Tourisme

Hajj et Omra. Un business en pleine mutation

Le hajj est un marché compliqué. Il est économique par ses perspectives de recettes : jusqu’à 25% de chiffres pour les agences de voyages. Du coup, aucun voyagiste ne peut l’ignorer. Et aucun voyagiste ne l’ignore! Ce sont 165 agences qui se disputent le magot pour cette année. Parallèlement, la Omra aiguise de plus en plus l’appétit des agences de voyages surtout avec une demande de plus en plus forte. Si les deux opérations sont devenues tout un business qui a ses règles et ses codes, le modèle marocain d’organisation du Hajj et de la Omra est en train d’évoluer. 

Fin des restrictions, extension des visas touristiques, autorisation des pèlerinages sans mahram pour les musulmanes… Après la pandémie, l’Arabie Saoudite mise sur cette année pour relancer le Hajj et la Omra, qui restent pour elle une manne financière. Depuis, c’est une nouvelle qui fait le bonheur des fidèles du monde entier, dont des Marocains, mais aussi des voyagistes, pour lesquels ce circuit représente une importante partie du chiffre d’affaires. En cette période de mois sacré de Ramadan, après les sévères restrictions de voyage en raison de la pandémie, le nombre de Marocains désireux d’accomplir la Omra a dépassé les prévisions des agences de voyages. « Nous avons remarqué une forte demande cette année. C’est normal, puisqu’après deux années de covid et d’enfermement chez soi, les gens n’ont plus envie de rester à la maison, mais plutôt voyager. En cette période, ils se dirigent notamment vers la Omra », confirme Khalid Benazzouz, Président de l’Association régionale des agences de voyages de Casablanca-Settat. 

La Omra est une «Sunna» confirmée pour ceux qui en sont capables. Ce rituel peut être effectué tout au long de l’année, mais une Omra accomplie pendant le Ramadan a la même valeur qu’un Hajj sans le remplacer. Pour les jeunes et les moins jeunes, le rituel de la Omra pendant le Ramadan est une expérience spirituelle unique, surtout après la levée de toutes les restrictions imposées précédemment par les autorités saoudiennes à cause de la pandémie de Covid-19. Problème : les fidèles marocains se heurtent actuellement à une rareté de l’offre, accompagnée d’une flambée des prix aussi bien des vols que de l’hébergement.  Les agences de voyages expliquent cette envolée des prix, entre autres, par la forte demande qui marque cette saison et l’engouement des Marocains pour ce voyage spirituel.  Une situation qui a coïncidé avec une offre du transport aérien moins importante par rapport à la même période durant les années précédentes. Pour rappel, jusqu’avant la pandémie, bon an mal, la Omra drainait plus de 100.000 pèlerins marocains par an, dont près de 60% uniquement pour le mois de Ramadan.

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Face à cette situation où la demande excède l’offre, les voyagistes espèrent que les compagnies aériennes procèdent à une augmentation de leur capacité en sièges afin de pouvoir satisfaire l’ensemble des clients.  Pour l’heure, Royal Air Maroc (RAM) semble s’inscrire dans ce sens. En effet, pour l’opération Omra du Ramadan, qui s’étend du 18 mars au 4 mai, la compagnie aérienne nationale a prévu 28.000 sièges sur des vols opérés par ses avions ainsi que par un appareil gros porteur affrété d’une capacité de 436 sièges. Ces vols directs sont programmés au départ de Casablanca, Rabat, Tanger, Oujda, Fès, Marrakech et Agadir à destination de Jeddah et Médine. « Il est vrai que la RAM a fait un effort. Nous le reconnaissons et nous la remercions pour tous les efforts fournis. Mais cela est loin de régler le problème. En fait, quand la RAM parle d’injecter 28 000 sièges, cela tient compte des vols réguliers. Alors si nous multiplions les 275 sièges par 3 vols hebdomadaires, cela nous fait plus de 800 sièges. Etalé sur la durée, on va atteindre effectivement les 28000, mais cela reste insuffisant par rapport au nombre de la demande qu’il y a cette année pour la Omra, surtout durant ce mois de Ramadan », analyse Mohamed Semlali, Président de la Fédération Nationale des Agences de Voyages du Maroc (FNAVM), qui regrette également le fait que certaines compagnies ne font rien. « Par exemple, la compagnie Saudia Airlines, n’a injecté aucun vol. Ce qui fait que l’on s’est trouvé avec un manque de sièges et avec plus de demandes. Or, avant la pandémie, elle programmait facilement une quarantaine à une cinquantaine de vols surtout pour la Omra. Imaginez que cette fois il n’y en a aucun », fait-il constater. Aujourd’hui, Saudia Airlines ne propose que des vols d’affaires ou des vols touristiques et pas pour la Omra.

