Gouvernance

Faut-il réformer la BAD ?

Créée en 1963 pour soutenir le développement africain, la Banque Africaine de Développement (BAD) incarne un rêve panafricain. Pourtant, des rivalités internes, notamment entre francophones et anglophones, fragilisent son fonctionnement. Rappelons que Nkrumah, dans sa thèse sur l’unité économique africaine, voyait en la BAD un instrument non seulement financier, mais aussi intellectuel. À l’aube d’un renouvellement de gouvernance, n’est-il pas temps de questionner la doctrine de développement de cette institution ?

Créée en 1963, la Banque Africaine de Développement (BAD) incarnait à l’origine un rêve panafricain ambitieux : celui de soutenir la souveraineté économique du continent tout en renforçant l’unité africaine. Portée par des figures visionnaires comme Kwame Nkrumah, cette institution, dans son essence, ne devait pas être qu’un simple prêteur d’argent. Elle se voulait un acteur intellectuel, un laboratoire d’idées pour modeler les prémisses d’une Afrique qui a les moyens de faire sa transformation.

Six décennies plus tard, malgré des avancées notables dans le financement des infrastructures et l’amélioration des conditions sociales dans plusieurs pays, la BAD est souvent le terrain où s’affrontent deux lectures du monde.

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En effet, les tensions entre États anglophones et francophones, alimentées par des enjeux de leadership et d’influence, fragmentent une gouvernance qui se doit pourtant d’être fédératrice. Les divergences, parfois liées à des visions économiques opposées ou à des enjeux historiques, pèsent sur l’institution.

« À l’aube d’un renouvellement de sa gouvernance, la BAD doit repenser son rôle pour rester pertinente dans une Afrique où les attentes des populations évoluent. Cela implique une transformation à la fois structurelle et idéologique », nous confie l’économiste Samuel Mathey.

Francophones et anglophones : deux mondes distants…

C’est au lendemain des indépendances que les pères fondateurs, désireux de construire une Afrique forte à l’image des blocs économiques et politiques mondiaux, décident de doter le continent d’un instrument financier panafricain solide, dont la mission serait d’accompagner le développement de l’Afrique.

Pour la petite histoire, l’idée aurait germé en 1958 dans un village du nord-est du Liberia, lors d’une réunion entre trois figures emblématiques des indépendances africaines : William Tubman, Kwame Nkrumah et Ahmed Sékou Touré, respectivement premiers présidents du Liberia, du Ghana et de la Guinée.

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Le projet est officiellement lancé en 1961 lors de la conférence de Monrovia, en même temps que celui de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), l’ancêtre de l’actuelle Union Africaine. Ce n’est cependant qu’en 1963 que le projet prend véritablement forme avec la signature de l’accord constitutif de la Banque Africaine de Développement (BAD), qui regroupe alors 23 États africains.

Des décennies plus tard, la BAD s’est considérablement élargie, comptant aujourd’hui 81 pays membres, dont 27 États non africains. Si le rêve semble devenu réalité, la grande institution panafricaine reste aujourd’hui le théâtre de rivalités souterraines qui entravent parfois son fonctionnement.

On se souvient tous du bras de fer, il y a quelques années, entre certains administrateurs indépendants et le président sortant Akinwumi Adesina. Comme un État dans l’État, les arcanes de la BAD sont souvent le lieu de dissensions internes, exacerbées par les lignes de division entre francophones et anglophones.

Bien que le principe de l’alternance entre présidents anglophones et francophones soit en place, l’institution n’est pas à l’abri des luttes de pouvoir sous-jacentes. Derrière cette dualité se cachent des visions divergentes du développement de l’Afrique. Chaque camp, fort de ses alliances historiques et politiques, tente d’imposer son approche du développement, parfois au détriment d’une vision unifiée et panafricaine.

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Cette fracture semble perpétuer des divisions héritées de la colonisation, remettant en question l’objectif premier de la BAD : être une institution pour toute l’Afrique, sans distinction.

Il faut d’ailleurs rappeler qu’au moment de la création de cet outil, il était question d’un ancrage dans une dynamique d’ensemble faisant fi des démarcations pour réaliser le projet de l’Afrique des possibles.

Nkrumah, dans sa thèse sur l’unité économique africaine, voyait en la BAD un instrument non seulement financier, mais aussi intellectuel, permettant de fédérer les forces vives du continent pour atteindre des objectifs de développement intégrés.

Aujourd’hui, 60 ans après la création de la BAD, n’est-il pas temps d’interroger la doctrine de développement qui guide cette institution ? La BAD a-t-elle réellement réussi à accomplir sa mission ?

Peut-être est-il temps d’élaborer une nouvelle feuille de route pour les 60 prochaines années, en faisant émerger une banque sous l’impulsion d’une doctrine économique continentale.

« Il y a 12 ans, lorsqu’il a lancé Hub Africa, on le surnommait « le Toubab francophone ». Aujourd’hui, il est pleinement perçu comme africain. Cette évolution montre qu’une légitimité interculturelle est essentielle pour réussir des projets d’envergure.

La BAD doit intégrer cette dimension dans sa gouvernance et ses programmes pour rapprocher les communautés et renforcer leur collaboration. Briser les préjugés linguistiques pour valoriser les talents africains.

Un autre obstacle à surmonter est la perception réductrice des talents basée sur la langue. Brisons cette contre-vérité : « Si l’on parle trois langues, on est trilingue ; deux langues, bilingue ; et une seule, soit anglophone, soit analphabète. »

Cette vision simpliste ne reflète pas la richesse des compétences sur le continent. Les francophones, tout comme les autres, possèdent des atouts intellectuels remarquables. Cette diversité linguistique et culturelle doit être vue comme une force, non comme une faiblesse, et devenir un élément clé du positionnement de la BAD », nous confie Zakaria Fahim, CEO de BDO.

Un nouveau président en 2025

En mai 2025, la Banque Africaine de Développement (BAD) aura un nouveau Président.

Aujourd’hui, le caractère hautement stratégique de la BAD suscite de nombreuses convoitises, chaque État membre cherchant à placer ses pions. L’élection qui approche voit donc émerger de nombreuses candidatures, poussées par des intérêts et des parcours variés.

Celui ou celle qui remplacera le Nigérian Akinwumi Adesina décidera ainsi de projets déterminants pour l’avenir de l’Afrique.

Après l’annonce, à la mi-mars, de la candidature du Tchadien Abbas Mahamat Tolli, ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), soutenu par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), ainsi que par l’Angola et la RDC, d’autres personnalités africaines se sont annoncées.

Dans les couloirs des différentes officines africaines, ces noms sont sur toutes les lèvres : Rabah Arezki, ancien chef économiste de la BAD ; Bajabulile Swazi Tshabalala, première vice-présidente de la BAD ; Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie ; Mateus Magala, ancien vice-président chargé des ressources humaines et des services généraux de la BAD ; Hassatou Diop N’Sele, vice-présidente en charge des finances de la banque.

 
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