Elevage du bétail: Un secteur en difficulté
Les prix des viandes rouges n’ont pas cessé d’augmenter. Les citoyens « voient rouge ». Ils ont déjà été confrontés pendant plusieurs années à l’inflation qui a impacté surtout les prix des produits alimentaires. Pour essayer de comprendre cette hausse spécifique aux viandes rouges, il est nécessaire de faire un tour d’horizon sur l’ensemble du secteur, pour ne pas se limiter aux facteurs conjoncturels souvent évoqués, certes importants, mais insuffisamment explicatifs des causes structurelles.
L’élevage est une activité humaine très ancienne. Les débuts de la domestication du bétail à l’état sauvage (Bos taurus) ou du zébu (Bos taurus indicus) datent de plus de 10 000 ans, au Moyen Orient et en Inde. Auparavant, l’être humain avait recours à la chasse pour satisfaire ses besoins alimentaires en viandes. L’activité d’élevage des ovins et des caprins est presque aussi ancienne que celle des bovins. Mais, à travers l’histoire, l’élevage n’a pas eu uniquement pour objectif de fournir de la viande. C’est en fait un rapport complexe, entre la nature et les humains, qui s’est tissé à travers la domestication de ce qui sera appelé le bétail. L’élevage a aussi servi à produire du lait et des produits laitiers. Il en est de même de la traction animale pour labourer les terres ou pour le transport, avant l’apparition des engins motorisés. C’est aussi le cas de la peau ou de la laine transformée en tapis, vêtements, chaussures (…). Les déchets/excréments, surtout les bouses de vaches, servent d’engrais naturel pour fertiliser les sols cultivables, et parfois même de combustibles ou, mélangés à de la terre, de matériaux de construction.
Le mode d’élevage a aussi évolué. Au début, l’élevage était extensif, basé sur le pâturage, à une époque où la propriété privée de la terre n’était pas encore généralisée. Ce mode caractérisait aussi un rapport équilibré entre la nature et les humains. Le mode extensif d’élevage est maintenu dans les pays bénéficiant de grandes surfaces telles que les Etats Unis d’Amérique (EUA), l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Inde, l’Argentine, et plus récemment le Brésil, au détriment des forêts amazoniennes. Cependant, aujourd’hui, l’élevage intensif ou élevage industriel a tendance à devenir le mode principal de production et de reproduction du bétail, en particulier la filière bovine. Actuellement, presque les 3/4 du cheptel mondial sont constitués par des élevages intensifs. Alors que l’élevage extensif présente de nombreux avantages, notamment en termes de fertilisation naturelle des sols et de restauration des milieux naturels, l’élevage intensif est très critiqué aussi bien au niveau des mauvaises conditions de traitement des animaux que pour les conséquences environnementales et sanitaires (pollution des eaux et des sols, pollution de l’air par le méthane contenu dans les excréments des bovins…). En fait, cette évolution a été imposée par une logique de rendement et par la croissance de la demande de viandes rouges, au niveau mondial, croissance liée notamment à l’émergence d’une «classe moyenne mondiale », l’amélioration du pouvoir d’achat et le changement dans le mode de consommation où les viandes ont tendance à remplacer les aliments végétaux. C’est notamment le cas de la Chine.
Sommes-nous face à un monde de plus en plus carnivore ? D’après les statistiques de la FAO et de l’OCDE, 71 413 milliers de tonnes équivalent carcasse (téc) de viandes bovines ont été produites dans le monde, en 2020, en pleine pandémie du Covid-19, contre 70 379 milliers de téc, en 2019, soit une hausse de presque 1,47%. Cependant, l’évolution récente permet de constater un tassement, avec une croissance de la production mondiale qui ne dépasse pas 1%.
Lire aussi | Face à la sécheresse prolongée, faut-il repenser les terres bour ?