Il faut dire que d’autres compagnies comme Turkish Airlines, Emirates, Gulf Air ne desservent plus l’Arabie Saoudite à partir du Maroc. Du coup, l’offre de billets a été réduite. Cette insuffisance de l’offre de billets conjuguée aux tensions inflationnistes qui caractérisent l’actuelle conjoncture internationale, a fait exploser le coût du voyage. Le produit Al Omra est proposé plus cher en période de Ramadan. Les dépenses liées à ce rituel sont variables selon le niveau de confort souhaité et comprennent le billet d’avion, de l’hébergement et d’autres services. Rien que pour le transport aérien, les billets d’avions qui coûtaient avant la covid entre 6500 et 7500 DH sont à 15.000 DH durant cette période de Ramadan. Résultat des courses : globalement, cette année, à cause d’une offre aérienne insuffisante et d’un hébergement plus cher, une augmentation de plus de 30% est observée sur le coût de la Omra.  

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Ainsi, les prix des packages commencent à partir de 34500 DH/personne en économique à 46500 DH,  voire 65500 DH pour le package luxe qui peut aller jusqu’à 89900 DH. La marge se situe, en général, entre 10 et 25% du prix du package pour les agences de voyages. Quid alors du côté du Hajj 2023 (1444) ?
Il faut dire d’emblée que l’opération, qui durera du 2 juin au 22 juillet (phase aller du 2 juin au 22 juin et phase retour du 2 juillet au 22 juillet), aiguise l’appétit des agences de voyages. Si l’année dernière, les autorités saoudiennes avaient de nouveau ouvert le Hajj aux musulmans du monde entier, après deux années de pause due au Covid-19 avec tout de même à la clé un changement majeur, notamment la réduction de 30 à 50% des quotas des différents pays, cette année on retrouve au moins les volumes d’avant pandémie. Sur cette base, quelque 15.000 fidèles marocains ont pu accomplir le Hajj (selon le tirage au sort de 2019). Ils étaient 10.000 à avoir effectué le déplacement dans le cadre du circuit officiel géré par le ministère des Habous et des Affaires islamiques, et 5.000 par les agences de voyages. 

A noter que d’habitude, l’Arabie saoudite fixe les quotas en fonction de la population musulmane des pays, soit 0,1% de cette population. Et c’est sur cette base que les pays allouent des places à leurs ressortissants, par l’entremise d’une autorité gouvernementale ou d’agences privées. Du coup, ce sont 34.000 Marocains qui se rendront cette année en Arabie saoudite pour y accomplir le pèlerinage, dont un tiers environ sera encadré par les agences de voyages. Celles-ci, en plus de la Omra, misent gros sur ce levier pour rattraper le manque à gagner de ces trois dernières années sur le segment Hajj-Omra. Les frais de l’opération officielle du pèlerinage ont connu une légère baisse cette année. La Commission royale chargée du pèlerinage a fixé à 62.929 DH, argent de poche non inclus, les frais de l’opération. Selon des sources officielles, la baisse enregistrée dans les frais du pèlerinage, qui s’établit à 871 DH, est due à la forte hausse opérée l’année dernière. En effet, les frais de hajj 2022 avaient été augmentés de 17000 DH. Les pèlerins avaient ainsi déboursé 63 800 DH, contre 46 551 DH en 2021. Dans les détails, le montant des frais de l’opération officielle du pèlerinage inclut les frais d’hébergement et les repas à la Mecque et à Médine, le transport et les services supplémentaires à Arafat et Mina, le transport des bagages, les bus supplémentaires à l’intérieur des Lieux Saints, le prix du billet de voyage aller/retour, la redevance d’encadrement et les frais de vaccination, d’assurance-maladie et des services d’Al Barid Bank. 

