Fiscalité: Le «droit à l’erreur» institué
Mis en place par la loi de finances de l’année 2024 (LF-2024), le «droit à l’erreur» est passé presque inaperçu. Pourtant, c’est là un principe fondamental qui chamboule toute la philosophie du droit fiscal.
Le «droit à l’erreur», principe institué par la LF-2024, doit permettre aux contribuables de rectifier spontanément leurs déclarations fiscales. L’erreur est humaine. Même si, en principe, les nouvelles technologies et le traitement numérique des informations comptables et fiscales peuvent réduire au maximum ce risque d’erreur involontaire et de bonne foi. En fait, ce «droit à l’erreur» existait déjà dans la pratique et dans la doctrine administrative. Surtout lorsque l’erreur est purement matérielle. Un chiffre de trop ou de moins, et toute la déclaration fiscale peut se retrouver dans la «zone grise», ciblée en priorité par le contrôle fiscal (CF).
Lire aussi | Taxe carbone, réforme de l’IR, métaux précieux… les nouveautés fiscales du PLF 2025
Ce «droit à l’erreur» a donc été formalisé et intégré dans le Code Général des Impôts (CGI), ce qui permet de renforcer la «sécurité fiscale» et de rendre les rapports entre les contribuables et l’administration fiscale (AF), plus flexibles, plus transparents et plus humains. C’est un nouveau pas dans la déclinaison effective de l’esprit et de la lettre du système fiscal déclaratif, c’est-à-dire l’adhésion volontaire à la conformité fiscale. Cela signifie aussi que l’impôt est perçu comme l’un des premiers devoirs consacrant la citoyenneté active et effective, et comme la source principale de financement du «vivre ensemble». Ainsi, le «droit à l’erreur» est avant tout favorable au contribuable qui n’est plus perçu par l’AF à travers une «vision systématiquement suspicieuse» où prévaut une «présomption de la culpabilité», découlant d’une «vision hobbessienne» où l’être humain serait mauvais de nature, et donc potentiellement fraudeur. A l’instar du droit pénal, l’individu-contribuable bénéficie de la présomption d’innocence, et c’est à l’AF, à travers l’exercice du droit de contrôle, de prouver le contraire.
Le «droit à l’erreur», mis en place par la LF-2024, vise à permettre au contribuable de régulariser, à son initiative et de manière spontanée, sa situation fiscale, et de bénéficier d’une application plus qu’allégée des sanctions. Ainsi, un nouveau dispositif a été mis en place permettant au contribuable de demander à l’AF de lui communiquer un état des irrégularités constatées dans ses déclarations, et de souscrire une déclaration rectificative, tout en payant spontanément les droits complémentaires dus. Cette démarche ne peut être que bénéfique aussi bien au contribuable qu’à l’AF. Le premier évite des sanctions financièrement pénalisantes. La seconde accroit ses recettes fiscales et concentre ses efforts en matière de contrôle fiscal sur le segment des contribuables qui présentent le plus de risque en matière de fraude. En effet, ce nouveau dispositif permet au contribuable de bénéficier de la non application des majorations et pénalités (15% ou 20%, voire 100%, en cas de mauvaise foi établie).
Lire aussi | Loi de finances. Le visage fiscal de l’«Etat social»
Néanmoins, les majorations de retard de paiement de l’impôt de 5% pour le premier mois et de 0,5%, pour chacun des mois suivants, demeurent applicables. Par ailleurs, la souscription de la déclaration rectificative ne dispense pas du CF. Ladite déclaration fiscale rectificative doit être souscrite dans un délai de 60 jours, à compter de la date de réception de l’état des irrégularités et doit être accompagnée par une note explicative établie soit par une personne habilitée à exercer les fonctions de commissaire aux comptes, lorsque le chiffre d’affaires (CA) hors TVA, réalisé au titre du dernier exercice clos est égal ou supérieur à 50 MDH, soit par un expert-comptable ou un comptable agréé, autre que celui chargé de la tenue de la comptabilité du contribuable concerné, lorsque le CA hors TVA, réalisé au titre du dernier exercice clos est inférieur à 50 MDH. La note explicative doit comporter : les irrégularités relevées, selon le cas, par le commissaire aux comptes, l’expert-comptable ou le comptable agréé ; et les rectifications opérées par le contribuable, pour tous les postes et les opérations concernées, ainsi que les motifs détaillés justifiant la non rectification totale ou partielle des irrégularités communiquées par l’AF.
