Héritage. Une et un font deux, pas trois !
Le Maroc s’apprête à réformer son code de la famille, qu’il souhaite plus progressiste, notamment envers les droits des femmes. Pour notre chroniqueur, ce progressisme doit englober jusqu’à la sensible question de l’égalité en héritage entre les hommes et les femmes.
Cela fait 5 ans qu’Aida n’a pas rendu visite à ses parents. Non pas parce qu’elle n’a pas les moyens de le faire, elle qui gagne bien sa vie à Dublin, mais parce qu’elle a décidé, en son âme et conscience, de couper les ponts avec ses géniteurs, comme elle les nomme aujourd’hui, peut-être avec excès. Un excès alimenté par une colère qu’elle traîne en elle depuis qu’une discussion familiale a viré à la confrontation. Depuis que ses parents lui ont dit qu’à leur décès, Aida allait bénéficier de la moitié de la part de son frère en matière d’héritage.
Lire aussi | Dr Saïd GUEMRA : «Le mieux qui puisse arriver aux Marocains c’est le retour définitif à GMT»
Pourtant, Aida a grandi dans une famille que l’on qualifie aujourd’hui de CSP++. Elle était bien loin d’imaginer que ses parents, qu’elle croyait jusqu’ici ouverts d’esprit, allaient la reléguer à un rôle de demi-enfant. Pour elle, c’était le choc. Elle s’est sentie aimée à moitié. Et ça, elle ne l’a pas supporté. Elle décida donc de ne plus voir ses parents. Des cas comme celui-ci, le Maroc en regorge.
Le Maroc s’apprête à réformer son code de la famille. Une nouvelle Moudawana qui suscite beaucoup d’attentes. Notamment chez les femmes, qui subissent encore des discriminations qui n’ont plus lieu d’être dans une société du XXIème siècle. Et l’égalité en héritage entre les femmes et les hommes en est le symbole le plus poignant. C’est malheureusement le point qui suscite le plus de clivage. Beaucoup d’opposants de l’égalité en héritage avancent l’argument ultime : le Coran.
« Dieu vous ordonne, en ce qui concerne vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles », voici ce que dit le texte sacré, dans la sourate An-Nisa, verset 11. À l’époque de la naissance de l’islam, cette disposition sonnait comme une révolution pour les femmes d’Arabie du septième siècle. Car jusqu’alors, elles ne percevaient aucun héritage. Elles étaient à peine considérées comme des êtres humains.
Mais cette disposition est-elle encore d’actualité aujourd’hui ? Certainement pas. Comme ne le sont d’ailleurs plus d’autres versets coraniques qu’au Maroc, pays où l’islam est religion d’État, nous n’appliquons pas. Les exemples ne manquent pas : « Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts », Sourate Al-Anfal (8:12), « Puis, quand les mois sacrés sont expirés, tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade », Sourate At-Tawbah (9:5),
Ces dispositions évidemment ne sont pas appliquées car au Maroc, nous estimons que ces textes ont été révélés dans un contexte historique particulier, ce qu’on appelle l’Ijtihad. Le même Ijtihad est fort heureusement appliqué aux versets appelant à la dilapidation des femmes adultères, à la section des mains des voleurs et à bien d’autres versets encore.
Lire aussi | Le bon, la brute et le truand : Une saga algérienne
Alors pourquoi n’appliquons-nous pas ce même effort d’interprétation en ce qui concerne les dispositions liées à l’héritage ? L’islam ne peut plus être utilisé comme un épouvantail. Le Maroc n’est pas l’Afghanistan des Talibans. Pour un pays qui aspire à entrer de plein pied dans la modernité, maintenir l’inégalité en héritage freinera à coup sûr son développement. À tous les niveaux.
C’est une question de justice et d’égalité fondamentales. Les hommes et les femmes devraient être traités de manière égale devant la loi, y compris en ce qui concerne la transmission des biens et des richesses. La constitution de 2011 a instauré l’égalité entre les genres et la primauté des traités internationaux par le Royaume sur les lois nationales. Le Maroc a ratifié plusieurs traités internationaux relatifs à l’éradication de toutes les discriminations envers les femmes. L’inégalité en héritage en est une.
C’est également une question de respect des droits de l’homme. L’égalité en héritage est conforme à ces principes qui stipulent que tous les individus, quel que soit leur sexe, devraient jouir des mêmes droits et opportunités. L’égalité des chances est un pilier de toute société aspirant à la modernité. Une répartition égale de l’héritage entre les hommes et les femmes offre des opportunités égales aux membres de la famille, favorisant ainsi l’égalité des chances et la justice sociale.
C’est aussi une question économique. L’égalité en héritage stimulera l’économie en permettant aux femmes d’avoir un accès équitable aux ressources économiques. Cela peut encourager l’investissement, la consommation et la croissance. En recevant une part égale d’héritage, les femmes acquièrent une plus grande autonomie financière, ce qui leur permettra de créer plus de richesses. Et comme on l’a vu au début de cette chronique, c’est aussi une affaire d’harmonie familiale. L’égalité en héritage peut contribuer à éviter des tensions, voire des déchirures au sein d’une famille. Cela réduirait les conflits inutiles et les ressentiments liés à la répartition inégale des droits de succession.
Lire aussi | Les taxis au Maroc : une intolérable toute-puissance
Hériter la même part que son frère ne doit pas être considéré comme un luxe pour les Marocaines. Il s’agit de leur droit. Il est temps de le respecter. Et œuvrons pour qu’Aida retrouve l’étreinte de ses parents. Le plus tôt sera le mieux.