Intelligence artificielle : silence assourdissant au Maroc
Dans les pays occidentaux, les plaintes se multiplient contre les entreprises qui utilisent l’intelligence artificielle (IA) dite « générative », qui permet de produire du texte, des vidéos, des images et du code à l’infini. Depuis, la réflexion est lancée dans ces pays.
Les entreprises en pointe en matière d’intelligence artificielle générative – dont OpenAI et Stability AI – ne se sont pas beaucoup souciées, pour l’instant, du droit de la propriété intellectuelle. La question s’est davantage posée outre-Atlantique, où une œuvre créée par une IA spécialisée dans la génération d’images s’est vue récompensée à la « Colorado State Fair » de 2022. Et pourtant, l’Office américain du droit d’auteur (USCO) était venu préciser dans une décision du 14 février 2022, qu’une œuvre créée par une intelligence artificielle ne saurait être protégée par le droit d’auteur. Et pour cause, l’office considère qu’une telle reconnaissance exige une intervention humaine dans le processus de création.
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En Europe, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a pour sa part de longue date affirmé que le droit d’auteur ne s’appliquait qu’à des œuvres originales et que l’originalité allait de pair avec « une création intellectuelle propre à son auteur ». Qu’en serait-il au regard du droit marocain sur la propriété intellectuelle ? Il faut dire que ce ne sont pas les interrogations qui manquent depuis l’avènement de l’IA. Le droit d’auteur doit-il être attribué aux œuvres littéraires et artistiques originales qui sont générées de manière autonome par l’intelligence artificielle, ou doit-il obligatoirement y avoir un créateur humain ?
Si le droit d’auteur peut être attribué à des œuvres produites au moyen de l’intelligence artificielle, à qui doit-il être conféré ? Faut-il envisager d’attribuer une personnalité juridique à une application d’intelligence artificielle qui produit des œuvres originales de manière autonome, de sorte que le droit d’auteur soit conféré à la personne ainsi créée et que celle-ci puisse être régie et vendue comme pourrait l’être une société ? Doit-on envisager un système de protection sui generis distinct pour les œuvres littéraires et artistiques originales générées de manière autonome par l’intelligence artificielle (par exemple, durée réduite de la protection et autres limitations, ou système considérant les œuvres créées par l’intelligence artificielle comme des prestations) ? « A ma connaissance, il n’y a pas encore eu, au Maroc, de réflexion d’ampleur sur l’intelligence artificielle et la propriété intellectuelle, comme cela se fait à l’étranger», répond Daoud Salmouni-Zerhouni, Conseiller en propriété industrielle.
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Au Maroc, l’OMPIC et le Bureau marocain du droit d’auteur (BMDA) devraient être pionniers dans cette réflexion, comme le font notamment les Offices américains (USPTO et US Copyright Office), de l’Union européenne (EUIPO), l’Office européen des brevets (OEB), l’Institut national de la propriété industrielle français (INPI) et tant d’autres… A noter à cet égard, que la récente loi n° 66-19 modifiant la loi n° 2-00 relative aux droits d’auteur et droits voisins est absolument muette sur la question de l’intelligence artificielle, alors que d’une part, lorsqu’elle a été adoptée en 2022 les progrès de l’intelligence artificielle étaient déjà largement connus et, d’autre part, que le droit d’auteur est en première ligne, notamment sur les questions de la protection des «créations» générées par l’IA. C’est dire qu’ici également, le cadre législatif doit être à la hauteur des ambitions marocaines.