressources de l’Association internationale de développement (IDA) et du département de financement des entreprises de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Dans ce cadre, il a piloté la mise en œuvre du modèle financier hybride – combinant ressources concessionnelles et non concessionnelles – de l’IDA et conduit des analyses sur les politiques de revenus et le financement des entreprises de la BIRD. Son leadership a permis de reconstituer, avec un an d’avance, les ressources de l’IDA20, atteignant un montant record de 93 milliards de dollars. Ce financement constitue la plus grande source de soutien pour les 75 pays les plus pauvres du monde, dont 39 situés en Afrique. 

Son Actu  
La liste des candidats officiels à la succession du Nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la BAD, ne cesse de s’allonger. La puissante Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a désigné l’Economiste zambien comme son candidat unique à la présidence de la BAD, écartant ainsi la Sud-Africaine Swazi Tshabalala et la Tanzanienne Frannie Léautier.

 
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