Haro sur l’indiscipline fiscale [Par Hassan El Ktini]
Cela fait quatre ans, depuis la LF 2022, que le décret fixant l’organisation et le fonctionnement de la Commission des infractions fiscales est attendu. C’est dire qu’il ne s’agit nullement d’une nouveauté de la LF 2024, comme le laissent entendre certains articles de presse, mais uniquement d’un dispositif réglementaire dont le rôle est de préciser le mode opératoire de cette commission. C’est enfin acté depuis la publication récente au Bulletin officiel du décret fixant les modalités du fonctionnement de la Commission des Infractions Fiscales. Par Hassan El Ktini, Docteur en droit public.
Trêve d’indulgence, on ne badine vraiment plus avec l’impôt. Le décret permettant la désignation des membres de la Commission des infractions fiscales (CIF) vient d’être publié. Sont ainsi rappelées à l’ordre les brebis galeuses du civisme, habituées à faire la sourde oreille au gardien du temple fiscal. Ce dernier vient donc à nouveau de leur rappeler, comme chaque fois que le besoin s’en est fait sentir, que l’impôt est une ligne rouge à ne pas franchir. Car les impôts n’ont pas été conçus pour que quiconque se sente permis de ne pas s’en acquitter, et parfois même, dans le cas de la TVA par exemple, à s’engraisser indûment et égoïstement au détriment de la collectivité. Les pouvoirs publics ont ainsi décidé de ne plus faire dans la dentelle et de sévir sans complaisance et sans gants de velours. Il s’agit en effet de combattre les dépravations et les pratiques malsaines en mettant fin au fléau de l’érosion du potentiel fiscal qui ne cesse de prendre, et la tendance est mondiale, des proportions inquiétantes, rendant les finances des Etats exsangues et très fragiles.
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Au Maroc, la politique de lutte contre la fraude fiscale ne date pas d’hier. Elle est même considérée depuis des décennies comme un enjeu de société majeur et la préoccupation centrale de l’autorité fiscale, mais aller jusqu’à pénaliser les infractions fiscales n’avait pas pour autant été envisagé à l’époque. Il est vrai que les pouvoirs publics ont toujours préféré faire prévaloir la démarche didactique et pédagogique, en vue d’intégrer la culture de l’impôt dans les mœurs des citoyens récalcitrants, sans toutefois durcir la répression. Mais les temps ont changé et la politique fiscale aussi. C’est donc la fin du gant de velours.
Ainsi, avec l’avènement de la Loi cadre portant réforme du système fiscal, le renforcement des dispositifs de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a pris une toute autre allure en s’imposant parmi ses objectifs prioritaires. Désormais l’opérationnalisation tant attendue de la Commission des infractions fiscales est en marche. Afin de cerner la mission purement juridico-fiscale de cette commission, il importe de procéder, dans un souci pédagogique à une lecture combinée de deux articles du Code général des impôts (CGI), à savoir les articles 192 et 231. En fait, c’est l’article 192 du CGI qui s’est chargé de donner le tempo à un dispositif juridique dissuasif en sonnant le glas d’une période de mansuétude vis-à-vis des incivilités d’un autre âge et aux voix malvenues qui dénigrent l’intérêt public, la cohésion sociale et la solidarité nationale, autant de valeurs qui ne font pas partie des vertus cardinales de ces indignes individus.
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Abordons ici la typologie des faits répréhensibles. Dans le cadre du renforcement des moyens de lutte contre la fraude fiscale et spécialement celle inhérente à l’usage des factures fictives, la Loi de finance de l’année 2021 traite ce fléau qui ne cesse de s’amplifier, en modifiant et en complétant les dispositions de l’article 192 du CGI relatif aux sanctions pénales réprimant les infractions suivantes : émission de factures fictives ; délivrance ou production de factures fictives ; production d’écritures comptables fausses ou fictives ; vente sans factures de manière répétitive ; soustraction ou destruction de pièces comptables légalement exigibles ; dissimulation de tout ou partie de l’actif de la société ou augmentation frauduleuse de son passif en vue d’organiser son insolvabilité. Les sanctions pénales sont aussi appliquées lorsqu’une personne permet à autrui de se soustraire à sa qualité de contribuable ou au paiement de l’impôt ou en vue d’obtenir des déductions ou remboursements indus. Ce qui nous amène à l’évocation des sanctions pénales.
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Ainsi, et sur le fondement de l’article 192 du CGI « toute personne qui, en vue de se soustraire à sa qualité de contribuable ou au paiement de l’impôt ou en vue d’obtenir des déductions ou remboursements indus ou de le permettre à autrui », utilise l’un des moyens susvisés, et indépendamment des sanctions fiscales édictées par le CGI, est punie d’une amende de cinq mille (5.000) dirhams à cinquante mille (50.000) dirhams. Le contrevenant est puni en outre d’une peine d’emprisonnement d’un (1) à trois (3) mois. Quant au mode opératoire, il est à la hauteur de tous les enjeux. Dorénavant, l’autorité fiscale est en droit, sur le fondement de l’article 231 du CGI, de présenter des plaintes tendant à l’application des sanctions pénales prévues à l’article 192 à l’encontre des personnes qui, selon elles, se seraient rendues coupables d’infractions fiscales.
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Néanmoins l’usage de ce droit ne peut se faire sans l’approbation préalable de la Commission des infractions fiscales (CIF). Cette dernière constitue à cet égard, une instance indépendante devant intervenir pour donner son avis sur la validité des plaintes que l’administration fiscale dépose auprès du procureur du Roi compétent à raison du lieu de l’infraction. Ainsi, par dérogation au droit commun de la procédure pénale, et en application de l’article 131 Code de procédure pénale, les infractions fiscales ne peuvent être poursuivies par l’autorité judiciaire que suite à un dépôt de plainte de l’administration fiscale. À ce titre, la CIF se prononce exclusivement sur l’opportunité des poursuites pénales envisagées par l’autorité fiscale. Il n’est en aucun cas demandé à cette commission de préciser les délits reprochés au contribuable. Son champ d’intervention se limite à donner son avis sur les faits qui lui sont soumis et en aucun cas sur les personnes désignées comme ayant concouru à leur réalisation.
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Concernant les membres qui composent la CIF, il y a lieu de signaler d’emblée, qu’en vertu de l’article 231, les membres de cette commission devront être désignés par arrêté du Chef du Gouvernement dans les jours à venir, mais que le décret définissant l’organisation et le fonctionnement de cette commission est déjà publié depuis le 29 janvier 2022. À la première lecture du décret, nous pouvons avancer qu’en vue d’assurer l’impartialité requise et faire de cette instance un rempart de sécurité juridique et de confiance entre les parties, la Commission des Infractions Fiscales (CIF) est dotée d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de passer au crible les différentes plaintes déposées par l’administration. Ce tamisage préliminaire lui confèrera, par la suite, la souveraine prérogative de valider les plaintes jugées pleinement recevables et d’invalider les autres. Par ailleurs, et dans la même perspective, le législateur a confié la présidence de la CIF à un magistrat et ce, afin d’assurer un arbitrage neutre et sans parti pris. À s’en tenir aux termes du décret précité, la CIF est composée, à parts égales, et en sus du magistrat président, de deux représentants de l’administration fiscale et de deux représentants des contribuables choisis sur des listes présentées par les organisations professionnelles les plus représentatives.