Femmes : Des acquis certes, mais beaucoup reste à faire
Elles représentent plus de la moitié de la population du Maroc, les femmes ne sont pas aussi bien loties que les hommes. Si le chemin est encore long à parcourir pour atteindre le seuil de parité, il n’en demeure pas moins que des progrès dans l’accession des femmes aux centres de décision et à certains métiers catalogués jadis exclusivement masculins sont en train d’être réalisés, notamment en ce qui concerne la gouvernance.
Vendredi 8 mars, journée internationale de la femme. Une occasion pour faire le bilan des avancées en matière de droits pour les représentantes du sexe féminin, qui constituent plus de la moitié de la population du Royaume. Ce sont toutes ces femmes que « Challenge » a voulu célébrer, à travers ce riche panel de femmes chefs d’entreprise ou occupant des fonctions de responsabilité dans le privé.
Un constat clair : la situation de la femme marocaine a connu ces dix dernières années un saut formidable dans tous les domaines, et les indicateurs sont là (voir infographies). Néanmoins, des attentes restent pressantes. Par exemple, si l’égalité des sexes est une réalité juridique, elle ne l’est pas encore sur certains plans. Ainsi, annoncée par S.M. le Roi Mohammed VI lors du discours du Trône en juillet 2022, sur la réforme de la Moudawana, le Code de la famille au Maroc, suscite des espoirs. Une commission réunie par le Roi auditionne ainsi depuis septembre, des spécialistes et des membres de la société civile et devrait rendre ses premières recommandations fin mars.
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Ce texte, qui fixe le droit de la famille dans le Royaume et délimite notamment le cadre du mariage, de l’héritage et du divorce, a été largement révisé et libéralisé en 2004, puis renforcé en 2011, lorsque la nouvelle Constitution a consacré l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais certaines de ses dispositions, qui visent à protéger les droits des femmes et des enfants, restent encore peu appliquées. Beaucoup reste à faire. Le ministère de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille a présenté devant la Commission des secteurs sociaux en convient dans le Rapport sur le Budget axé sur les Résultats tenant compte de l’aspect Genre » qu’il a présenté lors du débat sur le Projet de Loi de finances 2024. «L’objectif d’égalité des sexes est encore contrarié par les difficultés reliées principalement à l’enseignement (fondamental, secondaire), surtout pour les filles rurales, et au chômage féminin qui reste structurellement plus élevé que le chômage masculin », peut-on lire dans l’édition 2024 de ce rapport qui s’inscrit dans un contexte marqué par la succession de crises multidimensionnelles -sanitaire, géopolitique et climatique-, mettant à l’épreuve la résilience des économies mondiales. «Ces crises risquent d’exacerber les inégalités entre les hommes et les femmes partout dans le monde, y compris au Maroc. Ce contexte interpelle la consolidation de l’intégration systématique, effective et concrète de la dimension genre dans les politiques publiques qui constitue la condition sine qua non pour arpenter la voie de l’effectivité de l’égalité entre les femmes et les hommes», prévient le rapport.
Il faut dire, que la femme doit encore lutter pour s’affirmer et faire valoir la plénitude de ses droits dans la société. Les débats passionnés sur la question en sont des illustrations parfaites.
Quoi qu’il en soit, le chemin est encore long à parcourir pour atteindre le seuil de parité. Alors que le taux de féminisation de l’emploi dans le secteur public et semi-public n’est que de 24,2 % en 2022, celui-ci ne dépasse même pas les 21% dans le privé, selon les chiffres du Haut-commissariat au Plan (HCP). A en croire également le rapport annuel 2021-2022 de l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME) qui offre un aperçu de la situation démographique, économique et financière des entreprises au Maroc, seulement 16,2% des entreprises (personnes physiques actives, personnes morales actives et auto-entrepreneurs) sont dirigées par des Femmes.
