Face à la sécheresse prolongée, faut-il repenser les terres bour ?
La sécheresse chronique qui sévit au Maroc depuis plusieurs années a plongé les agriculteurs des terres bour, ou cultures pluviales, dans une situation critique.
Ces exploitants, dépendant des précipitations pour cultiver leurs céréales, légumineuses et fourrages, peinent à maintenir leur activité. Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome et agriculteur, partage son expertise et témoigne de la réalité douloureuse de ces acteurs du monde rural.
Les terres bour, entièrement dépendantes des pluies, sont les premières victimes de la sécheresse. « Les cultures bour, appelées aussi cultures pluviales, nécessitent des précipitations suffisantes et bien réparties tout au long du cycle de production. En cas de sécheresse totale, aucune culture n’est possible et même les pâturages disparaissent, impactant lourdement l’élevage », explique Abdelmoumen Guennouni. La dépendance aux aléas climatiques laisse peu de marge de manœuvre aux agriculteurs, qui se retrouvent souvent sans récolte pour nourrir leurs familles ou leurs animaux.
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Depuis six ans, cette sécheresse prolongée pousse les exploitants à des choix douloureux. Face à la hausse des prix des aliments pour bétail, beaucoup se voient contraints de vendre leurs animaux, réduisant ainsi leurs moyens de subsistance. La production laitière, autrefois un soutien financier, s’effondre également sous l’effet du coût croissant des intrants.
La Chaouia, grenier à blé en difficulté
La région de la Chaouia, historiquement surnommée le « grenier à blé du Maroc », subit de plein fouet le manque de précipitations. « Suite à cette sécheresse extrême, le sol est asséché en profondeur, rendant la préparation des terres presque impossible. A ce jour, la campagne enregistre un retard d’un mois pour les semis », alerte Guennouni. Cette situation sème le doute parmi les agriculteurs, déjà éprouvés, qui hésitent à investir dans des engrais coûteux sans garantie de récolte.
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La situation illustre la fragilité des terres bour face aux bouleversements climatiques, exacerbant l’insécurité alimentaire et économique des exploitants locaux. Les cultures céréalières, qui couvrent environ 50% des terres cultivables du Maroc, jouent un rôle crucial dans la sécurité alimentaire nationale, mais leur avenir est incertain sans précipitations suffisantes.
L’espoir des nouvelles variétés de céréales
Face à cette crise, l’espoir repose en partie sur l’innovation agricole. L’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), en partenariat avec l’ICARDA, travaille depuis des années sur le développement de variétés de céréales plus tolérantes à la sécheresse. Mais les résultats tardent à atteindre les agriculteurs. « Ces variétés sont encore en phase de multiplication et ne sont pas encore disponibles à grande échelle. Les agriculteurs, souvent mal informés, n’arrivent pas à obtenir ces semences et se retrouvent démunis face au manque de ressources adaptées », déplore Guennouni.
Pour que ces innovations aient un impact réel, il est essentiel d’améliorer la diffusion et l’encadrement des producteurs. Une information claire sur les variétés adaptées aux conditions spécifiques des régions permettrait de maximiser les rendements malgré les conditions difficiles.
Une survie grâce à la débrouille et à la solidarité
En attendant des solutions durables, les agriculteurs survivent grâce à des stratégies de débrouille. « Ils s’appuient souvent sur la solidarité familiale, notamment des enfants travaillant en ville ou à l’étranger, ou recourent à des emprunts et crédits pour financer leurs activités », précise Guennouni. Mais ces solutions sont temporaires et insuffisantes pour répondre aux défis structurels posés par la sécheresse prolongée.
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Quant aux alternatives à la culture céréalière, elles sont limitées. « Aucune culture ne peut se faire sans eau, surtout en temps de sécheresse », insiste l’ingénieur. Des initiatives d’irrigation de complément avaient été lancées par les autorités, mais les coûts élevés et les contraintes techniques ont freiné leur adoption par les petits agriculteurs, qui représentent environ 80% des exploitants de terres de moins de cinq hectares.
Un avenir incertain pour les terres bour
La crise actuelle met en lumière la nécessité urgente de repenser les modèles agricoles dans les régions bour. Entre dépendance aux pluies, coûts croissants et manque de soutien structurel, les agriculteurs marocains font face à un défi existentiel. Comme le souligne Abdelmoumen Guennouni, « les agriculteurs, malgré leur fatalisme, continuent chaque année à se mobiliser avec espoir. Mais sans une stratégie nationale adaptée, ces efforts risquent de rester vains ».
Des politiques plus inclusives, combinant innovation, financement et soutien technique, sont indispensables pour préserver l’agriculture pluviale, garante de la sécurité alimentaire et du tissu social en milieu rural.