Tribune et Débats

Jeunes et migration : une crise aux multiples facettes [Par Lahcen Haddad]

Face à la montée des tentatives de migration clandestine en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, la jeunesse se retrouve au cœur d’une crise sociale et économique.

Les jeunes, souvent déscolarisés et en manque de perspectives, sont poussés à risquer leur vie pour un avenir incertain en Europe. Lahcen Haddad analyse les causes profondes de ce phénomène et propose des pistes de réflexion pour enrayer l’abandon scolaire et offrir des solutions viables aux jeunes.

Par Lahcen Haddad*

Les jeunes nord-africains et subsahariens tentent à maintes reprises de migrer illégalement vers l’Europe par tous les moyens — qu’ils soient violents, organisés ou imprudents. Le dernier incident en date concerne un appel lancé via les réseaux sociaux pour prendre d’assaut la ville de Ceuta le 15 septembre 2024. En réponse, les autorités marocaines ont mobilisé des ressources humaines et logistiques pour contrer cette incursion massive, aboutissant à l’arrestation de 4 455 personnes, dont 3 597 Marocains et 519 étrangers, parmi lesquels 164 Algériens. De plus, soixante-dix individus incitant les jeunes à cet assaut, dont des Algériens, des Subsahariens et des Marocains, ont également été appréhendés.

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Au-delà du débat politique enflammé que cette question a suscité en Afrique du Nord, une question plus pressante se pose : pourquoi tant de jeunes issus de pays comme l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie et l’Afrique subsaharienne prennent-ils le risque de s’engager dans un périlleux voyage qui mène souvent à la noyade et à la mort ? Leur avenir est-il si sombre que le « hrig » — terme familier désignant la migration clandestine au Maroc et en Algérie — est devenu la seule option ?
Ces jeunes sont couramment appelés NEETs — des personnes âgées de 16 à 24 ans qui ne sont ni en formation, ni en emploi, ni à l’école. Ils représentent 29 % des jeunes en Algérie (selon l’Organisation internationale du travail), 25,2 % au Maroc (d’après le Conseil économique, social et environnemental marocain), et les deux tiers au Niger, le pourcentage le plus élevé à l’échelle mondiale.

Les causes de l’abandon scolaire sont multiples et peuvent être attribuées aux lacunes des programmes, aux méthodes d’enseignement et à un système éducatif qui ne répond pas aux besoins psychosociaux, aux aspirations et à l’employabilité des jeunes. Dans la plupart des pays africains, les écoles ne fournissent pas d’espaces propices à un apprentissage positif, à la réussite, à l’excellence et à l’expression de soi. Les systèmes éducatifs manquent d’une approche axée sur le développement des compétences psychologiques, sociales et de vie, telles que la gestion des crises, l’intelligence émotionnelle, la résilience, la pensée critique, la gestion du temps, la communication, l’établissement de relations sociales saines et le soin de soi.

Il n’existe pas d’initiatives pour former les enseignants et les parents à adopter cette approche globale. À la place, on trouve des programmes mal conçus et des méthodes d’enseignement monotones et difficiles à comprendre. Les éducateurs se retrouvent souvent à gérer le surpeuplement, la violence, la tricherie, les problèmes de drogue dans les écoles, ainsi que la démotivation des enseignants.
Beaucoup de jeunes sont désillusionnés par cet environnement, qui étouffe l’apprentissage et la réussite. Bien que le soutien parental puisse parfois les aider à terminer leurs études secondaires, la pauvreté et la désintégration familiale entravent souvent ces efforts. Quand ces jeunes quittent l’école, ils tombent dans l’oubli — ni suivis ni assistés, sans formation ni aide sociale, sans que l’on cherche à comprendre leurs rêves et ambitions. Les travailleurs sociaux ne sont pas mobilisés pour les orienter dans leurs communautés. Même les centres de formation professionnelle manquent de flexibilité pour offrir des opportunités accessibles et conformes aux aspirations de ces jeunes.

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La rue, avec ses tendances contre-culturelles, prend alors en charge ces jeunes désabusés. Les organisateurs de la migration clandestine exploitent leur vulnérabilité, leur vendant des rêves de succès facile et des récits hollywoodiens sur la vie en Europe. L’aventure et l’occasion de s’éloigner d’un environnement synonyme d’échec et de frustration incitent les adolescents à imaginer un avenir radieux : traverser, réussir et revenir en héros. Ce sentiment d’héroïsme est perçu comme un moyen d’effacer les souvenirs d’échec et de frustration. La migration devient un rêve collectif, des groupes se formant autour d’ambitions, de ressources et de stratégies partagées. Lorsque les agitateurs incitent ces jeunes à affronter les forces de sécurité et à tenter de franchir les frontières par la violence, ils exploitent ce désir de gloire héroïque.

Les gouvernements doivent répondre à cette crise en s’attaquant à l’abandon scolaire et en élaborant des stratégies robustes de création d’emplois, comme l’a souligné le Premier ministre marocain en réponse à l’étude sur les NEETs du Conseil économique et social. Les ministères de l’éducation doivent adopter une approche novatrice axée sur le développement des compétences de vie, psychologiques, sociales et pratiques des jeunes. Parallèlement, les ministères de la formation et de l’emploi devraient suivre la trajectoire de ces jeunes, mobilisant des travailleurs sociaux pour les orienter et les aider à réaliser leurs rêves et ambitions.

Cette approche aidera les responsables de la sécurité à lutter contre les passeurs, les trafiquants d’êtres humains et les réseaux de migration clandestine. Il ne s’agit pas de fermer complètement la porte à la migration, mais de l’encadrer, de l’institutionnaliser et de la rationaliser de manière à ce qu’elle serve les intérêts européens et africains, loin des tragédies des noyades, des sauvetages et des voyages périlleux en mer.

*Lahcen Haddad est consultant en géopolitique et ex-ministre du Tourisme.

 
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