Au Maroc aussi l’élevage a une longue histoire. Avant et pendant la période coloniale, l’élevage était dominé principalement par les ovins et les caprins (camelin au Sahara). Autrefois, fondé surtout sur le pâturage, l’évolution récente a été caractérisée par le développement de l’élevage intensif. Cela s’explique par plusieurs facteurs parmi lesquels la réduction des espaces de pâturage, souvent réaffectés à des cultures irriguées, encouragées et subventionnées dans le cadre des nouvelles politiques agricoles. Le processus en cours de la melkisation des terres collectives va certainement accélérer cette évolution et réduire encore plus les espaces autrefois dédiés au pastoralisme. A cela s’ajoutent la sécheresse, la hausse des prix des aliments de bétail et la crise de la filière laitière, en rapport avec l’importation du lait de poudre.
La consommation des viandes rouges a aussi connu une croissance avec l’émergence d’une classe moyenne au cours des dernières décennies, laquelle catégorie sociale fait actuellement face à une érosion de son pouvoir d’achat, voire à une paupérisation pour sa tranche inférieure, au moment où les prix des produits alimentaires ne cessent pas d’augmenter. Les principales matières premières composant l’aliment de bétail telles que le maïs et le soja sont généralement importées à hauteur de plus de 90%.
L’impact de la crise de l’élevage extensif, basé sur le pâturage, va certainement accentuer les flux migratoires vers les villes. En effet, l’élevage extensif des ovins et des caprins est souvent une source vitale de revenus qui permet aux «paysans sans terre» ou aux petits agriculteurs-éleveurs de résister aux effets de la sécheresse. Privés de cette ressource, et à défaut d’alternative dans l’espace rural, les petits éleveurs seront ainsi contraints de se diriger vers les périmètres urbains et d’entamer leur «rebidonvilisation». Une réalité qui révèle une incohérence continue des politiques publiques, lesquelles continuent de souffrir d’une absence de coordination et d’une vision globale de développement.
Le TOP 5 des producteurs de viande bovine dans le monde
Le premier producteur mondial de viande bovine est les Etats Unis d’Amérique (EUA), avec près de 11 440 milliers de tonnes équivalent carcasse (téc), en 2021. C’est le secteur agricole le plus important aux EUA où, autrefois, les bisons avaient été quasi-totalement exterminés en masse, soit pour leur peau, soit surtout pour priver les Amérindiens d’une ressource vitale pour leur alimentation. Actuellement, les citoyens étasuniens consomment, en moyenne, 450 grammes de viande bovine par personne et par semaine. Une grande partie est exportée vers l’Asie, et de plus en plus vers l’Europe.
Le Brésil est en 2ème position, depuis 2021, année où la production a atteint 8 370 milliers de téc de viandes bovines. C’est aussi le 1er exportateur mondial de viandes bovines. En 2018, l’Union Européenne (UE) a fermé ses portes à la viande brésilienne pour non- respect des critères européens. Cependant, avec la récente adoption du MERCOSUR par l’UE, les exportations brésiliennes de viandes bovines vers l’UE devraient reprendre.
Lire aussi | Mohammed Jadri: «Cette sécheresse, combinée aux températures caniculaires, compromet gravement les récoltes»
L’UE vient en 3ème position, avec près de 7 780 milliers de téc de viandes bovines, en 2021, soit 11% de la production mondiale. Au sein de l’UE, la France est le 1er producteur, avec près de 1 400 milliers de téc.
La Chine a développé la filière bovine après l’épidémie récente qui a frappé l’élevage des porcs. Elle occupe actuellement la 4ème place des pays producteurs de viandes bovines. En 2021, la Chine a produit 10% de la production mondiale, soit 7 170 milliers de téc. Malgré cela, la Chine est aussi le 1er importateur mondial des viandes bovines, en provenance principalement de l’Australie et du Brésil.
L’Inde est le 5ème producteur mondial de viandes bovines, avec 4 170 milliers de téc (2021). Elle possède le plus grand cheptel bovin dans le monde. En Inde, les vaches sont sacrées et ne peuvent pas être tuées ni mangées. La quasi-totalité de la production est ainsi exportée vivante. Elle a d’ailleurs été, pendant longtemps, le 1er exportateur mondial, avant d’être évincée par le Brésil.