Hôtellerie : Booking étouffera-t-il les opérateurs ?
La saison estivale approche à grands pas… Les opérateurs de l’hôtellerie feront-ils face aux chantages de Booking, notamment le poids des commissions en devises ?
L’émergence des technologies dans les différents secteurs a toujours été vue d’un bon œil. Sauf que ces dernières années, les innovations commencent à montrer un autre visage. On se rappelle en 2008, la révélation de Spotify qui scandait vouloir militer pour les musiciens et valoriser davantage leur art. Après une longue bataille avec les grosses compagnies détenant les droits d’auteur, notamment Sony Music et Universal, qui sentaient déjà les anomalies, Spotify s’est imposé dans l’industrie. L’enquête du Congrès américain sur ces pratiques et l’exploitation subtile du fruit du travail de milliers d’artistes dans le monde a été une claque pour les dirigeants de la multinationale.
Dans le secteur hôtelier depuis quelques années, c’est Booking qui fait la loi. Libérer les hôtels de la tutelle de Booking.com est-il une entrave à la liberté contractuelle ? C’est le titre d’une tribune du conseiller municipal Jean-Christophe Schwaab, dans laquelle ce dernier décrit et appelle à une action contre cette plateforme technologique. « Les hôteliers, notamment en Suisse, sont nombreux à être de facto forcés de faire appel aux services de Booking.com. Sinon, ils auraient grand mal à attirer de la clientèle, respectivement perdraient celle qui, par facilité, passe exclusivement par cette plateforme pour réserver ses vacances. Le choix est simple : si figurer sur Booking.com ne garantit pas le succès, ne pas y figurer vous condamne. Consciente de cet immense pouvoir, la plateforme exige des hôteliers qui font appel à ses services qu’ils lui réservent leurs tarifs les plus avantageux. Elle leur interdit donc de proposer d’autres rabais aux clients qui, par exemple, réserveraient leur chambre directement par le site internet de l’hôtel. Pieds et poings liés, ces hôtels ne sont plus maîtres de leurs prix. », décrit le conseiller municipal.
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Au Maroc, c’est le même constat. On se rappelle du courrier des opérateurs du secteur de l’hôtellerie au ministère de tutelle décriant le monopole de la plateforme Booking. « La plateforme Booking agit aujourd’hui au Maroc en toute illégalité et fait subir beaucoup de pertes économiques aux acteurs locaux », nous confie Amal Karioun. Le président de la Fédération nationale des agences de voyages du Maroc parle d’une pratique illégale qui étouffe les opérateurs nationaux. Rappelons que l’an dernier, la plateforme, dans un courrier massue, a exigé que les opérateurs du secteur paient leur commission en devises.
« J’avais effectivement alerté l’administration de tutelle sur le problème de Booking et sur l’ensemble des décisions qui devaient être prises à cette époque par le ministre Monsieur Sajid et rien n’a été fait, même pas une réponse. À valeur d’aujourd’hui, le problème de Booking se pose avec beaucoup plus d’acuité, non pas simplement pour les hôteliers parce que ça c’est une question, je dirais, commerciale, mais aussi parce qu’ils doivent payer en devise, ça c’est autre chose, c’est un problème qui est relié, disons, à l’office d’échange, à l’administration des impôts, etc. Donc est-ce qu’ils ont réussi à plus ou moins réorganiser le secteur ? En tout cas, le problème reste le même », nous confie Karioun.
Seul face à Goliath
Les hôteliers se retrouvent, toujours coincés, parce que c’est un choix, pour l’hôtel de travailler, soit avec Booking soit avec les opérateurs nationaux. Maintenant les hôteliers vont dénoncer la situation (ils l’ont déjà fait) mais continueront à travailler avec Booking en ce qui les concerne. Je pense qu’ils sont assez grands pour pouvoir le résoudre eux. Booking pose problème aux autres opérateurs tels que les agences de voyage, les opérateurs du tourisme au Maroc qui ne passent plus par rapport à leur clientèle avec les tarifs concédés à la plate-forme. Voilà donc, c’est une situation où le Maroc, l’administration que ce soit la tutelle que ce soit les impôts que ce soit l’office d’échange, n’ont pas encore pris de décision. Depuis nous sommes dans l’expectative.
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Rappelons qu’en Turquie, face aux pratiques de Booking, le gouvernement a pris une disposition spéciale interdisant formellement au groupe Booking de vendre des chambres d’hôtel turques aux citoyens en Turquie. En France, en 2015, les hôteliers font plier Booking sur le chantage contraignant les opérateurs de ne pas proposer leurs services sur d’autres plateformes de réservation. En 2012, l’Agence anti-monopole russe (FAS) a annoncé ce jeudi avoir condamné le site de réservation d’hébergements en ligne Booking.com à une amende record de 14,9 millions d’euros pour avoir « abusé de sa position dominante ». Cette décision a été prise à la suite d’une plainte déposée par une ONG russe spécialisée notamment dans la défense des droits des PME.