Gaspillage alimentaire : 91 kilos jetés par personne par an, le gâchis devenu business
Ces dernières années, des initiatives ont été lancées par des startups et associations pour lutter contre le gaspillage alimentaire des ménages et entreprises au Maroc. Un phénomène qui prend de l’ampleur, notamment durant le mois sacré de Ramadan.
Le saviez-vous ? Chaque Marocain jette annuellement 91 kilos d’aliments à la poubelle. Un chiffre de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui démontre l’ampleur du gaspillage alimentaire sous nos tropiques. Un fléau qui prend des proportions alarmantes durant le mois de Ramadan. D’après le Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM), pas moins de 84,8% des foyers marocains jettent de la nourriture préparée et 45,1% des familles marocaines mettent à la poubelle l’équivalent de 6 à 51 dollars, soit 60 à 500 DH. Une situation inédite dans une période où le gâchis est fortement prohibé et le partage vivement recommandé. Et pourtant, ce ne sont pas les prêches et les campagnes de sensibilisation qui manquent pour inciter les consommateurs à revoir leurs comportements.
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La Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC) a initié des actions dans ce sens à la veille du Ramadan, pour alerter sur les dangers de cette consommation excessive. L’année dernière, la Société de développement locale (SDL) Casa Baia organisait des journées de sensibilisation chaque jeudi du mois sacré, pour inviter les Casablancais à bannir cette pratique qui génère plusieurs déchets, à travers le concept «Ramadan Moubarak Nadif» (Bon Ramadan sans déchets).
Transformer un problème en solution
Mais ce ne sont pas que les ménages qui excellent dans le gaspillage alimentaire. Plusieurs entreprises agroalimentaires, grandes surfaces, épiceries, hôtels, restaurants, etc. en sont aussi responsables. Pour lutter contre ce phénomène, un jeune entrepreneur marocain, Yassine Bentaleb, propose une solution : Foodeals. Le déclic est venu il y a de cela quelques années, quand il fut consultant en marketing et évènementiel. « J’avais constaté que de grandes quantités de nourriture étaient jetées à la poubelle à la fin d’évènements ou cérémonies. Une situation déplorable devenue courante », nous confie-t-il. Après le constat, place à l’action. En 2021, Bentaleb décide de lancer sa startup technologique pour lutter contre ce gaspillage avec, à la clé, un business model innovant. Les entreprises, via des abonnements annuels, postent sur l’application leurs excédents alimentaires ou les produits dont la date limite de consommation est proche, qui pourront être achetés à des prix réduits par des clients qui peuvent les consommer ou les remettre à des associations.
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L’application prélève une commission sur chaque transaction. Les entreprises pourront aussi y effectuer des dons à des associations.« Foodeals est une plateforme web et mobile qui connecte les industriels, la grande distribution, les distributeurs, les cafés, les hôtels, les restaurants, traiteurs, pâtisseries, etc, et les consommateurs, afin de réduire le gaspillage alimentaire et transformer le manque à gagner en opportunité. Outre l’aspect économique, notre startup engagée agit sur le social et l’environnemental », explique notre interlocuteur. La jeune pousse innove et a récemment lancé une application qui détecte les produits dont la date de péremption est très proche. Un projet pilote déployé dans un nouveau distributeur à Fès.
«Nous avons mis en place un service dédié à la traçabilité dans la distribution des produits octroyés par les consommateurs et entreprises pour assurer une meilleure transparence du circuit», indique Betaleb, non sans préciser qu’à travers ces dons, ces sociétés font du marketing et du RSE à moindre coût. Et, visiblement, cette économie circulaire porte ses fruits. Foodeals revendique aujourd’hui 3500 repas vendus, grâce à un réseau d’une trentaine d’entreprises partenaires à Fès, 1500 clients sur l’application avec un taux de rétention de 25 à 30%. L’application qui totalise 7000 téléchargements. Outre la ville spirituelle, la startup prévoit de s’implanter bientôt à Casablanca et à Rabat pour poursuivre son développement, et prévoit d’ouvrir des épiceries pour écouler ou remettre les denrées reçues aux associations partenaires. Elle a également signé des pré-contrats à Conakry en Guinée, pour y déployer ses solutions. «Nous sommes en train de rechercher des fonds d’investissement qui pourraient nous épauler et nous permettre d’accélérer notre croissance», révèle Bentaleb.
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Dans ce champ de lutte contre le gaspillage alimentaire au Maroc, laboure aussi l’association Bii Maroc, depuis 2020. A travers sa plateforme digitale, elle connecte les distributeurs de nourriture à des clients particuliers ou à des associations qui en ont besoin, à travers son réseau de volontaires ou via des livreurs. Un mode opératoire qui lui a permis de préserver pas moins de 12,7 tonnes de nourriture, distribuer plus de 50.600 repas et économiser 621.000 dirhams de nourriture qui aurait été gaspillée, d’après sa fondatrice Patricia Vega Del Rio, de nationalité chilienne. Bien, mais ménages et entreprises peuvent mieux faire.