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Dans le détail, 14,6 % des entreprises «personnes morales actives» sont dirigées par des femmes, 16,3 % des entreprises «personnes physiques actives» appartiennent à des femmes, et 25,5 % des auto-entrepreneurs actifs sont des femmes, selon l’OMTPME qui relève que les régions de Marrakech-Safi et Rabat-Salé-Kénitra ont les taux les plus élevés d’entrepreneuriat féminin.
A noter, que la base de données utilisée pour cette étude regroupe 567.041 entreprises (personnes morales et personnes physiques actives), en plus de 49.160 auto-entrepreneurs actifs.
Mais si sur le terrain, les femmes marocaines se battent encore contre les clivages sociaux et financiers, il n’en demeure pas moins que des progrès dans l’accession des femmes aux centres de décision et à certains métiers catalogués jadis exclusivement masculins sont en train d’être réalisés, notamment en ce qui concerne la gouvernance.
En effet, le 31 juillet 2021, le Parlement marocain a adopté une réforme qui, sans faire grand bruit, constitue un tournant majeur en faveur de l’égalité hommes-femmes dans le Royaume. L’amendement à la loi régissant les sociétés anonymes (loi n° 19.20 modifiant et complétant la loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes cotées) promeut le principe d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de gouvernance des entreprises. Elle fixe des quotas obligatoires pour garantir la mixité dans les conseils d’administration des sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne, avec un objectif minimum de 30 % de représentation féminine à horizon 2024, et de 40 % à horizon 2027. Ainsi, dès le 1er janvier de cette année, la composition des comités constitués au sein du Conseil d’administration, notamment ceux prévus par la loi (Comité d’audit, Comité des investissements, Comité des traitements et rémunérations…) devait aussi comporter au moins un représentant de chaque sexe.
Jusque-là, les chiffres restent inférieurs par rapport au minimum de 30% prévu par la loi et qui sont en vigueur à partir de janvier 2024. Car, par exemple, sur un total de 659 mandats, seuls 178 mandats sont détenus par des femmes, soit une part de femmes administratrices de 22%. Autres ratios révélateurs : seuls 8% des sièges de présidences de Conseil d’administration sont occupés par des femmes et 50 mandats d’administrateurs indépendants sont aussi détenus par des femmes, représentant un taux de 36% du total des mandats indépendants au sens de la loi sur les SA.
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Pourtant, en moyenne, les Marocaines obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les hommes. En 2022, 55 % des diplômés du secondaire étaient des femmes et la proportion de Marocains de 15 ans et plus ayant fait des études supérieures était beaucoup plus élevée chez les femmes (26 %) que chez les hommes (14 %). En outre, 60 % des diplômés en gestion et 50 % en sciences et technologies sont des femmes. Cette inadéquation entre l’éducation et le marché du travail reflète des inégalités tant en termes de réalisations professionnelles que d’accès aux opportunités.
Des facteurs sociaux, économiques et culturels expliquent ce décalage, qui engendre d’autres formes d’iniquités (salaires, autonomie, exposition aux risques, représentation politique, etc.). En 2021, le Royaume a été classé 148ème sur 156 pays dans le Rapport mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes du Forum Économique Mondial pour la participation et les opportunités économiques. Les inégalités entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’emploi et aux postes de direction créent un déficit de main-d’œuvre et de compétences au Maroc, et freinent le développement économique et humain du pays.
Dans ce contexte, la réforme ambitieuse mise en œuvre par le Maroc témoigne de sa volonté ferme de promouvoir une plus grande participation des femmes dans les instances dirigeantes. Ce changement d’état d’esprit s’est récemment reflété dans les élections de 2021, à l’issue desquelles trois mairies de premier plan ont été remportées par des femmes (actuellement deux après la démission de la maire de Rabat), une première dans l’histoire du Royaume. En outre, six femmes ont été nommées à des postes clés au sein du nouveau gouvernement, parmi lesquelles Nadia Fettah Alaoui, première femme marocaine ministre des Finances.
Le gouvernement s’est engagé à adopter une politique globale, qui prend en considération l’augmentation du taux d’activité des femmes à plus de 30% à l’horizon 2026, au lieu de 20% actuellement. Encore faudrait-il davantage de concret.