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Étudier à l’étranger est-il forcément synonyme de fuite des cerveaux ?

Selon Campus France, les Marocains représentaient en 2022 la première communauté estudiantine étrangère en France, représentant ainsi 12 % de l’ensemble des effectifs étrangers recensés. Des dizaines de milliers d’étudiants marocains sont ainsi les vitrines du Maroc au sein des grandes universités occidentales. Même si l’argument de départ est louable, au final, le Maroc se voit être spolié de ces ressources stratégiques.

En 2022, 16 Marocains ont été admis à l’École Polytechnique, soit plus du tiers des étrangers qui ont intégré la première école d’ingénieurs française. Loin d’être un épiphénomène, les Marocains s’illustrent chaque année dans les concours d’entrée aux grandes écoles françaises. Ils sont près d’un millier à y étudier chaque année, selon l’Association des Marocains aux Grandes Écoles (AMGE) fondée en 1994 par des étudiants de HEC et qui compte aujourd’hui 5 000 alumni. Pas qu’en France. À Harvard, à Oxford, à Yale, les étudiants marocains se forment dans les différents pôles prestigieux de savoir. De plus, on les retrouve aujourd’hui à se diriger vers d’autres régions du monde. « Incontestablement, on assiste aujourd’hui à l’émergence de nouveaux pôles de savoir tels que l’Espagne, la Chine, la Turquie où l’on retrouve une grande communauté d’étudiants marocains… », nous confie Mohamed Tazi, Directeur Général du cabinet de conseil Archimède.

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En France, par exemple, selon Campus France, les Marocains sont la première communauté estudiantine étrangère en France en 2022, représentant ainsi 12 % de l’ensemble des effectifs étrangers recensés. L’Hexagone, qui est leur première destination, capte 55 % des étudiants marocains mobiles. Au total, 44 933 étudiants marocains étaient inscrits en France lors de l’année universitaire 2020-2021. Les nationalités les plus représentées parmi ces 365 000 étudiants étrangers en France sont le Maroc, l’Algérie, la Chine, l’Italie et le Sénégal. Ainsi, les Marocains sont au premier rang devant leurs homologues algériens avec un total de 29 333, les Chinois avec 27 950 étudiants, les Italiens avec 16 484 et les Sénégalais avec 14 566.

Notons d’ailleurs que dans le classement 2021 des pays les moins performants en matière de conservation des cadres sur leur territoire, réalisé par le Global Talent Competitiveness Index, le Maroc occupe le 95e rang sur 134 pays, devancé par l’Algérie qui occupe le 98e rang. Tel une véritable problématique, la fuite des cerveaux coûte au Maroc entre 0,10 et 0,25 % du PIB, soit l’équivalent de 1,1 milliard à 1,767 milliard de dirhams par an.

Formation-évasion

« Le Maroc figure dans le Top 20 des pays d’origine de la mobilité étudiante dans le monde. Cette statistique à elle seule synthétise aussi bien l’attractivité des étudiants marocains, ce qui devrait tous nous interpeller et nous appeler à davantage de pondération lorsqu’il s’agit de critiquer notre système éducatif. Certes, qui aime bien châtie bien, mais si notre système pédagogique était aussi défaillant que certains le prétendent, comment expliquer alors que tant de pays développés s’arrachent nos ingénieurs, nos médecins, nos techniciens, nos informaticiens, parmi tant d’autres filières ? Le débat se situe davantage au niveau de l’offre d’emploi offerte concrètement aux étudiants marocains, en rappelant qu’un tiers des moins de 24 ans et qu’un diplômé sur cinq est officiellement chômeur dans notre pays. C’est ainsi la machine économique dans sa globalité qu’il convient de relancer, afin de retenir ces profils si ardemment désirés », nous confie Hicham Alaoui, CEO d’Allianz Trade.

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Même si la fuite des cerveaux dessine un sombre tableau, car ce sont des compétences utiles de perdues, l’économiste Abdelghani Youmni demeure un peu optimiste. « Ce dividende est une externalité positive de la montée en puissance du niveau d’éducation et de revenus de la diaspora marocaine à l’étranger, qui représente 12 % de la population totale du Maroc. Doit-on parler d’une fuite de cerveaux et d’une hémorragie de compétences ? La réponse est non, car toutes ces personnalités et cette immigration devenue le meilleur ambassadeur du label Maroc, art, culture, niveau scientifique et esprit entrepreneurial. » Et d’ajouter : « Les Marocains passent de plus en plus du statut d’immigré au statut d’expatrié, même si ce parallèle peut choquer. Aussi, cette diaspora pourrait servir de relais et de moteur de développement du capital humain et du pays, ce qui bénéficierait au marché du travail, au capital humain et à la création de richesse par les transferts ou par la mobilité des compétences. La fuite des cerveaux pourrait donc être transformée en gain de cerveaux par la mise en place de réseaux et de partenariats de coopération circulaires internationaux des capitaux et du capital humain ».

Le Maroc, une destination qui séduit certains

« La plupart des cadres marocains ont été formés par les grandes universités marocaines. Et nos diplômés arrivent à intégrer les grandes écoles étrangères. Cela montre que notre formation est une formation de qualité. Le Maroc est une destination importante pour un certain nombre d’étudiants du Sud. Nous avons des écoles privées qui sont très performantes, notamment l’UIR, UIC, HEM et l’école Sup Management de Fès », nous confie le DG du cabinet Archimed Consulting.

Selon le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation, Abdellatif Miraoui, 23 411 étudiants étrangers étaient inscrits au Maroc en 2021, dont 83 % d’Africains. Sur ces 23 411 étudiants étrangers, 19 256 étaient d’origine africaine, soit près de 83 %. Aujourd’hui, le Maroc est devenu sur le continent un véritable pôle de savoir qui, ces dernières années, a formé une bonne partie de l’élite africaine. C’est le cas de l’actuel premier ministre de la Guinée, Bernard Gomou, qui est un pur produit de l’enseignement marocain puisqu’il a obtenu une bourse d’études pour le Maroc. Il débuta son cursus universitaire dans l’une des plus prestigieuses écoles de commerce étatiques, l’École Supérieure de Commerce et de Gestion (ENCG) de Settat en 1999.

10 milliards de dirhams

Plus de 100 000 Marocains étudient à l’étranger, le coût de cette scolarité représentant 10 milliards de dirhams de transfert annuel par les familles. Pour Youmni, « ces jeunes vont devenir des hauts cadres avec une grande expertise internationale, ils pourront soit contribuer au transfert de devises vers le Maroc, qui a été multiplié par 5 en 20 ans, cette manne avoisine aujourd’hui les 100 milliards de dirhams. Ce dividende est une externalité positive de la montée en puissance du niveau d’éducation et de revenus de la diaspora marocaine à l’étranger, qui représente 12 % de la population. »

« Au final, le Maroc aurait tort de s’offusquer de la circulation de ces compétences. Il doit s’ouvrir au monde et devenir un grenier pour des compétences Arc en ciel. Un des facteurs essentiels de l’émergence économique et industrielle serait d’intégrer la migration en tant que variable dans les stratégies sectorielles à forte valeur ajoutée », explique l’économiste.

 
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