Immobilier : dans l’absurde, Sisyphe a toujours raison
62 000 logements pour éradiquer les bidonvilles à Casablanca. Voici un « disque enrayé » qui répète infiniment la même chanson, tant que les solutions ne s’attaquent pas aux vraies causes.
Est-ce que cela suffit de mobiliser le foncier public, les aides publiques directes et le « biberon fiscal » pour pouvoir mettre fin au phénomène des bidonvilles ou habitat indécent qui n’est que la partie la plus visible de cet iceberg qu’est la crise socioéconomique ?
Le programme « villes sans bidonvilles » date de plus de 20 ans. Quel bilan de ce programme ? Quels réalisations/résultats ? Voici une des principales faiblesses de nos politiques publiques : leur non évaluation a posteriori. Alors, comme Sisyphe, on repousse le rocher vers le sommet de la montagne, pour le voir ensuite dégringoler vers le bas. Et on redescend pour le remonter vers le haut. Et le voir redescendre. Ou, si l’on préfère, en langage plus clair, tomber et s’enfermer dans le cercle vicieux, ou tout simplement, « verser de l’eau sur du sable ». Alors, dans cette logique de l’absurde, la politique risque de se limiter à des effets d’annonces répétées, à une « gestion/reproduction des crises », dans des limites « politiquement correctes et acceptables », en tous cas garantissant le statu quo. Chaque gouvernement transmettra ensuite la « patate chaude » au prochain gouvernement. In fine, le citoyen dira, « ils sont tous pareils ! ».
En fait, non seulement les politiques publiques ne font pas l’objet d’évaluation a posteriori, ni d’autoévaluation sérieuse, sans narcissisme, ni auto-flagellation, mais en plus, lesdites politiques se cantonnent quasi-systématiquement à des approches descriptives, non explicatives des causes, non globales et non intégrées. Car, peut-on faire face à la formation/reproduction des bidonvilles/habitats indécents, qui ne tombent pas du ciel, sans s’attaquer aux conséquences de la sécheresse et au manque croissant d’eau dans les zones rurales dont certaines deviennent de plus en plus inhabitables ? Peut-on s’y attaquer sans investissements économiques privés durables dans les zones périurbaines qui accueillent les nouvelles vagues de l’exode rural ? Fuyant des conditions de vie devenues difficiles, voire parfois insupportables dans les campagnes, les populations rurales viennent « se réfugier » près des villes, avec l’espoir d’y trouver une alternative et de survivre, à défaut de pouvoir vivre décemment. Ces populations rurales se retrouvent ainsi entre le marteau et l’enclume, entre la sécheresse/pénurie d’eau et le manque d’activités économiques urbaines, capables de créer un environnement favorable à une intégration des « nouveaux venus ».
Pendant, ce temps, bien cravatés, dans des bureaux climatisés, nos chers bureaucrates citadins, grassement payés, « imaginent » des « solutions » pour recaser les bidonvillois dans des logements sociaux. Que vont faire ces bidonvillois dans des logements sociaux, sans travail, sans source de revenus, poussés vers des périphéries urbaines sous dotées en infrastructures et en moyens de transport en commun ? Avec quoi vont-ils payer leurs traites et factures ? La réalité actuelle exige de toute urgence une « rupture créatrice » avec ces « approches en silo », dénoncées à juste titre dans le rapport sur le nouveau modèle de développement. La question du logement est inséparable de celle des investissements privés durables et de l’emploi. Elle nécessite une nouvelle démarche fondée sur le travail d’équipes multidisciplinaires, tout en impliquant les ménages concernés, et où le logement n’est qu’un maillon parmi tant d’autres d’une chaine complexe où s’imbriquent l’économie, le social, la culture, l’éducation, le sport (…), avec, au centre, la dignité humaine, dont la protection doit être l’objectif ultime et permanent de toute politique publique.