A noter cependant, que les déclarations ayant déjà fait l’objet de procédures de rectification des impositions, sont exclues de ce nouveau dispositif. En cas de souscription tardive des déclarations rectificatives (au-delà du délai de 60 jours, à compter de la date de réception de l’état des irrégularités), les majorations et pénalités sont intégralement applicables. In fine, le nouveau dispositif devrait surtout contribuer à améliorer la qualité du contenu des déclarations fiscales souscrites et donc restaurer la confiance entre le contribuable et l’AF.
Conformité fiscale volontaire : un axe stratégique de la DGI
Dans le dernier rapport d’activités de la Direction générale des impôts (DGI), de l’année 2023, une partie a été spécifiquement réservée à la «promotion de la conformité volontaire». C’est un axe prioritaire et stratégique de renforcement de la discipline fiscale, considéré comme «pilier du système fiscal» et dont la promotion repose sur l’instauration d’une culture du civisme fiscal favorable au consentement à l’impôt. Ainsi, la DGI semble privilégier le «dialogue fiscal», tout en étant engagée à travers une multiplicité d’actions, aussi bien en matière d’éducation et de sensibilisation fiscale qu’en matière de digitalisation pour faciliter les démarches administratives et fiscales, tout en modernisant ses prestations de services.
Lire aussi | Vers une réduction fiscale pour les salariés marocains ?
Concrètement, cette promotion de la conformité volontaire, loin d’être une simple déclaration de bonnes intentions, s’effectue, notamment à travers la constante publication du Code général des impôts dûment actualisé, des notes circulaires, des contributions à des revues spécialisées, des capsules et reportages et des guides fiscaux. La DGI a aussi recours aux réseaux sociaux, à la presse, à l’audiovisuel et au portail internet, sans oublier la vulgarisation de l’impôt auprès de la jeune génération, notamment dans les écoles primaires. Ceci grâce au staff féminin de haut niveau chargé de la communication dont dispose la DGI. L’adhésion aux télé-services de la DGI a aussi connu une hausse de 16%, en 2023, par rapport à 2022, pour atteindre 2 183 250. Pour la même année 2023, presque 23 millions d’opérations dématérialisées ont été enregistrées. Les télé-déclarations, télépaiements, et la récupération en ligne des attestations, concentrent près de 87% des opérations dématérialisées. En fait, depuis longtemps, la DGI a été perçue, à juste titre, comme étant à l’avant-garde dans la digitalisation des services publics.
«Droit à l’erreur» : nouveau dispositif mis en place par la LF-2024
Article 221 bis. du Code général des impôts – Procédures de dépôt de la déclaration rectificative(…)
IV. – A- Les contribuables soumis à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon le régime du résultat net réel ou celui du résultat net simplifié, peuvent rectifier spontanément les irrégularités de leurs déclarations fiscales, en souscrivant des déclarations rectificatives, par procédé électronique, selon un modèle établi par l’administration, au titre des exercices non prescrits et en procédant, le cas échéant, au paiement spontané des droits complémentaires dus. A cet effet, avant de souscrire les déclarations rectificatives, lesdits contribuables doivent demander, par procédé électronique, à l’administration fiscale de leur communiquer l’état des irrégularités éventuellement constatées dans leurs déclarations des exercices non prescrits. Cet état est communiqué au contribuable concerné, par voie électronique, dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de réception de sa demande. Les déclarations rectificatives doivent être souscrites dans un délai de soixante (60) jours, à compter de la date de réception de l’état des irrégularités précité. Cette déclaration doit être accompagnée d’une note explicative établie par :
– une personne habilitée à exercer les fonctions de commissaire aux comptes, lorsque le chiffre d’affaires réalisé au titre du dernier exercice clos est égal ou supérieur à cinquante millions (50.000.000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée ;
– un expert-comptable ou un comptable agréé autre que celui chargé de la tenue de la comptabilité du contribuable concerné, lorsque le chiffre d’affaires réalisé au titre du dernier exercice clos est inférieur à cinquante millions (50 000 000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée. La note explicative précitée doit être établie selon un modèle établi par l’administration comportant : – les irrégularités relevées, selon le cas, par le commissaire aux comptes, l’expert-comptable ou le comptable agréé précité ;
B- Ne peuvent faire l’objet de la déclaration rectificative prévue au A du présent article, les déclarations ayant fait l’objet de l’une des procédures de rectification des impositions prévues par les articles 220 et 221 ci-dessus.
V. – La majoration prévue à l’article 184 ci-dessus ainsi que la pénalité prévue à l’article 208 ci-dessus ne sont pas applicables dans les cas où le contribuable procède au dépôt de la déclaration rectificative prévue aux paragraphes I, II, III et IV ci-dessus.