Société

Huile d’argan. Comment une multinationale française a dépossédé les coopératives féminines marocaines du marché

Tant à l’étranger qu’au Maroc, la réputation de l’huile est étroitement associée à l’image romantique des coopératives, où les femmes s’assoient sur des tapis et broient les noyaux d’arganier à la main à l’aide de moulins en pierre. Loin de ces clichés, c’est aujourd’hui une multinationale française, Olvea, qui détient près de 70 % du marché, tandis que les 621 coopératives du secteur se vident inexorablement, selon Reporterre, un média indépendant qui publie enquêtes et reportages sur l’écologie.

Produit traditionnel au Maroc, découvert en France et dans le reste du monde durant les années 1990 pour ses vertus curatrices et cosmétiques, l’huile d’argan fait, depuis, la bonne fortune des marques de cosmétiques européennes et étasuniennes. Bénéficiant de l’image « équitable » des coopératives féminines marocaines, l’huile d’argan est tout simplement devenue un business rentable au Maroc, souligne le média indépendant Reporterre, alertant que sa production est aujourd’hui phagocytée par Olvea, un industriel français qui détient près de 70 % du marché, tandis que les 621 coopératives du secteur se vident inexorablement.

Entre 2008 et 2013, les parts de marché du secteur coopératif et du secteur privé se sont inversées, selon Lucie Polline, autrice d’un mémoire de mission professionnelle, à SupAgro Montpellier, en 2018, cotée par Reporterre.  « Les coopératives de production d’huile ont maintenu leur volume d’huile de l’ordre de 240 tonnes, ce qui représentait 80 % des exportations en 2008, mais seulement 18 % en 2018 [les dernières données disponibles]. Le secteur privé est devenu dominant, principalement avec l’arrivée d’un acteur international, concomitante avec l’augmentation des volumes », détaille-elle. Cet acteur dominant, c’est Olvea, précise le media.

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La part de marché croissante des industriels, dont le groupe français, n’a longtemps posé que peu de difficultés dans un marché en croissance, mais, en 2015, la courbe s’est infléchie.

Depuis, les exportations plafonnent : 1 202 tonnes ont été exportées en 2021, selon l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier, contre 1 348 tonnes en 2019. Depuis, les volumes d’exportation se sont stabilisés : 1 202 tonnes ont été exportées en 2021, contre 1 348 tonnes en 2019, selon l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier. . Ont-ils atteint les limites de la forêt, près de 800 000 hectares entre Essaouira et Agadir, sur la côte atlantique du Maroc ?, se demande l’auteur du reportage dans la région d’Agadir. Selon ce dernier, surpâturage, cultures intensives au milieu de l’arganeraie, réduisent chaque jour un peu plus ses capacités. Et la sécheresse accrue qui accompagne le réchauffement climatique ne laisse aucun répit aux arbres. Elle prive également de pâturage les troupeaux de dromadaires qui circulent habituellement plus au sud. Leurs bergers les guident alors vers l’arganeraie, où ils font de terribles dégâts en arrachant les branches de leurs puissantes mâchoires.

La chaleur a aussi favorisé les cultures intensives de fruits et légumes. Les serres immenses et les champs clôturés percent de toute part l’arganeraie dans la région d’Agadir et abaissent le niveau des nappes phréatiques, poussant les arganiers à aller chercher l’eau toujours plus profondément, relève-t-il, ajoutant que dans ce paysage, les différents producteurs d’huile d’argan se disputent une ressource structurellement limitée et de plus en plus rare : les fruits de l’arganier.

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Selon Reporterre, des dizaines de coopératives féminines d’argan ont donc fermé, les autres survivent dans l’espoir de jours meilleurs. D’autres sont devenues sous-traitantes. C’est le cas dans la région de Sidi Ifni et de Guelmim, au sud d’Agadir où des coopératives dédiées uniquement au concassage ont été créées en nombre ces derniers temps, preuve que l’activité perdure, mais qu’elle est passée un peu plus entre les mains des grands industriels, souligne le media. Ces derniers sous-traitent depuis longtemps le concassage des noix d’argan, seule étape de la production à échapper encore à la mécanisation.  Certaines coopératives acceptent 30 DH pour concasser un kilo de fruits d’arganiers quand des femmes isolées reçoivent entre 10 et 30 DH pour le même travail, soit une demi-journée d’une gestuelle aussi belle que répétitive. Sauf que, « aujourd’hui, toutes les coopératives ont des contrats avec Les Domaines, Top Agri, Olvea…, dit Rachida, présidente d’une autre coopérative dans la région d’Ameskroud. Nous sommes devenues des coopératives de services. On nous emmène les fruits et nous ne faisons plus que le concassage pour Olvea. » Qui est cette multinationale française ?

Fondée en 1929, à Fécamp (Seine-Maritime), Olvea s’est d’abord développée grâce à la pêche à la morue au large de Terre-Neuve et du Groenland, en faisant de l’huile de poisson, selon Reporterre. En 2005, elle a ouvert une première filiale à Agadir, dont les eaux sont riches en sardines. Deux ans plus tard, à la suite de l’arrivée dans le groupe familial de Caroline Mayaud-Daudruy, arrière-petite-fille du fondateur, une unité d’extraction d’huile d’argan, Marogania, a été construite sur le site de l’usine d’Agadir. L’ensemble se nomme aujourd’hui Olvea Morocco.

 
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