Edito. L’eau, entre rareté et inégalités
Peut-on vivre sans boire de l’eau ? Non, bien sûr. Et c’est aussi le cas de toutes les espèces vivantes. De même, pour se nourrir et nourrir, toute culture ou élevage exige de l’eau, ressource nécessairement préalable à la production de tout aliment. Malgré son importance vitale, cette ressource, source de vie, au sens propre et concret du terme, a été et demeure « malmenée », voire négligée et surexploitée à outrance, polluée, accaparée, transformée en source de profits (…). Elle est appelée à devenir certainement la première source de conflits sociaux, mais aussi de conflits interétatiques et géopolitiques.
Dans cette réalité, à la fois locale et globale, l’humanité ne semble pas être consciente de la rareté de cette ressource. Si le volume estimé de la Terre est de 1083,32 milliards de km3, le volume total de l’eau de la Terre, soit 1,38 milliards de km3, n’en représente qu’une infime partie, soit 0,12%. Et 97,5% de cette eau est salée alors que 2,5% est considérée comme eau douce. 69% de l’eau douce est inexploitable, stockée sous forme de glace ou de neige, dont la fonte s’accélère actuellement sous l’effet du réchauffement climatique. L’eau douce liquide ne représente actuellement que 0,76% du total de l’eau de la Terre. 62% de l’eau potable provient des eaux souterraines, le reste (38%) se trouve dans des torrents, des rivières et des lacs. Ainsi, l’« eau douce utilisable » représente moins de 1% du volume total d’eau terrestre sous forme de cours d’eau, de réservoirs naturels ou artificiels et aquifères peu profonds. Rare, l’eau est aussi inégalement répartie. Neuf pays, dont les Etats Unis d’Amérique, la Chine, l’Inde, la Russie, le Canada et le Brésil, disposent de près de 60% des ressources naturelles mondiales en eau douce. Le lac Baïkal, situé dans le Sud de la Sibérie, représente le plus grand réservoir naturel d’eau douce liquide du monde, avec 23 millions de km3 d’eau. Alors que le tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable. En 2040, 9 milliards d’êtres humains connaitront la soif, dont la moitié en Asie de l’Est et du Sud. Aujourd’hui, si, en Amérique du Nord, la consommation moyenne par habitant est de 250 litres/jour, en Afrique Subsaharienne, elle est inférieure à 10 litres/jour. De même, si, en Europe et en Amérique du Nord, 64 millions d’habitants n’ont pas accès à un service d’eau potable géré de façon sûre, en Afrique Subsaharienne, la population privée de ce service atteint 802 millions d’habitants. Et d’après les chiffres de l’OMS, le nombre de décès attribuables à un manque d’eau et à l’assainissement est de 47 pour 100 000 habitants, en Afrique, et de 2 pour 100 000 habitants, en Europe. Cette répartition inégale de l’eau dans le monde renforce localement les inégalités économiques et sociales. Le « portage de l’eau » dans les ménages n’ayant pas d’eau à domicile est un fardeau supporté surtout par les femmes, avec un taux de 70%.
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Le dérèglement climatique actuellement vécu par l’humanité trouve ses causes principales dans le modèle économique qui a vu le jour en Europe, avec la « révolution industrielle ». L’extension au monde de ce modèle a rencontré aujourd’hui ses limites ultimes. Malgré l’évidence de l’urgence, la révision radicale de ce modèle est timidement entamée. Sans être responsables, les peuples des Etats du « Sud global » sont les premiers à en subir les conséquences. Les solutions à la crise actuelle de l’eau dans le monde sont nécessairement globales et locales. Globales, notamment en accélérant le remplacement des sources fossiles d’énergie (charbon, pétrole et gaz). Locales, en transformant radicalement les modes de production et de consommation, et en adoptant de nouveaux modes de vie respectueux des équilibres environnementaux et de la durabilité de l’ensemble des écosystèmes naturels dont l’eau. Localement, le vrai changement de cap commence au niveau des choix publics stratégiques. Ainsi, au Maroc, une agriculture productiviste et aquavore, destinée principalement à l’exportation, n’a pas d’avenir. Elle constitue aujourd’hui le principal facteur d’aggravation du stress hydrique. Basé sur des travaux scientifiques, ce constat objectif devrait déclencher une révision totale des politiques publiques dont la politique agricole, loin de toute polémique politicienne.