Mais chez les voyagistes, les tarifs sont, en toute logique, plus élevés, notamment en fonction des produits et services proposés même si ceux-là diffèrent d’un voyagiste à un autre. «Ce n’est pas un hasard si les fidèles préfèrent payer le pack économique entre 75 000 et 80 000 DH chez les agences de voyages, plutôt que le produit du ministère des Affaires islamiques à 62 900 DH. Ce n’est pas une question de prix mais de qualité de service», justifie Mohamed Semlali. S’il faudra compter désormais au minimum un budget de 75000-80.000 DH pour le pack économique, les fidèles seront amenés à débourser au moins 85.000 DH pour l’offre touristique, contre plus de 100.000 DH pour les offres premiums qui peuvent atteindre la barre des 200.000 DH. Qu’est ce qui justifie de tels niveaux de prix ?

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Sur le terrain, si le ministère arrive à louer des hôtels en totalité de chambres pour le nombre de pèlerins qu’il encadre, les voyagistes, eux, doivent chercher des établissements hôteliers en fonction des offres dont ils disposent, tout en respectant les dispositions du cahier des charges définies par le ministère du Tourisme en catégorie d’hôtels. Ainsi, les hôtels proposés par les voyagistes doivent être classés au minimum à trois étoiles, et situés sur une distance de 1.000 mètres au maximum du parcours des rites. Mais, cette fois-ci, vu le manque d’hôtels trois étoiles, au vu de la levée des restrictions sanitaires et de la demande qui a explosé, partout dans le monde, la Fédération nationale des agences de voyages a demandé une dérogation au ministère du Tourisme, lequel a répondu favorablement, pour que la distance puisse aller jusqu’à 1.500 mètres. 

Autre facteur qui explique cette différence de prix : l’encadrement et l’assistance des pèlerins, que ce soit pour les rites, l’équipement des tentes, la nourriture… Selon Mohamed Semlali, chaque 50 fidèles sont encadrés par au moins deux personnes, en plus d’un Alem. Ce sont des coûts supplémentaires qui justifient cet écart. S’ajoute à cela, le nombre de personnes par chambre : les voyagistes ne proposent que des chambres doubles, triples ou quadruples ». Une chose est sûre, même si les voyagistes ne semblent pas être à l’aise pour aborder la question, le Hajj et la Omra sont bien la poule aux œufs d’or pour laquelle des agences se créent spécialement, et ferment juste après. La raison est claire : la majorité d’entre elles effectuent une bonne partie de leur chiffre d’affaires annuel grâce à cette opération. Par exemple, avec un prix moyen de 75.000 DH, une agence moyenne qui bénéficie de 50 places engrange une recette de 3,75 millions de DH. Selon certaines agences de voyages, la marge bénéficiaire se situerait entre 10 % et 20 % du chiffre d’affaires, soit plus d’un demi-million de DH. L’opération Hajj permet donc d’assurer la survie de nombre de petites agences, en couvrant l’essentiel de leurs charges annuelles. Pour les plus grandes agences qui ont diversifié leurs activités, le Hajj est tout simplement la cerise sur le gâteau.  Ce business juteux aiguise de plus en plus l’appétit des agences de voyages. Si dans les années 90, les agences de voyages qui proposaient le hajj-Omra n’était pas nombreuses à se partager le tiers du quota, au fil des années, leur nombre a explosé. Ainsi, regroupés au sein de la Fédération nationale des agences de voyages du Maroc, ces professionnels tiennent vaille que vaille à défendre leur part du gâteau. Tout comme le ministère des Habous dont le produit dégage une marge supérieure à celle des voyagistes, à en croire certains d’entre eux.

 
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